TROIS QUESTIONS À - Vincent Crouzet, expert en géopolitique, auteur de cinq romans d’espionnage, est à Meylan ce mardi 29 août. Son dernier livre, Une affaire atomique, plonge dans l’affaire UraMin, un désastre financier faisant suite au rachat par Areva de trois gisements d’Uranium inexploitables. Le tout sur fond de suspicions de corruption et de rétrocommissions.
Vincent Crouzet est lui-même témoin dans l’affaire UraMin. Pourquoi témoin ? Parce qu’il a « rendu un service » en servant d’intermédiaire entre la justice française et l’ancien conseiller du président centrafricain François Bozizé, Saifee Durbar. Ce dernier souhaitait obtenir la bienveillance de la justice en échange de son silence sur l’affaire.
S’il vit aujourd’hui en Provence, l’auteur a passé son adolescence aux Arcs en Savoie et retrouvera donc les paysages montagnards ce mardi 29 août.
Il sera présent au Clos des Capucins de Meylan à 19 heures pour présenter et signer son ouvrage, mais aussi échanger avec le public sur « les secrets de l’industrie nucléaire ». Une rencontre organisée en partenariat avec la librairie La Dérive, dans le cadre des Capucins littéraires de Meylan.
Place Gre’net – Avec Une affaire atomique, vous délaissez le roman et la fiction pour rédiger ce que vous appelez un « document ». Pouvez-vous nous présenter cet ouvrage ?
Vincent Crouzet – C’est le développement de mon témoignage dans l’affaire UraMin-Areva. Ce n’est pas de la fiction mais je l’ai écrit sur le rythme de la fiction, ce que les Américains appellent le narrative nonfiction. J’ai souhaité raconter cette affaire avec ma focale de témoin.
Elle présente en effet tous les ingrédients d’un thriller : les décors, le secteur de l’uranium, un scandale d’État, avec l’implication des services de renseignement, de puissances étrangères… On est à la croisée d’un roman d’espionnage et d’une affaire politico-financière de grande ampleur, à hauteur de 3 milliards d’euros volatilisés pour les contribuables français. Tous les ingrédients étaient là !
Cette affaire est-elle emblématique de la continuité de ce que l’on appelle la Françafrique, et dans quelle mesure les populations locales en sont-elles victimes ?
La Françafrique existe encore dans beaucoup de domaines. Dans le secteur de l’uranium et de l’acquisition de ces trois gisements en 2007, elle est apparue au grand jour, avec en plus des figures emblématiques comme celle de Patrick Balkany. On a vu un peu tous les usages de la Françafrique réunis autour de cette acquisition, et toutes les mauvaises manières revenir en force.
Je suis assez pessimiste sur la disparition de la Françafrique : quand un réseau disparaît, un autre apparaît, tout aussi efficace et plus discret. C’est l’empire de la corruption, le mélange des genres entre la puissance publique française et la protection d’intérêts particuliers. Cette affaire est emblématique de toutes nos perversions en Afrique depuis quarante ou cinquante ans, et l’on est arrivé à un sommet de collusion entre public et privé, et d’interventions douteuses auprès de chefs d’États africains.
Les populations locales en souffrent nécessairement. Beaucoup de promesses faites par Areva n’ont pas été tenues localement, et je ne parle même pas des problèmes écologiques posés par des sites qui n’ont pas été remis en état correctement.
On est au summum du mépris d’une grande puissance économique vis-à-vis de pays africains qui manquent de ressources. Mais je ne me fais pas d’illusions : si ces gisements avaient été mis en exploitation, je doute qu’ils auraient profité aux populations locales…
Votre éditeur a subi des pressions avant publication. Est-ce parce que l’ouvrage s’attaque au dogme français de l’énergie nucléaire, notamment autour de la question de l’indépendance énergétique ?
Pour moi, la Ve République a deux piliers : l’élection du président de la République au suffrage universel… et notre complexe atomique. Le secteur de l’atome en France est extrêmement stratégique, et chaque fois qu’une affaire est levée dans ce secteur on se heurte à des réticences très fortes de l’État actionnaire et leader souverain dans ce domaine. Que ce soit dans l’affaire UraMin ou d’autres affaires, comme celle de la cuve de Flamanville.
Par ailleurs, Anne Lauvergeon [ancienne présidente du directoire d’Areva, ndlr] a tenté sans succès d’empêcher la publication de ce document. Nous avons été l’objet d’intimidations avant publication, mais le livre n’a pas fait l’objet de plainte, ce qui laisse à penser que ce qui est dedans est avéré. Le complexe de l’atome en France n’a pas envie que l’on remue les mauvaises histoires autour de l’acquisition d’uranium… et c’est un livre qui n’a pas fait plaisir à Areva et à Anne Lauvergeon en particulier.
Oui, cette notion d’indépendance énergétique est totalement fausse. Nous sommes un très gros producteur et consommateur de l’énergie nucléaire, et nous exploitons l’uranium dans nos centrales mais nous avons besoin de nous approvisionner à l’extérieur. La matière première, ce que l’on appelle le Yellowcake, est ainsi exploitée ailleurs. On en trouve principalement au Kazakhstan, qui n’est pas un pays connu pour ses pratiques financières et économiques transparentes…