TROIS QUESTIONS À – Pascal Denolly est le président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Isère (FDSEA), branche de la FNSEA. Alors qu’Emmanuel Macron recevait lundi 7 août des syndicats agricoles pour les États généraux de l’alimentation, la FDSEA organisait le vendredi précédent un temps de rencontre entre parlementaires et agriculteurs, dans une exploitation de La Bâtie-Montgascon.
Place Gre’net — Vous avez convié les députés de l’Isère à une rencontre le vendredi 4 août, dans le cadre des États généraux de l’alimentation. Quel bilan tirez-vous de ce moment d’échange ?
Pascal Denolly – C’était important d’avoir ce premier contact et, pour nous, c’est un succès. Nous avons reçu cinq parlementaires, Marie-Noëlle Battistel, Cendra Motin, Monique Limon, Élodie Jacquier-Laforge et Marjolaine Meynier-Millefert*.
J’ai regretté que les députés “urbains” n’aient pas pu se déplacer, même s’ils se sont excusés, parce que les États généraux de l’alimentation ne sont pas qu’une affaire agricole : cela s’adresse à tout le monde.
Il était nécessaire de rencontrer des députées que nous ne connaissions absolument pas, de leur faire percevoir les enjeux agricoles du territoire de l’Isère, et de débattre avec elles sur comment elles envisageaient de porter les enjeux de l’alimentation. Je suis optimiste : on a des députées à l’écoute, qui considèrent effectivement qu’il y a un enjeu majeur.
Le dossier présenté aux parlementaires aborde les questions de consommation et d’environnement, en émettant par exemple des réserves sur le projet d’étiquetage simplifié de la qualité nutritionnelle des aliments, ou en affirmant que « les agriculteurs œuvrent au quotidien aux équilibres environnementaux ». Vous sentez-vous “mal-aimés” ?
Pascal Denolly – Non, c’est une manière négative de voir les choses. Ce qui m’importe, c’est que l’on progresse ensemble en se comprenant. Je valide, et je promeus, le fait que vous avons des pratiques agricoles à faire évoluer. Il faut par exemple diminuer les intrants, qu’il s’agisse d’engrais ou de pesticides. Mais nous devons le faire prendre en compte par le consommateur.
Si l’agriculture biologique vaut plus cher, c’est parce qu’il y a des surcoûts, ce n’est pas pour faire plaisir aux producteurs bio ! De la même manière, si l’on modifie ou améliore les pratiques, il faut que cela soit pris en compte dans le prix de revient.
C’est un tout : si on ne prend pas pas en compte nos efforts en les rémunérant, nous sommes morts d’avance. Et nous savons tous qu’il y a de la marge dans le circuit agro-alimentaire. Il faut que nous arrivions à un “nouveau deal”, comme dans les années 60 : si l’on augmente la qualité de l’alimentation, il faut que cela suive en face. On ne peut pas demander à quelqu’un de faire un travail pointu si ce n’est pas rémunéré.
La répartition des marges est très favorable à la distribution, et très défavorable aux producteurs. Il faut en changer. Avec les règles mises en place par Nicolas Sarkozy en 2009, on donnait les clés de la maison à la grande distribution. Nicolas Sarkozy voulait être le président du pouvoir d’achat. Mais le coût, ce sont 7 milliards de pertes dans les TPE, pas seulement dans l’agriculture, et un milliard de gain pour les consommateurs. Donc, un bilan négatif. Il faut la création de richesse, pas la guerre des prix !
Pensez-vous être entendus par le nouveau président de la République et le nouveau gouvernement sur vos inquiétudes ? Quelles revendications portez-vous ?
Pascal Denolly – Au niveau des intentions, c’est bon. On sent que Macron a compris qu’il était nécessaire de faire quelque chose. Mais j’ai aussi entendu certains propos de Nicolas Hulot, qui se contenterait bien d’une simple aide majorée à l’agriculture biologique. Je veux bien qu’on accompagne l’agriculture biologique – j’ai de nombreux adhérents qui en font –, mais cela me semble un peu court.
Cela fait des années que l’on rame à la FNSEA pour faire avancer les choses. On a pu imposer un Observatoire des prix et des marges, pour que l’on sache tous de quoi on parle. En 2015 – 2016, on se battait aussi pour une loi sur la transparence commerciale : pour faire passer des hausses auprès de la grande distribution, tout doit se baser sur la transparence, puisque chacun considère que l’autre travaille de manière opaque…
Nous avons une revendication importante : la traçabilité. Le consommateur est prêt, à mon avis, à jouer le jeu de la production française, et de la production française de qualité, dont il sait qu’elle correspond à ce qu’il veut acheter. Il faut qu’il puisse le savoir, qu’on lui dise sur l’étiquetage ce qu’il en est. Or les transformateurs s’arrangent pour masquer les choses.
Sur chaque exploitation, les agriculteurs enregistrent des données sur leur cahier des charges, et ces données on a l’impression qu’on s’en fout quand le produit quitte l’établissement… La première garantie pour le consommateur serait de savoir comment la bête a été élevée, si elle a mangé de l’herbe ou de la farine animale, ou encore si la pratique de l’agriculteur a permis d’entretenir des kilomètres de haie et donc une certaine biodiversité… Autant de choses qu’on enregistre et qui ne sont pas prises en compte, alors que la traçabilité commence là !
Propos recueillis par Florent Mathieu
* Respectivement députées des 4e, 6e, 7e, 9e et 10e circonscriptions de l’Isère.