FOCUS – Jérôme Safar, président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès, ne s’était pas manifesté depuis les déclarations du procureur de la République de Grenoble au sujet du trafic de stupéfiants gangrénant Grenoble. La publication de l’interview d’Élisa Martin sur Place Gre’net l’aura fait sortir du bois. L’élu, consensuel, évoque quelques pistes qui, l’espère-t-il, feront bouger les lignes pour résoudre les problèmes liés au trafic.
« J’avais choisi de ne pas réagir parce que les propos du procureur de la République se suffisent à eux-mêmes », nous déclare ce 3 août Jérôme Safar, conseiller municipal du groupe Rassemblement de gauche et de progrès.
De fait, l’élu ne s’était pas manifesté suite aux déclarations de Jean-Yves Coquillat, procureur de la République, sur le trafic de cannabis à Grenoble publiées par nos confrères du Dauphiné libéré. Et ce contrairement à d’autres responsables politiques qui n’avaient pas manqué de faire entendre leurs voix. Ce qui a poussé l’élu à sortir de son silence ? L’interview, tout récemment publiée sur Place Gre’net, d’Élisa Martin, première adjointe d’Éric Piolle déléguée à la tranquillité publique.
« J’ai un point d’accord majeur avec Élisa Martin »
« Je vais peut-être vous surprendre mais j’ai trouvé son interview extrêmement intéressante », nous apprend tout de go Jérôme Safar. Une bienveillance qui, outre l’expression d’un certain consensus, peut aussi s’expliquer par la volonté de l’élu de ne pas tomber dans de vaines querelles partisanes mais, au contraire, d’envisager un débat serein sur le fond.
« J’ai un point d’accord majeur avec Élisa Martin, c’est qu’il faut que nous sortions tous de cette espèce de jeu de ping-pong permanent qui veut que tout le monde pense avoir la solution alors que la situation est très complexe », explique le conseiller municipal. Dont il faut rappeler qu’il fut également premier adjoint de Michel Destot, ancien maire de Grenoble. Avec, entre autres casquettes, celle de délégué à la prévention et à la sécurité.
À ce propos, l’élu ne manque pas de rappeler qu’après les émeutes de 2010 à la Villeneuve, il s’était adressé au conseil municipal à peu près dans les mêmes termes que ceux de Jean-Yves Coquillat. Ce qui lui avait valu, se rappelle-t-il, « une volée de bois vert, y compris de la part de la majorité ».
Revenant aux mesures prises par l’équipe Piolle en matière de tranquillité publique depuis 2014, Jérôme Safar souligne que « la plupart ont été initiées auparavant ». Avant de distribuer un bon point : « Heureusement, elles produisent des effets ou ont été améliorées et renforcées, ce qui est très bien », se félicite l’élu.
Un « ressenti de violence extrêmement fort »
Pour autant, foin des échanges stériles. « Je pense qu’il faut que nous ayons un débat qui sorte des effets de manches ou des batailles d’Hernani sur la sémantique, opposant la sécurité à la tranquillité, à la sûreté ou renvoyant le député à son travail quand il intervient, adroitement ou pas, et qui font que certains expriment leur désarroi face à l’image de la ville », expose Jérôme Safar.
Pour ce dernier, c’est de courage dont il faut faire preuve. « Celui de dire que notre ville est en difficulté, pour ne pas dire qu’elle est malade de cette économie parallèle qui pèse sur la vie quotidienne des Grenoblois. » Notamment à travers un « ressenti de violence exceptionnellement fort », décrit l’élu.
Ce que Jérôme Safar a envie de demander à Élisa Martin « sans tomber, plaisante-t-il, dans la politique à deux balles » ? D’assumer le fond du problème devant le conseil municipal et sans vote, en invitant les partenaires de la Ville.
Tout particulièrement le procureur, s’il accepte, le préfet, le Codase et les unions de quartiers, pour envisager les solutions qui pourraient être apportées par les uns et les autres.
Un débat qui serait d’autant plus constructif que les points de désaccords sont déjà connus. « On ne va pas refaire le débat sur la vidéosurveillance, pas plus que sur l’armement de la police municipale ! », lance Jérôme Safar, soucieux d’illustrer ses propos. L’objectif ? « Démontrer aux Grenoblois que, sur ce sujet-là, il y a une volonté collective maximale d’essayer de venir à bout de cette gangrène qui crée de la violence et les inquiète. »
Un débat avec les acteurs concernés sur la légalisation du cannabis
Mieux, l’élu appelle de ses vœux un débat sur la légalisation, ou pas, du cannabis. Pas seuls entre membres du conseil municipal mais « avec des gens qui peuvent nous éclairer », précise-t-il. Notamment en matière de santé publique et sur les possibilités de faire migrer cette économie parallèle vers des circuits plus officiels. Le tout en ayant « la garantie maximale qu’on n’ira pas demain vers le développement d’autres trafics dans les quartiers puisque c’est aussi une des questions centrales », tient à nuancer Jérôme Safar.
Quant aux propos de Jean-Yves Coquillat, « ils ont le mérite de permettre, si l’on se saisit astucieusement et collectivement du dossier, de le poser enfin sur la table, différemment, et de se dire “on a un sérieux problème à Grenoble, il faut le résoudre » », estime Jérôme Safar. Pour autant, « restons objectifs, anticipe l’élu, nous n’allons pas le résoudre en quelques mois ou quelques semaines. »
Les caméras individuelles ? « C’est une bonne décision »
L’autre information importante que relève Jérôme Safar à la lecture de l’interview d’Élisa Martin concerne la dotation de la police municipale en caméras individuelles. « En 2012, j’étais favorable à cet équipement mais sceptique parce que le matériel, à l’époque, n’était pas fiable. Maintenant qu’il l’est, je trouve que c’est une bonne décision », reconnaît le conseiller municipal. Qui explique : « Il faut le dire parce que, si l’on est toujours dans l’opposition systématique, on crée un climat anxiogène qui fait que les gens ne comprennent plus rien et ont l’impression que l’on ne fait rien. »
Revenant sur le thème des dotations en armes de poing de la police municipale, Jérôme Safar, égratignant le consensus, relève une inexactitude dans les réponses de la première adjointe.
Laquelle ? L’assertion de l’élue arguant qu’en armant la police municipale « il [Jérôme Safar, ndlr] changeait le cadre d’emploi puisqu’il voulait les envoyer la nuit dans un certain nombre de quartiers un peu tendus ». Ce à quoi il répond : « Je ne ressens pas cette inexactitude comme une attaque. Oui, je changeais la doctrine d’emploi et je l’assume. Mais pour autant je ne demandais pas à la police municipale d’aller dans des quartiers tendus, c’est plutôt le contraire. »
La création d’un territoire expérimental à Grenoble ?
Pour Jérôme Safar, à partir du moment où l’État engageait les zones de sécurité prioritaires (ZSP) sur les quartiers tendus comme le Village olympique, Villeneuve, Teisseire ou encore Mistral, la Ville s’engageait à ce que les équipes de nuit aillent sur les autres secteurs avec l’armement. Ce qui permettait un partage efficace du territoire entre la police nationale et une police municipale dotée d’armements.
Pour en revenir au fond, à savoir le trafic de stupéfiants à Grenoble, Jérôme Safar, qui n’est pas à court de propositions, caresse l’idée de proposer à l’État la création d’un territoire expérimental à Grenoble. « J’ai beaucoup évolué sur ces questions-là car je pense sincèrement que, vu l’ampleur du phénomène et l’échec des politiques publiques, nous devons regarder s’il ne serait pas possible d’expérimenter quelque chose », se prend à espérer l’élu.
Joël Kermabon