DÉCRYPTAGE – Le cercle de réflexion « Grenoble nous rassemble », lancé en février par Matthieu Chamussy a présenté ses propositions sur les déplacements et la démocratie locale. Deux thèmes qui ont fait l’objet d’ateliers réguliers depuis le début d’année, animés respectivement par Guy Waltisperger et Sylvie Drulhon. Si officiellement, l’objectif est d’ouvrir un débat public sur ces sujets, le conseiller municipal d’opposition (Les Républicains) ne cache pas ses ambitions électorales. À mi-mandat de la municipalité Piolle, il entend ainsi construire un large « rassemblement des modérés », en vue des municipales 2020. Après un semestre de brainstorming, un premier panel de mesures est déjà sorti du chapeau.
Matthieu Chamussy se rêverait-il en »Emmanuel Macron grenoblois » ? Si le conseiller municipal LR ne cite à aucun moment le nom du nouveau président de la République, difficile de ne pas déceler l’analogie dans sa stratégie.
Lorsqu’il crée son cercle de réflexion »Grenoble nous rassemble », en février dernier, Emmanuel Macron n’est pas encore à l’Élysée et François Fillon commence tout juste à affronter le « Penelope gate ».
À Grenoble, la municipalité Piolle arrive à mi-mandat et a vu sa popularité quelque peu érodée par le plan d’austérité. Mais du côté de l’opposition, le tableau n’est guère reluisant entre des socialistes sortis laminés et plus divisés que jamais des dernières campagnes électorales et une droite qui essuie échec sur échec depuis de longues années à Grenoble.
Candidat malheureux aux municipales de 2014, Matthieu Chamussy a alors une intuition, confortée selon lui par les résultats des élections présidentielles et législatives. Son idée : « face à une municipalité d’extrême gauche dans la mise sous tension permanente, il y a un rassemblement possible des modérés ». Il vise un « spectre large » car « les clivages ne sont plus les mêmes ».
« Les clivages ne sont plus les mêmes »
Rappelant sa filiation « gaulliste », il précise : « certes, il existe encore des divisions idéologiques mais sur la rénovation d’une école ou la reconstruction de la voirie, je ne vois pas bien où est le clivage gauche-droite. » Cette fois-ci, l’allusion à La République en marche est à peine voilée : « Si c’est possible au niveau national, ça l’est encore plus à l’échelle locale. »

Guy Waltisperger vice-président du Cluq (et ancien président), animait l’atelier sur les déplacements. © DR
C’est dans ce contexte que Matthieu Chamussy a lancé son cercle de réflexion, qui s’est réuni pour la première fois en mars. Mais le prochain scrutin municipal étant dans plus de trente mois, pas question de mettre la charrue avant les bœufs. Officiellement, l’objectif est donc « d’ouvrir et enrichir le débat public ».
Concrètement, deux thèmes initiaux ont été désignés : les déplacements et la démocratie locale, faisant l’objet d’ateliers réguliers, animés respectivement par Guy Waltisperger et Sylvie Drulhon. Deux profils qui collent avec la volonté d’ouverture affichée : le premier, militant associatif et vice-président du Cluq (Comité de liaison des unions de quartier), était numéro trois sur la liste du centriste Philippe de Longevialle aux municipales de 2014, tandis que la seconde était adjointe aux sports de l’ancien maire socialiste Michel Destot.
Après une restitution en séance plénière lundi 3 juillet, les premières propositions ont été dévoilées publiquement. « Pour l’instant, il s’agit de pistes de réflexion, précise Matthieu Chamussy. Mais on ne s’interdit pas de les amender. »
Sur les déplacements, cinq pistes ont été avancées. La première : marquer les espaces et accompagner les nouvelles mobilités. Cela passe par une « hiérarchisation du réseau viaire », que détaille le conseiller municipal : « Des voies métropolitaines pour traverser la métropole, des voies secondaires et un réseau interne à un quartier. Il faut instaurer un système de marquage horizontal et vertical lisible afin que l’utilisateur sache où il est. »
Simplifier le stationnement résidents
Deux mesures sont ainsi proposées. Tout d’abord, supprimer les doubles voies à sens unique en les transformant en axes à double sens de circulation – ce serait par exemple le cas de l’avenue Marcelin-Berthelot. « Comme ça vient d’un endroit où il n’y en a pas et que ça se termine par un endroit où il n’y en a pas non plus, ces doubles voies à sens unique n’apportent pas grand chose », souligne Matthieu Chamussy. Ensuite, mettre un terme au double sens de circulation dans les ruelles et donc réduire l’espace de circulation à une voie en sens unique, ce qui permettrait de « restaurer du stationnement ».

Le groupe propose de supprimer les zones verte, orange et violette pour instaurer une zone visiteurs et une zone résidents. © Séverine Cattiaux, Place Gre’net
Deuxième piste : une nouvelle offre de stationnement. « Aujourd’hui, vous avez soit le stationnement à la journée en P+R (parking relais) en périphérie, soit inférieur à deux heures dans l’hypercentre. On réfléchit à une offre complémentaire en périphérie du centre-ville [entre deux et huit heures] : la personne devra ensuite finir à pied ou en transport sen commun mais elle se rapprochera sensiblement du centre. »
Pour simplifier la question du stationnement résidents, les zones verte, orange et violette seraient remplacées par une zone visiteurs et une zone résidents. Cette dernière serait sectorisée. Ainsi, pour le ticket résident, les habitants bénéficieraient du tarif seulement dans un périmètre restreint autour de chez eux, ce ticket étant bien sûr « fait pour que la voiture ne bouge pas ».
Trois lignes de téléphérique envisagées

Le transport par câble permettrait de fluidifier le trafic automobile aux entrées de la métropole. © DR
Troisième volet : absorber les flux de trafic aux entrées de la métropole. Les bouchons sur l’A480 ou la rocade sud sont en effet devenus le cauchemar des travailleurs pendulaires aux heures de pointe, mais aussi de tous les automobilistes, qui peuvent y être confrontés à tout moment de la journée.
Pour y remédier, »Grenoble nous rassemble » plaide en faveur du transport par câble. Une solution qui répond à un double problème : les accès à la métropole et la contrainte des finances publiques.
« Le tramway revient à près de trente millions d’euros le kilomètre, alors que le câble a un coût d’investissement dix fois inférieur, un coût d’exploitation beaucoup moins important et une vitesse d’exploitation bien plus importante », rappelle l’élu d’opposition. Trois lignes de téléphérique sont envisagées, complétées par la création de gares relais voiture-téléphérique : un axe Grésivaudan-Chavant, un deuxième allant de Comboire à la Presqu’île et un troisième reliant le barrage de Voreppe à l’Esplanade.
« L’élargissement de l’A480, une bonne solution pour fluidifier le trafic »
Si la question n’était pas à l’ordre du jour des ateliers, impossible d’éluder le dossier d’enquête publique sur l’élargissement de l’A480 et l’aménagement du carrefour du Rondeau, qui a recueilli un avis favorable de la Métropole. « Les deux sont nécessaires », estime l’élu LR, qui clarifie sa position : « Concernant la vitesse, je ne vais pas rentrer dans un débat de posture entre 70 et 90 km/h. La différence phonique est minime et pour moi, il faut opter pour une gestion dynamique des vitesses : on pourrait envisager qu’elle soit limitée la nuit à 90 et le jour à 70. »
« Quant à l’élargissement [le principe est de passer l’A480 de deux à trois voies], ajoute-t-il, c’est une bonne solution pour fluidifier le trafic interne. Les écologistes disent que la création d’une voie supplémentaire entraîne une augmentation du trafic : cela peut être vrai dans certains cas mais ici, avec un verrou nord et un verrou sud – on est sur deux voies avant et après – il ne peut pas y avoir d’effet aspirateur. »
« Aménager la rive gauche sur le même principe que la rive droite »
Quatrième proposition : requalifier les quais, rive gauche. Le principe : créer une voirie sous la berge gauche, de la Porte de France au musée de Grenoble, l’espace dégagé étant réservé à l’usage des piétons et à l’agrément.
Matthieu Chamussy évoque un « effet miroir. La rive droite a été réaménagée, apaisée, du coup l’idée est d’aménager la rive gauche, qui est un endroit patrimonial intéressant, sur le même principe que la rive droite en imaginant un lieu de vie sympa le long de l’Isère. »
Navettes sans pilote

Parmi les propositions avancées, mettre des composteurs dans les trams. © Chloé Ponset – Place Gre’net
Le dernier axe de réflexion concerne les transports en commun, avec notamment l’extension de la durée de validité du ticket à deux heures. « Le territoire métropolitain a explosé mais la durée de vie du ticket est restée à une heure », justifie le conseiller municipal. Autre mesure imaginée : mettre des composteurs dans les trams – opérationnels uniquement à l’arrêt.
Quid du débat sur la gratuité des transports en commun, de plus en plus plébiscitée ? « Aujourd’hui, le chiffre d’affaires du SMTC provient à 20 % des abonnements et achats de tickets, rétorque Matthieu Chamussy. Et il y a la question de la valeur : même un prix modeste, c’est différent de la gratuité. »
Il se dit dès lors « assez réservé » sur la question, tout en se projetant dans le futur : « À terme – c’est-à-dire d’ici 20 ans – la solution dans l’hypercentre sera une offre de transports en commun autonomes gratuits, avec des navettes sans pilote. »
Le sujet est en tout cas suffisamment important pour que les futurs exécutifs (Ville et Métropole) le mettent au débat public. Une belle occasion pour un « exercice grandeur nature de démocratie locale », estime le cercle »Grenoble nous rassemble », faisant ainsi la parfaite transition avec le deuxième thème des ateliers.
Conseils de quartier
Sur le plan de la démocratie locale, le groupe a travaillé sur quatre pistes complémentaires. Première proposition : rendre aux Unions de quartier (UQ) leur rôle d’interlocuteurs privilégiés de la municipalité. « Grenoble a une histoire dense et ancienne dans ce domaine, avec les premières Unions de quartier apparues dès les années 1920, explique Matthieu Chamussy. Mais depuis, il y a eu un empilement des outils et des niveaux de concertation. »

Les Unions de quartier devront redevenir les interlocuteurs privilégiés de la municipalité. © Florent Mathieu – Place Gre’net
La loi Vaillant, en 2002, a instauré l’obligation pour les communes de plus de 80 000 habitants de mettre en place sur leur territoire des conseils de quartier permettant une meilleure participation des citoyens.
Mais ce sont tour à tour les Conseils consultatifs de secteur (CCS), nés sous Michel Destot, puis les Conseils citoyens indépendants (CCI), créés par la majorité actuelle, qui ont rempli cette fonction, suscitant, selon »Grenoble nous rassemble », une « mise en concurrence avec les unions de quartier ».
Les budgets participatifs seront sectorisés
Deuxième élément : la mise en place d’assemblées de secteur à la demande des unions de quartier. Celles-ci réuniraient alors les unions de quartier du secteur et devraient permettre une participation indépendante des habitants non adhérents des UQ. De cette façon, indique Matthieu Chamussy, « on garde cette capacité de réfléchir à deux échelons différents et on sort de cette concurrence entre CCS/CCI et unions de quartier ». L’objectif est de « faire venir dans le processus de débat public davantage d’habitants ».
Troisième piste : les budgets participatifs seront sectorisés afin de garantir une répartition équitable sur le territoire communal. Pour les animateurs de l’atelier, les budgets participatifs sont « une initiative qui va dans la bonne direction ».
Mais, tempère Matthieu Chamussy, « il y a des secteurs de la ville où il existe un foisonnement associatif et d’autres où les gens ont d’autres priorités ».
Afin de « garantir l’équité territoriale », au moins un projet par secteur serait choisi. Cela impliquerait, « à enveloppe constante, une meilleure répartition vers chaque quartier ». Le groupe appuie d’autre part la création d’un « secteur ville » – le septième – destiné à débattre de projets d’ampleur municipale.
Suppression du seuil des 20 000 votants

Le dispositif de la votation serait entièrement revu, avec notamment une suppression du seuil des 20 000 votants. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
Enfin, quatrième et dernière proposition, peut-être la plus marquante : une refonte totale du dispositif de la votation. Seul le filtre des 2 000 signatures serait maintenu.
Pour le reste, tout serait revu : suppression du seuil des 20 000 votants ; déroulement du vote sur un seul jour, le samedi ou dimanche ; lieux de vote identiques à ceux des élections traditionnelles. La disparition du seuil des 20 000 soulève pourtant la question de la légitimité de la votation.
Peut-on en effet accepter qu’un projet d’envergure soit adopté à 1 050 voix contre 950 ? Matthieu Chamussy balaie ces objections. Selon lui, en levant les freins matériels, les gens se déplaceront en cas d’enjeu important : « S’il y a peu de participation, c’est que le sujet n’était pas très grave. Si, par exemple, on vote pour ou contre la suppression de la circulation sur le cours Jean-Jaurès, on aura forcément beaucoup de participation ! »
« Apporter une recette équivalente à la dépense engendrée »
En outre, un ultime point a été ajouté à propos de la votation : l’équilibre budgétaire. Chaque question posée devrait intégrer cette notion de financement en « apportant une recette équivalente à la dépense engendrée ».
Matthieu Chamussy illustre ce principe avec un exemple pas tout à fait choisi au hasard : « Pour les bibliothèques, c’est un vote à majorité simple mais on sait que le fonctionnement d’Alliance, Hauquelin et Premol était d’environ 230 à 250 000 euros par an au total. Il aurait donc fallu expliquer comment on trouve cette somme, par exemple en réduisant de moitié le format de la Fête des tuiles ou en ne la tenant que tous les deux ans. »
Après la coupure estivale, »Grenoble nous rassemble » reprendra en septembre par une séance plénière où seront définis deux nouveaux thèmes. Mais ne parlez surtout pas à Matthieu Chamussy de liste ou de programme électoral, l’heure n’est pas encore venue : « Bien sûr, on ne peut pas être totalement déconnecté d’un projet municipal, seulement on n’est qu’au début de l’été 2017. L’idée maîtresse, c’est peu importe d’où on vient, est-on susceptible de partager un socle commun ? »
Manuel Pavard