ENTRETIEN – Le groupe François and the Atlas Mountains sera à la Belle électrique jeudi 18 mai. L’occasion de découvrir les morceaux de son nouvel album, Solide Mirage, sorti en mars 2017. La pop y reste légère et nourrie de multiples influences mais le propos s’est nettement politisé. François Marry, leader du groupe, nous explique à quel besoin répond ce virage.
François Marry a signé plusieurs albums solo mais c’est avec son groupe The Atlas Mountains, fondé en 2005 à Bristol, qu’il a fini par être reconnu. Au sein de cette formation – qui évoluera au fil de ses migrations géographiques –, le Charentais d’origine sort, à l’automne 2011, un single intitulé « Piscine » sur le label anglais Domino Records. C’est en 2014, avec l’album Piano Ombre que le groupe est véritablement repéré. Suivra l’EP L’Homme Tranquille, sorti en 2015 et enregistré lors d’une tournée en Afrique.
La pop qui caractérise François and the Atlas Mountains est ainsi baignée d’influences multiculturelles glanées au fil des pérégrinations de François Marry. Lequel, après avoir retrouvé la France quelques temps, suite à un séjour prolongé en Angleterre, s’est installé à Bruxelles en 2014.
L’année 2015 et les terribles évènements qui l’ont traversée ont eu raison de la poésie légère des paroles du groupe pour laisser place à un propos davantage aux prises avec son temps. Si le public semble d’abord déconcerté par ce virage, François Marry demeure persuadé qu’il est temps pour lui de se pencher plus avant sur le monde qui l’entoure, quitte à déboussoler cette industrie musicale qui n’aime rien tant qu’étiqueter toutes choses. Entretien avant son concert à la Belle électrique le 18 mai.
Votre musique se nourrit de multiples influences. Est-ce du fait de vos différents voyages à travers le monde ?
François Marry : Quand je compose, je recherche surtout une impression musicale à la fois excitante et spirituelle. Je cherche tout le temps des sons qui permettent à l’esprit de débrancher et d’être porté comme par des vagues. Ces vagues proviennent de plusieurs sons : ceux d’instruments électroniques qui nous émerveillent, mais parfois ça peut venir aussi d’un rythme de batterie ou d’une polyrythmie de percussions apprises pendant un voyage. Par exemple, dans le morceau « Dessine », qui est sorti sur un EP [mini album, ndlr] qu’on avait enregistré en Afrique, il y a un rythme de batterie que notre batteur venait d’apprendre à Cotonou au Bénin. On a fini de l’enregistrer avec un joueur de krar [instrument de musique à cordes, proche de la lyre, ndlr] en Éthiopie. Ça vient donc autant des voyages que des instruments ou simplement des envies.
On vous prête souvent une parenté musicale avec Dominique A ? Ce parrainage vous convient-il ?
Oui ! J’ai d’ailleurs un très beau souvenir d’un concert de Dominique A à Grenoble. Il était programmé au Cabaret frappé en 2002 ou 2003. Ça fait partie des concerts qui m’ont construit. Ce qui est formidable chez lui, c’est qu’il a une connexion à la fois avec le français littéraire et avec la légèreté de la pop et de l’écriture automatique. Ce qui fait qu’il utilise un savoir-faire anglo-saxon, qui consiste à faire sonner la langue française.
Ce mariage de la pop et de la langue française vous caractérise vous aussi. Les chanteurs et musiciens français sont-ils rares à utiliser la langue française comme une véritable matière sonore ?
J’ai l’impression que, depuis quelques années, le français est vraiment utilisé comme une matière sonore par de jeunes groupes. Beaucoup de chanteurs français ont recours à l’écriture en yaourt. C’est-à-dire qu’ils trouvent des sonorités et collent ensuite des mots français en accord avec ces sonorités. J’ai pu moi-même avoir recours à cette méthode-là pour écrire.
Vous ne semblez pas avoir utilisé cette méthode dans votre dernier album, Solide Mirage, au sein duquel votre propos s’est politisé. Ce changement découle-t-il d’une prise de conscience de votre part ?
Je trouve qu’on est tombé dans le royaume de la forme sans le fond. On retrouve cette facilité à tous les degrés de la culture en ce moment. Quand des évènements politiques tragiques nous arrivent [l’album a été réalisé pendant l’année 2015, ndlr], on se rend compte qu’on aurait peut-être dû soigner le fond aussi. Je pense que j’avais envie de me reconnecter avec ce qui avait du poids dans nos vies.
Le paysage culturel français manque d’engagement, d’après vous ?
Oui, on se laisse complètement endormir par la plastique des choses. C’est comme si on faisait des maisons en toiles scintillantes et que, quand le vent souffle un peu trop fort, la maison s’envolait parce que les fondations n’étaient pas suffisamment solides. Il en est de même de la fondation des organisations entre les hommes qui a besoin de quelque chose de beaucoup plus profond que simplement le divertissement, le fun et la poésie légère.
Comment le public a‑t-il reçu le changement de ton de votre dernier album ?
C’est assez timoré. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens contents qu’il y ait enfin cette prise de parole. D’autres se retrouvent toujours dans l’énergie simple des morceaux. Mais beaucoup nous prennent un peu pour une espèce de groupe un peu rabat-joie qui ne prête pas assez d’attention à son image. On nous fait le reproche d’être un groupe qui ne s’est pas démarqué clairement par une image créée de toute pièce.
On vit tellement dans une industrie qui marche sur l’image et sur l’identité d’un groupe ! Il faut vite être référencé, catalogué… Or, on cultive un état d’esprit qui est davantage centré sur l’ouverture, l’engagement, l’énergie et la sincérité. Malheureusement, ce ne sont pas des valeurs très vendeuses. Mais on a quand même le soutien d’un certain public : beaucoup de gens plus âgés d’ailleurs, c’est assez étonnant. On a beaucoup de 40 ans et plus à nos concerts. J’ai l’impression que c’est une génération qui a eu l’habitude d’avoir les mains dans le cambouis, d’avoir réfléchi en profondeur au système et à la manière de s’organiser. Notre musique fait plus écho à ce public-là qu’à un public de jeunes qui a l’habitude de scroller [faire défiler verticalement le contenu d’un document sur un écran, ndlr] des profils sur les réseaux sociaux.
Vous abordez notamment la question des migrations humaines dans le titre « Grand Dérèglement ». Dans le clip, on vous voit danser aux côtés de Mohammed Okal à l’intérieur du palais de justice de Bruxelles. Quel sens cela prend-il pour vous ?
J’avais croisé Mohammed Okal dans un lieu associatif qui invitait des immigrés à avoir une pratique artistique. J’ai vu ce danseur au charisme incroyable. C’était subjuguant de le voir mener cet atelier de danse. C’était un réfugié de Gaza, qui est arrivé à Bruxelles il y a deux ans. La communauté flamande, qui s’est occupée de lui à son arrivée, lui a proposé de devenir prof de danse palestinienne à Bruxelles. Quand il a été question de mettre le morceau « Le Grand Dérèglement » en image, j’ai imaginé le voir danser dans le palais de justice de Bruxelles.
C’est un monument qui domine toute la ville mais qui est complétement recouvert d’échafaudages. C’est une splendeur cachée. On a aussi l’impression qu’il sort d’une période antique. Et, pourtant, il se trouve au cœur de l’Europe, à Bruxelles. Je voulais mêler tous ces aspects-là : être hors du temps et, en même temps, être dans l’ultra-contemporain en montrant un migrant qui arrive au cœur de l’Europe.
Vous vivez à Bruxelles depuis quelques années. Est-ce que la ville influence votre état d’esprit ?
Oui, entièrement. C’est une ville qui a le mérite d’être très calme et, en même temps, tous les gens qui habitent ici peuvent mener leur vie à leur manière. Il n’y a pas de grosse pression. À côté de ça, c’est aussi une ville étrange parce qu’on est au cœur de toutes les décisions européennes. C’est surprenant de vivre dans un endroit aussi calme et d’entendre parler de Bruxelles constamment aux informations. C’est là que les gens se réunissent et que toutes les directives – que ce soit en matière de diplomatie, de santé, d’agriculture… – qui règlent nos vies sont décidées. C’est aussi ce paradoxe que j’ai voulu exprimer dans le titre de l’album « Solide Mirage ».
Dans le morceau « Grand dérèglement », comme dans de nombreux titres de l’album, on croit reconnaître tel ou tel folklore musical sans jamais en identifier un précisément. Est-ce voulu ?
Dans ce titre, je ne sais pas trop d’où ça me venait. J’écoute beaucoup de musiques venant de partout. J’ai une collection de cassettes de musique arabe, ça vient peut-être de là ou alors du voyage qu’on a fait au Caire et au Liban. Mais il y a des gens qui trouvent que ça sonne irlandais. Pour moi, c’est juste une volonté de s’agripper à des riffs [combinaison de notes, d’accords ou refrain joué de manière répétitive, ndlr]. Led Zeppelin avait beaucoup de riffs arabes dans leurs riffs de guitare. Je ne sais pas si on leur en faisait la remarque mais ça ne date pas d’hier en tout cas.
Vous composez la musique et écrivez les paroles de tous les titres. L’une des démarches devance-t-elle l’autre ?
C’est assez organique. Il y a beaucoup d’élans différents qui sont lancés et puis, au fur et à mesure que ça avance, on fait des concerts pour préparer les morceaux, pour les tester en live. Ça aiguise le choix des textes, leur durée… On voit comment le groupe oriente le morceau et la réaction du public en concert.
À l’intérieur de l’album, le titre « Bête morcelée » dénote avec ses sonorités punk. Que fait-il là ?
J’avais plusieurs morceaux de cette trempe-là. J’avais déjà mis les pieds dans ce terreau musical qui m’a été rappelé par la scène musicale de Los Angeles où je suis allé faire un tour pour voir des groupes garages qui ont fait resurgir les sonorités grunge des années 90. J’écoutais un peu cette musique-là et puis ça m’a rappelé l’énergie que j’avais quand j’étais ado. Ceux qui me connaissent depuis longtemps ne seront pas vraiment surpris de retrouver ce morceau et les autres comprendront d’où ça vient.
Propos recueillis par Adèle Duminy
INFOS PRATIQUES
François and The Atlas Mountains + Quai d’Orsay
Jeudi 18 mai