REPORTAGE – Les “nuitsdeboutistes” grenoblois seront dans la rue ce lundi 1er mai, « pour combattre le fascisme et le capitalisme ». Le mouvement Nuit debout qui tenait son assemblée générale jeudi soir place Saint-Bruno, n’appelle donc pas les électeurs à voter pour Emmanuel Macron le 7 mai prochain, en vue de faire barrage à l’extrême-droite et à sa candidate Marine Le Pen.
« Je suis choqué qu’on ne soit pas tous dans la rue comme en 2002 ! », s’émeut un jeune homme qui se lève sur les marches de la fontaine faisant office d’amphithéâtre, ce jeudi 27 avril au soir, lors de l’assemblée générale hebdomadaire de Nuit debout Grenoble, place Saint-Bruno. Au lendemain du 21 avril 2002, les manifestations spontanées éclataient en effet un peu partout en France pour rejeter le Front national. L’annonce de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles était reçue comme un choc, un séisme… On appelait illico au barrage du FN, en exhortant à voter Jacques Chirac.
Quinze ans plus tard, le même scénario se reproduit avec Marine Le Pen, mais la réaction des politiques, comme celle des citoyens n’est plus du tout la même. Et ce soir-là, le jeune homme est bien le seul à s’en étonner, ou pas loin. Il n’y aura d’ailleurs pas d’autres prises de paroles pour abonder dans son sens ou appeler à une manifestation d’ampleur contre le Front national…
Le contexte a beaucoup changé depuis 2002
Non, à l’évidence, il semble admis par les participants de Nuit debout et bien d’autres que la vie politique et le contexte ont beaucoup changé. « Quinze ans ont passé, tous les partis ont repris les thèmes du FN. C’est pour cela que les gens ne sont pas dans la rue… », tentait d’amorcer comme explication, une jeune fille venue au rendez-vous de Nuit debout, signifiant par là que les idées du FN se sont quelque peu normalisées.
Né dans la foulée des premières manifestations contre la loi El Khomri, Nuit debout adopte par conséquent la même posture que Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise que de nombreux nuitsdeboutistes ont soutenu par ailleurs. Et tous deux de fustiger le candidat du néolibéralisme, qui souhaite amplifier la loi Travail.
Pour cet autre fidèle de Nuit debout, ce n’est pas que les idées du FN ne soient « plus aussi abjectes » qu’elles ne l’étaient, mais qu’aujourd’hui, étant donné les difficultés économiques entre autres, les gens en ont plus qu’assez d’un non-choix : « Ils sont dégoûtés, parce qu’entre le néolibéralisme et l’extrême droite, ils n’ont pas un choix normal. S’il n’y a pas beaucoup de mobilisation dans la rue contre le FN, c’est parce qu’en face, il y a un candidat néolibéral également dangereux. »
Face à cette alternative sans issue positive, le mouvement Nuit debout défilera « pour combattre le fascisme et le capitalisme », ce lundi 1er mai, en tête de cortège. Le rendez-vous est donné à 14 heures à la gare. « Venez avec vos pancartes ! », glissera Romain en fin de réunion aux participants qui auront été plus prompts à parler politique qu’organisation…
S’abstenir ou voter Macron, des militants hésitent encore…
Pas d’appel donc à faire barrage au Front national, le 7 mai prochain, par les nuitsdeboutistes. Mais pas de consigne de vote non plus… Chacun votera en son âme et conscience.
Ne pas voter du tout, comme au premier tour, sera également l’option prise par un certain nombre d’entre eux. Cédric ne s’en cache pas, il fait partie de ceux qui s’abstiendront : « Entre l’esclavagisme financier et le racisme, je n’arrive pas à donner une légitimité à ce pouvoir. »
Un autre renchérit : « Macron va augmenter les conflits sociaux. Faites ce que vous voulez mais je ne peux pas choisir entre le racisme et l’ultralibéralisme. » Voter Macron pour cette jeune femme, qui hésite encore, c’est « peut-être réalimenter le FN pour cinq ans ». Une crainte que semblent partager quelques participants sur les marches ou debout autour du bassin, qui secouent les mains en l’air, signifiant leur approbation…
Cet autre militant est partagé également : « J’hésite à voter Macron, mais je sais que si le FN passe, ce n’est pas moi qui me ferait tabasser avec ma peau blanche. » S’il y a bien quelques votes pour Macron dans l’assemblée, ils sont purement pragmatiques : « Je voterai Macron parce qu’avec Le pen, on va se prendre l’armée en pleine gueule. »
D’autres s’abstiendront le 7 mai en espérant que ce soit tout de même Macron qui passe. Marc votera blanc, tout en étant rasséréné de savoir que, d’après ses calculs, « Macron devrait passer ». En est-il sûr ? A les entendre, un homme, lui, ne l’est pas, et tente cette ultime mise en garde : « Je suis un citoyen normal, se présente-t-il. Le FN est un parti extrémiste, fasciste, anti-Islam, anti-juif… On ne peut pas accepter un parti comme cela, je veux que vous vous mobilisiez contre le FN ! »
Pour Nuit debout, les médias traditionnels sont à la solde de Macron
Assis en demi-cercle sur l’amphithéâtre, place Saint-Bruno, la petite cinquantaine de participants venus ce jeudi 27 avril s’étiole peu à peu. Il faut dire qu’il fait un froid glacial. Écourtée de fait, la majeure partie de la soirée aura été consacrée à tirer le bilan du 1er tour de la présidentielle, mais aussi à copieusement fustiger les médias de masse « manipulateurs », qui ont soutenu le candidat Macron, et « influencé l’opinion ».
Néanmoins, pour quelques-uns des participants de la soirée, la bouteille reste tout de même à moitié pleine : « Après réflexion, le bilan n’est pas si négatif. On a rebattu les cartes, avec un candidat de gauche radical qui fait 20 % », considère l’un d’entre eux. Avant d’achever son propos par cette interrogation, qui restera en suspens : « A présent qu’est-ce que cela permet comme dynamique ? » Nuit debout Grenoble devra s’atteler à y répondre dans les semaines à venir…