TRIBUNE LIBRE – Pascal Clérotte, porte-parole du groupe d’analyse métropolitain (Gam), dresse un portrait critique de la presse quotidienne régionale jugée trop proche du microscosme politique.
PASCAL CLEROTTE
Ce citoyen grenoblois, consultant en intelligence concurrentielle pour un cabinet de conseil américain et expert en opérations et sécurité pour la Commission européenne est le porte-parole du groupe d’analyse métropolitain (Gam). Un groupe qui, depuis 2013, se penche sur les décisions et comptes des collectivités locales, en formulant de sévères critiques. L’homme intrigue, dérange et suscite l’ire des responsables politiques visés, qui dénoncent à l’envi le manque de partialité du Gam, dont Pascal Clérotte est le seul membre connu.
Après avoir été militant socialiste à Fontaine jusqu’en 2008, membre du comité de soutien de Michel Destot en 2011, puis écologiste à Bruxelles (parti Ecolo) jusqu’en 2015, Pascal Clérotte n’exclut pas la possibilité que ce même groupe puisse constituer sa propre liste pour ferrailler dans l’arène politique locale lors de l’échéance électorale municipale de 2020.
Quand les médias locaux pallient les manques de la presse nationale
Donald Trump a dû renoncer à soumettre au vote sa loi remplaçant l’Obamacare, dispositif qui garantissait un accès à une assurance maladie à la plupart des Américains. Un fait quasiment passé inaperçu alors qu’il explique cette défaite politique sans précédent dans l’histoire américaine.
Comme le souligne la vénérable Columbia Review of Journalism – dont le rôle est d’apporter la réflexion nécessaire à la profession de journaliste, soumise à des changements rapides et brutaux – c’est la presse locale bien plus que les médias nationaux qui a sonné l’alarme quant aux conséquences désastreuses de la loi voulue par Trump. Elle aurait laissé plus de 30 millions d’Américains sans assurance santé, donc avec un accès aux soins très réduit, voire inexistant. C’est la presse locale qui a fait que les citoyens sont allés tirer par l’oreille leurs parlementaires, y compris dans les États ayant massivement voté Trump, les forçant ainsi à mettre en minorité le président alors que les Républicains détiennent la majorité absolue les deux chambres du congrès.
C’est parce que la presse locale américaine a fait le travail de bénédictin de traduire concrètement, de manière compréhensible par tous au niveau local, à l’échelle de la ville, du comté, de l’État, avec des chiffres, des simulations, des infographies les conséquences d’une loi fédérale particulièrement complexe sur le quotidien “réel” que les gens ont pu s’en saisir, comprendre l’impact qu’elle aurait sur leur situation, faire usage de leur libre arbitre et aller interpeller leurs parlementaires.
Le règne de la communication
Les journalistes n’ont jamais été les seuls à produire de l’information. La société civile, les administrations, les chambres consulaires, les universités etc. produisent également de l’information. Le grand drame est qu’aujourd’hui les institutions qui ont une obligation d’information communiquent trop, c’est-à-dire délivrent des informations partielles, partiales et biaisées parce que conçues pour paraître sous un jour favorable, et non pas pour donner aux citoyens les éléments leur permettant de forger leur propre opinion en usant de leur libre arbitre.
Cela a pour effet immédiat que nous sommes en campagne électorale permanente, alors que le temps de la gestion demande des compétences différentes de celle de l’accès au pouvoir, parce que la collectivité, comme institution, survit aux Hommes et aux alternances politiques. Cette obsession de la communication est l’une des nombreuses causes de l’incapacité de la plupart des élus de concevoir des politiques publiques de long terme, basées sur les consensus nécessaires à la continuité de ces politiques par-delà les alternances. Et cela résulte à son tour du fait qu’une politique ou une décision ne sera considérée comme bonne que si elle fait apparaître ses promoteurs sous un jour favorable, si sa valeur communicationnelle est immédiate, et tant pis pour le futur.
On peut le voir par exemple avec CVCM, décision prise sans étude sérieuse des conséquences, alors que le développement des transports en commun et plus particulièrement du tram, conçu et planifié par Hubert Dubedout, fut repris et réalisé par Alain Carignon, puis poursuivi et étendu par Michel Destot, sur une période de trente ans. Ce qui a par exemple amené de 2007 à 2014 une baisse de la pollution de 25 %, tous polluants confondus.
Du rôle fondamental des journalistes
C’est parce que tout ce qui est conçu n’est que communication que le rôle des journalistes est de plus en plus fondamental. Il ne s’agit plus, comme c’est trop souvent le cas, de reprendre des communiqués de presse, mais d’aller fouiller où il faut afin de rétablir la réalité d’une politique ou d’une décision, de la remettre dans son contexte et d’en peser tous les tenants et les aboutissants. Car leurs interlocuteurs sont de moins en moins honnêtes.
Le rôle de la presse n’est-il pas de donner les moyens à ses lecteurs de se forger leur propre opinion, plutôt que de former les opinions ? Un journaliste n’est pas un acteur politique. S’il respecte la déontologie, il se trouve en position de mettre les élus en face de leurs responsabilités et de leurs contradictions. Cela exige une distance à la fois du sujet mais également de l’objet (les élus) qu’il traite.
Loin de nous de vouloir ici instruire le procès de la presse quotidienne régionale (PQR) française, dont tout le monde connaît les défauts. Mais il est intéressant de voir combien ce qu’il y a de plus dérangeant et délétère dans le fonctionnement du microcosme politico-médiatique parisien est reproduit à l’identique localement.
Et l’objectivité dans tout ça ?
Citer Trump en introduction n’est pas un hasard. Sa tactique communicationnelle est si évidente – si obscène – que cela en fait un cas d’école. Mais il ne fait pas autre chose que ce que tous les élus font.
Le deal est toujours le même : vous me donnez une couverture favorable, je vous garantis un accès privilégié à moi et mon équipe, en sus d’autre avantages. Énorme marché de dupe car l’accès privilégié, qui flatte l’ego (et la flemme) de journalistes politiques trop fascinés par le microcosme, ne garantit en aucun cas l’accès à plus ou à de meilleures informations, bien au contraire. Cela garantit juste que les informations initiales récoltées seront toutes biaisées et partiales, et cela incite, ego et flemme aidant, à ne pas aller fouiller plus loin, à ne pas vérifier et remettre en contexte ce que les communicants fournissent, à sous-estimer d’autres sources d’information puisque la matière est livrée déjà rédigée. Le texte sans le contexte, ça fait con.
Dans le cas de la presse quotidienne régionale (PQR), notons que les collectivités sont également des clients, des annonceurs, non négligeables. Immanquablement, les journalistes qui rentrent dans ce genre de système sont les dindons de la farce, et par voie de conséquence, leurs lecteurs sont abusés. Et la presse perd en crédibilité.
PQR, Presse Quasiment Rédhibitoire ?
Quand des journalistes voyagent aux frais de la princesse à Las Vegas pour accompagner Laurent Wauquiez, ou à Tel Aviv pour suivre Eric Piolle, comme ce fut le cas de journalistes du Dauphiné libéré, peut-on attendre une couverture “réaliste” ?
On nous parle de la French-Tech au CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas alors que l’électronique grand public ne rassemble quasiment pas de “vraies” start-up “innovantes”. Les “vraies” start-up “innovantes” pour la plupart ne fabriquent pas des objets connectés mais des choses nettement plus “sérieuses”, moins sexy, avec des efforts de R&D importants et s’adressant à des marchés soit très spécialisés, soit au marché d’entreprises, cinq fois plus important que le marché consommateur.
Quand on nous relate la visite d’Eric Piolle et d’une délégation de quatre personnes en Israël organisée en catimini, on ne nous relate pas les vraies raisons d’une telle visite qui ne visait visiblement pas à renforcer la coopération déconcentrée, puisque le temps passé avec les partenaires locaux de la ville de Grenoble fut largement minoritaire au programme.
Dans ces deux cas, les journalistes ont eu un accès privilégié, et n’ont pas fait le travail de remise en contexte, tout comme ils n’ont pas fait l’effort de raconter l’envers du décor, mais ont fait apparaître ceux qui ont financé leur voyage sous un jour favorable.
Nous ne soulignerons jamais assez le rôle de la presse locale qui, mieux que la presse nationale qui informe ses semblables, les 15 % de la “classe dirigeante”, en confortant leur point de vue, peut donner la parole à ceux à qui on demande rarement l’avis. Nous ne soulignerons jamais la fonction fondamentale de la presse locale, qui mieux que la presse nationale, est en capacité de faire comprendre aux gens l’impact de politiques et de décisions sur leur vie quotidienne. Nous ne soulignerons jamais assez que la PQR en France a renoncé à faire cela, pour de multiples raisons.
Tout n’est pas perdu
Mais espoir il y a ! La presse en ligne, les “pure players”, eux, ont compris que la vraie demande d’information résidait là. Même si aujourd’hui les conditions économiques de ces nouveaux médias restent précaires, elles s’améliorent. Contrairement à ce qu’on croit, la mauvaise information ne chasse pas la bonne sur Internet et les réseaux sociaux, parce qu’on peut la consommer à sa guise, parce que cette consommation est le résultat d’un choix soumis à peu de contraintes, puisque le média n’est pas physique.
Le journaliste redevient donc ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un observateur et un analyste dont le travail permet de former son opinion, non pas un acteur se situant au même niveau et dans la même sphère que les politiques.
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* Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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