TÉMOIGNAGE – Présente sur le campus de Saint-Martin-d’Hères mardi 28 mars à l’occasion d’une rencontre sur le thème de la prostitution, Rosen Hicher, une « survivante », a livré son témoignage et le récit de son expérience. Une parole forte qu’elle dit porter en son nom et en celui de toutes les personnes prostituées qui ont peur de s’exprimer.
« Aucune petite fille ne rêve de devenir prostituée. » Rosen Hicher rêvait, elle, de devenir hôtesse de l’air. Elle embrassera finalement la profession d’électronicienne, avant de commencer à se prostituer passée la trentaine. Durant vingt-deux ans, elle a “vendu son corps” à des clients qu’elle considère aujourd’hui comme des agresseurs.
Elle était présente sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, mardi 28 mars, pour témoigner de son expérience devant un public majoritairement étudiant. Ceci à l’initiative d’Osez le féminisme 38 et de l’association l’Amicale du Nid (voir encadré).
La « machine à broyer »
« Je parle en mon nom, mais aussi au nom de toutes les personnes prostituées qui restent enfermées chez elles, qui n’osent pas parler et me donnent l’autorisation de le faire pour elles », précise d’emblée Rosen Hicher. Son parcours est éloquent : tombée dans la prostitution « du jour au lendemain, comme si c’était quelque chose de naturel » alors qu’elle était mariée et mère de famille, il lui faudra dix ans pour réaliser que cette manière de gagner de l’argent n’avait justement rien de « naturel. »

Un public majoritairement étudiant, et majoritairement féminin, était venu assister à la rencontre organisée entre midi et deux heures sur le campus. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Une prise de conscience qu’elle décrit comme une révélation cauchemardesque : « J’étais assise et j’ai eu l’impression d’être au-dessus de mon corps, comme dans une bulle, comme si j’étais entre la vie et la mort, dans les couloirs de la mort. C’est là que je me suis dit que quelque chose n’était pas naturel dans ma vie. On ne peut pas vivre cette très mauvaise expérience sans avoir subi des violences ou, simplement, sans que ce que l’on pense être sa liberté soit elle-même une violence. »
Et Rosen Hicher reconstitue le puzzle de sa vie : une garde confiée à son père, alcoolique, qu’elle a vécue comme un « kidnapping », un viol commis par son oncle alors qu’elle était en vacances chez lui à l’âge de 13 ans, un second viol à 16 ans commis par un ami de son père, une rencontre à 17 ans avec deux proxénètes au cours d’une fugue… « J’ai compris que je n’étais pas prostituée par hasard, et que ce n’était pas du tout un choix : c’est la machine à broyer qui, un jour, est revenue. »
« Mon corps était une machine »
Durant toutes ses années de prostitution, Rosen Hicher voulait en effet croire que sa pratique était un choix. Aujourd’hui “abolitionniste”, elle l’explique : « Pour tenir debout, on est obligée de se dire que c’est un choix, sinon on s’effondre. Mais j’ai eu un comportement suicidaire. Rien qu’aller vers le client, c’est un comportement suicidaire. Pour se sauver de la réalité, on se déconnecte de la vie. »
Et l’on se déconnecte de son corps, décrit-elle encore. « Quand j’allais chez le médecin, j’emmenais mon corps chez le mécanicien. Je n’emmenais pas mon corps à soigner : j’emmenais une machine à réparer. Dans ma tête, c’était clair : c’était une machine. »
L’addiction à l’argent
Après sa prise de conscience, il faudra encore dix ans à Rosen Hicher pour sortir de la prostitution. Un matin d’octobre 2009, c’est le déclic. Comme le dénouement d’un long cheminement : Rosen a décidé que c’était fini. Fini la prostitution mais aussi fini l’alcoolisme qu’elle avait développé pour, là encore, « tenir le coup. »

Rencontre à la Galerie des amphis mardi 28 mars, avec Rosen Hicher, et les membres de l’amicale du nid Élise Volluet et Clémentine Amiot. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Mais pourquoi est-ce si dur de cesser de se prostituer ? « Le problème, c’est que la personne prostituée devient addict à l’argent. Elle vit dans l’immédiateté, au jour le jour, ne fait jamais d’économies et distribue tous ses biens. » De l’argent qui brûle les doigts ? « C’est de l’argent qu’on ne garde pas, explique Rosen Hicher. De l’argent qu’on ne respecte pas, qui ne nous respecte pas puisqu’il vient d’un homme qui nous agresse. La meilleure façon de l’oublier, c’est de le faire disparaître tout de suite. »
« Les hommes, les femmes… et les putes »
Aujourd’hui, et depuis plusieurs années, Rosen Hicher apporte son témoignage à la cause abolitionniste. Elle a cofondé en France un mouvement des survivantes de la prostitution, né aux États-Unis et qui compte des ramifications dans le monde entier.
Pourquoi un tel engagement ? « Il y a toujours la parole des personnes prostituées qui se disent heureuses et jamais celle des autres, estime-t-elle. J’ai voulu apporter un contrepoids et dire non. On nous montre une image magnifique de la prostitution alors que c’est tout simplement l’horreur à l’intérieur. »

Rosen Hicher et Laurane Goueslain (Osez le féminisme 38) s’entretiennent avec des étudiantes après la rencontre. © Florent Mathieu – Place Gre’net
« Je ne peux plus accepter qu’il y ait les hommes, les femmes et les putes. Les putes sont des femmes et ces femmes-là ont besoin d’être aidées, d’être soutenues et d’être considérées. La honte qu’elles portent, elles n’ont pas à la porter. Les seuls qui ont à la porter, ce sont les clients, les proxénètes et la société qui les stigmatisent », ajoute-t-elle.
« Les prostituées passent à côté de leur vie »
La prostitution choisie, elle n’y croit pas. « Toutes les personnes que je rencontre dans la prostitution ont un parcours pratiquement identique : abus sexuels, violences conjugales, alcoolisme… Les parcours de vie se rejoignent ! » Et Rosen Hicher de citer le cas d’une personne prostituée se disant heureuse de sa condition, tout en admettant avoir commencé à l’âge de… 5 ans, prostituée par sa mère.
C’est aussi à ces personnes que s’adresse Rosen Hicher. « J’aimerais qu’elles prennent conscience qu’elles sont en train de passer à côté de leur vie. Je me demande ce qu’auraient été ces vingt-deux années si je n’avais pas été prostituée… »
Florent Mathieu
L’AMICALE DU NID, EN LUTTE CONTRE LA PROSTITUTION ET LA PORNOGRAPHIE
La venue de Rosen Hicher à Grenoble a été l’occasion d’un débat sur la question de la prostitution devant une centaine de personnes, pour la plupart étudiantes. Élise Volluet et Clémentine Amiot, de l’association l’Amicale du nid, ont pu exposer la position abolitionniste de leur structure.
Association militante, l’Amicale du Nid assure également un accompagnement social des personnes prostituées. Ses membres vont à leur rencontre sur le terrain, et participent à des actions de sensibilisation et de prévention.
« Le corps humain n’est pas une marchandise »
Élise Volluet veut rappeler les grands principes : « La prostitution est incompatible avec la dignité humaine et l’égalité entre les femmes et les hommes. Le corps humain ne peut être considéré comme une marchandise ou comme une chose. » Et si l’association se refuse à toute position moralisatrice vis-à-vis de la sexualité, elle n’accepte aucune complaisance à l’égard de la prostitution. Pas question, de fait, de la considérer comme un “métier”.
« Nous souhaitons développer des missions dans un abolitionnisme cohérent, renforcé par l’interdiction d’achat de tout acte sexuel qui ne pénalise pas les personnes prostituées, mais les accompagne dans des insertions socio-professionnelles », précise encore Élise Volluet.
Pas de spécificités à la prostitution étudiante
Et puisque la question de la prostitution étudiante se pose naturellement au cours d’une rencontre sur un campus, Clémentine Amiot se montre très claire : « Nous ne parlons pas des prostitutions, mais de la prostitution. »
Les études menées par l’association n’ont montré aucune spécificité propre au milieu étudiant. « On retrouve les mêmes raisons qui conduisent à la prostitution : précarité, souffrance et maltraitances, ruptures familiales, domination et emprise… », affirme Clémentine Amiot
« Concernant les impacts, ils sont les mêmes que dans les autres formes de prostitution. La prostitution des étudiantes ne peut donc être envisagée de manière différente des autres prostitutions », précise-t-elle encore.
Les médias accusés de banaliser la prostitution
Au cours des échanges, les médias seront largement accusés de banaliser la prostitution, d’en donner une image « glamour et consumériste ». « Est-ce que vous avez déjà lu ou vu un reportage qui concerne une prostituée malheureuse ? On ne voit que des femmes épanouies, heureuses, qui gagnent beaucoup d’argent… C’est un leurre ! », s’indigne une intervenante.
Élise Volluet dénonce pour sa part une « propagande de la pornographie » : « Elle est accessible dès le plus jeune âge, affirme-t-elle, et devient une certaine norme. Ce qui est montré sont des actes très violents, de domination des hommes sur les femmes, de banalisation de toutes formes de sexualité. Les jeunes ne savent pas s’ils doivent accepter telle ou telle pratique, si cela fait partie de leur choix ou des normes sociales. »
Laurane Goueslain, membre d’Osez le féminisme 38, enfonce le clou. « La pornographie entretient la prostitution. On a un système d’asymétrie d’éducation sexuelle : la source du jeune garçon sera le porno, auquel il a accès en masse avec des choses toujours plus horribles, et pour les filles ce seront les cours de SVT où on lui dit qu’elle peut procréer. L’homme va se dire qu’il a le droit de faire du mal à une femme sexuellement, et une petite fille va se dire qu’elle doit être à la disposition de l’homme. »
Des pratiques de plus en plus violentes
La pornographie, les réseaux sociaux – voire les jeux vidéos – contribueraient aussi à l’évolution des pratiques des clients, de plus en plus perverses. « Elles ont vraiment évolué, et pas dans le sens positif. On voit beaucoup plus de scato, de choses violentes », décrit Élise Volluet.
Élise Volluet, Aurélia Vilotta et Clémentine Amiot, de l’Amicale du Nid. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Rosen Hicher le confirme, décrivant des clients pratiquant de l’automutilation, réclamant des violences, des rapports scatologiques, voire zoophiles… « La tendresse, ils ne connaissent pas, et c’est de pire en pire. Je pourrais citer ce grand acteur qui était scatophile… Si c’est ça le manque d’amour, dans ce cas je n’ai rien compris ! », déclare-t-elle, sans une once de sourire.
« Quand on va sur les sites de différents clients, ce qu’ils s’échangent sont des fantasmes qui vont de plus en plus loin, affirme Élise Volluet. Et comme le fantasme précédent a été assouvi, on va chercher le suivant. Et jusqu’où va-t-on aller ? Le fantasme ultime, c’est la mort de l’autre… »
Le non-choix
Toutes ces réalités de terrain contrastent, jugent les militantes de l’Amicale du Nid, avec le caractère “sexy” de l”« escorting », des sites comme SugarDaddy, des “maisons closes” de certains pays d’Europe, des bars à hôtesses… ou simplement d’une prostitution qui serait pratiquée par choix.
« La prostitution ne peut être un choix dans une société patriarcale à domination masculine. Le jour où la société présentera 50 % de clients et 50 % de clientes, 50 % de femmes qui se prostituent et 50 % d’hommes qui se prostituent, peut-être que je verrai les choses différemment », ironise Élise Volluet.