FOCUS – Entre le dépôt d’un dossier et son examen par le tribunal administratif, il faut compter un an. Si Grenoble est dans la moyenne nationale, son nouveau président a une priorité absolue : réduire le stock d’affaires anciennes. Mais sans moyens humains supplémentaires… Aujourd’hui, 648 dossiers vieux de plus de deux ans patientent encore.
Le devenir du projet de piétonnisation du centre-ville de Grenoble se joue en grande partie ce 1er mars dans la salle d’audience du tribunal administratif.
Les magistrats grenoblois auront à examiner deux référés-suspension déposés par Jean-Damien Mermillod-Blondin, le chef de file de l’opposition de droite métropolitaine contre deux délibérations votées par la Métropole, coup d’envoi à l’opération Cœurs de ville, cœurs de métropole. Depuis quelques mois, les recours visant des décisions prises par la Métro ou la ville de Grenoble s’enchaînent place de Verdun.
Le recours contre la composition du conseil de la Métropole, jugée illégale ? Rejeté. Le recours contre la journée sans services publics organisée le 25 novembre 2015 ? Rejeté. Le recours contre la tarification sociale du stationnement résident ? Validé.
Une indépendance renforcée avec la déclaration d’intérêt
L’enjeu est de taille. Et il est aussi politique. Une dimension dont doit s’affranchir le juge administratif, par essence indépendant et impartial. Une indépendance garantie dans le statut des magistrats, renforcée moyennant quelques limites depuis l’année dernière avec l’obligation pour chacun d’entre eux de remplir une déclaration d’intérêt, mais pas rendue publique…
« Le tribunal est le juge de la légalité des décisions, rappelle le nouveau président du tribunal de Grenoble, Denis Besle. Le juge administratif est là pour rappeler les règles de droit et les sanctionner quand elles sont affranchies. »
Activité du tribunal administratif de Grenoble
Jugements : 7 505 en 2016 contre 7 972 en 2015 (- 6 %)
Contentieux fiscal : 913 dossiers en 2016 ; 970 en 2015 (- 6 %)
Contentieux des étrangers : 2 207 en 2016 ; 2 514 en 2015 (- 12 %)
Contentieux fonction publique : 735 en 2016 ; 1 001 en 2015 (- 27 %)
Contentieux sociaux : 1 126 en 2016 ; 979 en 2015 (+ 15 %)
Contentieux de police : 424 en 2016 ; 392 en 2015 (+ 8 %)
Contentieux environnement et urbanisme : 903 en 2016 ; 797 en 2015 (+ 13 %)
Affaires en attente (plus de deux ans) : 648 en 2016 contre 748 en 2015 (- 13 %)
En 2016, 7 505 affaires ont été jugées sur le ressort de la juridiction du tribunal, soit sur les départements de l’Isère, de la Drôme et des deux Savoie. C’est un peu moins qu’en 2015 (7 986 affaires jugées). Une accalmie après « plusieurs années de hausse ».
Car si certains contentieux sont à la baisse – ceux liés aux étrangers et au droit d’asile qui représentent 30 % des dossiers –, les affaires liées à l’urbanisme et à l’environnement sont reparties à la hausse après un léger tassement les deux années précédentes. Certaines ont fait notoirement parler d’elles, comme le Center parcs de Roybon ou l’abattage des bouquetins du Bargy.
Le social, deuxième contentieux du tribunal de Grenoble
Le contentieux social, lui, continue de progresser régulièrement. RSA, aide allocation logement, aides sociales, handicap… Autrefois marginal, le contentieux social, en hausse de 15 % en 2015 et 2016, est devenu le deuxième du tribunal administratif de Grenoble.
Résultat, il faut compter un peu moins d’un an (onze mois et vingt jours exactement) pour qu’une affaire soit jugée par le tribunal administratif de Grenoble. C’est une moyenne. Car si l’on fait abstraction des affaires relevant des procédures d’urgence (référés-liberté et référés-suspension) ou dont le traitement doit être accéléré, le délai moyen passe à deux ans. Si la juridiction, dont le ressort englobe l’Isère mais aussi la Drôme et les deux Savoie, est dans la moyenne nationale, cela n’est pas suffisant pour son nouveau président qui a pris ses fonctions en décembre 2016.
Denis Besle connaît bien le tribunal administratif de Grenoble. Et pour cause, il en a déjà été vice-président de 2009 à 2012. Avant de s’envoler pour les Dom-Tom où à la tête des tribunaux administratifs de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, le magistrat a fait le ménage : il a ramené les délais de jugement de six à… deux ans.
De retour à Grenoble, le magistrat entend bien garder le cap. « Il faut juger rapidement, souligne-t-il. La réduction des délais de jugement ces cinq dernières années est certes importante mais le tribunal administratif doit juger encore plus rapidement ».
Dans le collimateur, les affaires anciennes. Comprendre celles enregistrées depuis plus de deux ans. Depuis 2015, le nombre d’entre elles a baissé de 13 %. Mais aujourd’hui encore, 648 vieux dossiers patientent dans les couloirs.
Trente pour cent des affaires font l’objet d’un appel. Mais dans 80 % des cas, l’appel vient confirmer la première décision.
Dans 16 % des cas, le jugement est toutefois annulé. Et dans 4 % des cas, il y a confirmation du jugement moyennant ajustements.
« La tâche reste lourde mais le tribunal est déterminé à poursuivre la dynamique engagée », fait savoir Denis Besle. Voilà les trente-cinq magistrats, les trente-six agents de greffe et les huit assistants prévenus. Quitte à jongler un peu… Trois postes de magistrats sont toujours vacants, de même que quatre postes d’agents greffiers. Il devraient être pourvus d’ici la fin du premier semestre, mais le ministre ne semble guère enclin à mettre un peu plus la main à la poche.
« Ce n’est plus la politique de l’État d’accorder des moyens supplémentaires, continue Denis Besle. Il faut utiliser les outils à notre disposition pour continuer à rendre la justice. »
Le tribunal va donc devoir, comme ses semblables, faire avec les moyens du bord et s’emparer un peu plus des nouveaux outils mis à la disposition de la justice et des justiciables. Le télérecours, à savoir la gestion dématérialisée des recours, utilisée depuis 2013 est depuis le 1er janvier 2017 obligatoire pour les administrations et les avocats. L’autre piste est de développer la médiation, plus appropriée pour dénouer les situations conflictuelles. Cela tombe bien : Grenoble était département pilote en la matière.
Patricia Cerinsek