FOCUS – Deux semaines après l’incendie ayant ravagé une aile de la résidence étudiante Condillac, le syndicat Solidaires Étudiant-e‑s dénonce la gestion de la crise par l’Université Grenoble-Alpes et plus encore le Crous. Tout en s’inquiétant fortement de la présence d’amiante volatile libéré par l’incendie.
« Le plus gros problème, au-delà du manque de moyens des services, c’est le manque de transparence ! » Lundi 27 février, Jean-Loup de Saint Phalle et d’autres membres du syndicat Solidaires Étudiant-e‑s s’étaient donné rendez-vous devant le Crous de Grenoble. Motif de leur colère ? La gestion du sinistre survenu dans la résidence étudiante Condillac dix jours plus tôt, le vendredi 17 février.
L’Université s’est-elle approprié les actions de solidarité des autres ?
Le Crous et l’Université Grenoble-Alpes (UGA) sont particulièrement visés par les critiques. Ainsi, affirment les militants syndicaux, ceux-ci était quasiment absents le jour même de l’incendie. « Le manque évident de moyens déployés par le Crous a contraint Solidaires Etudiant.e.s, ainsi que plusieurs associations, à devoir prendre en charge le travail qui aurait dû être assuré exceptionnellement par les services du Crous eux-mêmes », dénonçait ainsi le syndicat dans un communiqué.
« C’est nous, et le Secours populaire, et d’autres organisations de jeunesse sur le campus, qui avons fait des collectes de vêtements ou de choses de première nécessité », explique Jean-Loup de Saint Phalle. Et son camarade Julien Auberger d’enchérir : « Ce sont des collectifs vivant parfois dans l’illégalité qui sont venus apporter des vêtements. C’était une solidarité venue d’en bas. »
Le Crous et l’UGA n’avaient pourtant pas manqué de diffuser un communiqué commun détaillant les actions mises en œuvre, y compris ces collectes de vêtements. De quoi provoquer la colère du syndicat : « Nous condamnons les pratiques de l’UGA qui s’approprie honteusement la mise en place de l’aide d’urgence à la place des associations dans son communiqué ! »
L’UGA n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais nous a transmis la réponse adressée au syndicat, à la syntaxe pour le moins tirebouchonnée. « Dans le communiqué, nous avons listé l’ensemble des actions mises en place, sans forcément les attribuer systématiquement. En l’occurrence, nous n’avions pas à la Direction de la communication l’information sur qui avait organisé cette action de collecte, n’hésitez donc pas à nous transmettre vos actions en faveur des étudiants sinistrés et nous serons ravis de les relayer sur nos différents média. »
Le Crous mis en accusation
Quant au Crous, responsable des résidences étudiantes, son attitude est très clairement critiquée par le syndicat. Quelques billets de 50 euros donnés à des étudiants sinistrés le soir de l’incendie, des relogements dans des appartements vétustes, une absence de prise en charge médico-psychologique durant le week-end… Le portrait que dresse Solidaires Étudiant-e‑s de la gestion de crise par le Crous n’est pas flatteur.
« Pendant tout le premier week-end, personne des institutions n’est venu. Sauf le directeur du Crous [Jean-Pierre Ferré, ndlr] qui est venu une heure avec un discours presque culpabilisant. Il s’agissait de défausser la responsabilité du Crous, de dire que le Crous n’y était pour rien. Une fois qu’il a dit ça, il s’est envolé ! »
De l’amiante volatile dans l’air et les bâtiments alentours ?
Le Crous est également très critiqué sur la question… de l’amiante. Présent dans le bâtiment, celui-ci représente naturellement une grande dangerosité avec l’incendie, se mélangeant à la fumée puis à la poussière environnante.
Ainsi, si quelques étudiants de la résidence sinistrée ont pu récupérer leurs affaires jusqu’à jeudi soir, la distribution a été interrompue le vendredi. En catastrophe, à en croire quelques descriptions de témoins. Mais combien de personnes sont-elles encore exposées à l’amiante, après avoir récupéré des effets personnels chargés de poussière ?
Sans compter les résidences étudiantes alentours qui n’ont, pour leur part, pas été évacuées. « Une fois brûlé, l’amiante devient très volatile, ce sont des fibres qui se logent partout… Et au lieu de se dire qu’il y a potentiellement de l’amiante dans les bâtiments d’à-côté, ils choisissent de laisser comme cela, et si les tests montrent des seuils dangereux, cela voudra dire que les étudiants auront respiré pendant deux semaines de la poussière d’amiante… », s’indigne Quentin Berzal, également de Solidaires Étudiant-e‑s.
Des seuils d’amiante sans danger selon le Crous
Les étudiants syndicalistes ne manquent pas d’ironiser entre eux sur le nuage d’amiante qui s’arrêterait aux portes des résidences, comme le nuage de Tchernobyl était censé ne pas franchir la frontière française. « Il y aurait moyen de reloger les autres étudiants de Condillac, juge Jean-Loup de Saint Phalle. Oui, un relogement ça coûte cher. Mais un cancer aussi ! »
Le Crous n’a pas souhaité s’entretenir avec Place Gre’net au sujet des différentes critiques soulevées par le syndicat. Il a néanmoins publié un communiqué le 27 février stipulant que « la concentration en fibres d’amiante dans l’air [était] inférieure à 0,9 fibre par litre. Ces résultats sont très nettement inférieurs à la valeur seuil fixée par le code de la santé publique (5 fibres/litre). »
Le communiqué ne précise toutefois pas si ces tests ont été réalisés à l’intérieur ou à l’extérieur des bâtiments, ni sur quelle amplitude géographique, ni même qui les a effectués ou à quelle date. Respirez, il n’y a rien à voir ?
Les étudiants réclament plus de transparence
Quelles sont aujourd’hui les revendications des étudiants ? Elles concernent en premier lieu le relogement. « La majorité des étudiants ont demandé un relogement dans des résidences plus spacieuses, et plus près de leurs cours. Nous allons demander que le prix des loyers reste le même que celui de Condillac auparavant. Voire qu’il soit gratuit. On estime que le Crous pourrait faire un geste. »
Mais surtout, le syndicat demande de la transparence. Tant sur les circonstances de l’incendie, la question du désamiantage des bâtiments, que sur la prise en charge même des étudiants sinistrés. Et Jean-Loup de Saint Phalle de décrire une réunion organisée le lundi 20 février entre le Crous, la préfecture et… le consul du Sénégal *, mais sans les étudiants eux-mêmes.
« Les étudiants sinistrés ne pouvaient pas assister à une réunion sur leur propre sort. Deux jours après l’incendie, il n’est rien dit aux étudiants qui ont tout perdu… », se désole t‑il.
Florent Mathieu
* La majorité des 107 étudiants occupant la résidence Condillac sinistrée sont de nationalité étrangère.
« IL Y A EU BEAUCOUP DE FAUTES SUCCESSIVES »
« Nous avons été blessés dans notre dignité humaine ». Raoua Ayari est étudiante en première année de Droit. Cette jeune Tunisienne de 19 ans habitait à l’avant-dernier étage de la résidence Condillac. C’est l’incendie qui l’a réveillée. Deux semaines après, au téléphone, la jeune femme, asthmatique de surcroît, tousse encore beaucoup.
« Quand la porte de ma chambre a pris feu, j’ai essayé de la pousser, de la fermer avec mes jambes et je me suis brûlée les genoux. Le sol chauffait, parce que l’appartement en dessous du mien était en feu. Il y avait du noir, de la fumée partout… », nous raconte-t-elle.
État de choc
La jeune femme a la sensation d’avoir frôlé la mort. Une fois descendue par les pompiers, en pyjama et pieds nus, elle dit avoir entendu son réfrigérateur exploser. « J’ai vu les flammes sortir par les fenêtres, cela m’a mise en état de choc. J’ai pensé que si j’étais restée coincée quelques secondes de plus, je serais morte. »
Raoua passera le week-end aux urgences, en état de choc, incapable de parler et s’exprimant par signes. Elle est depuis sous calmant mais ne parvient à dormir que deux heures par jour. Si elle a vu une psychologue durant son séjour aux urgences, elle affirme qu’aucune assistance ou suivi psychologique ne lui ont été proposés.
Un bâtiment dans un état catastrophique, juge la jeune femme
Raoua en veut au Crous, et compte faire partie de l’association que les étudiants de la résidence sinistrée veulent créer. « L’état du bâtiment était catastrophique, vraiment critique, à un point que vous ne pouvez pas imaginer. Il n’y avait pas de badge pour entrer, les SDF venaient se laver dans nos sanitaires. Le cahier de plaintes du Crous est rempli. Mais quand on leur a demandé ce cahier, ils n’ont pas voulu nous le fournir. »
L’amiante, Raoua y a été exposée sans le savoir. « J’avais laissé une grosse somme d’argent en liquide, des papiers importants. J’ai supplié les personnes qui allaient dans les chambres de regarder. Ils m’ont ramené un sac poubelle avec des papiers brûlés, j’ai tout fouillé de mes mains, en état de choc, devant eux. Personne ne m’a dit qu’il y avait de l’amiante, que cela pouvait être dangereux. »
« Beaucoup de fautes successives »
Après avoir été hébergée durant dix jours à l’hôtel par son assurance, la jeune femme a été relogée dans la résidence Berlioz. Les loyers n’y sont pas les mêmes. « Le directeur du Crous nous a dit que nous ne payerons pas le mois de mars. Ensuite, le loyer va passer à 280 euros, alors qu’il était de 150 euros auparavant. Sachant que certains étudiants ne touchent pas les APL. »
« Il y a un grand manque d’attention de la part du Crous, dit encore la jeune femme. Et beaucoup de fautes successives. Les étudiants sont en train de supporter des fautes dont ils ne sont pas responsables, et cela commence a faire un peu trop. Je ne souhaiterais pas le quart de ce que j’ai vécu à la personne que je déteste le plus au monde, s’il y en avait une », conclut-elle d’une voix empreinte d’épuisement.