FOCUS – L’institut d’administration des entreprises (Grenoble IAE) souffle cette année ses soixante bougies. L’occasion de mettre en avant ses anciens élèves et ses valeurs. Notamment l’ouverture à l’international, mais aussi la solidarité, thème de la journée de rencontres qui a réuni, le 1er décembre dernier, associations et jeunes pousses solidaires issues de l’école publique de management.
Sexagénaire… et solidaire ? Depuis le mois de mai, l’Institut d’administration des entreprises (Grenoble IAE) célèbre sa soixantième année à travers différentes rencontres autour de thématiques ciblées. C’est celle de la solidarité qui, le jeudi 1er décembre, était à l’honneur.
« S’il est un mot clé à retenir, c’est celui de l’ouverture, estime Nicole Élisée, chargée de communication de l’Institut. Après les thématiques de l’ouverture à l’international, l’ouverture et l’impact sur l’environnement et le territoire, et l’ouverture à la recherche, cela nous tenait à cœur de célébrer cette soixantième année en signifiant notre ouverture sur l’engagement solidaire. »
Des projets tournés vers la solidarité et le social
C’est ainsi qu’étaient organisés des animations et des stands autour des associations portées par les étudiants de Grenoble IAE, ainsi que des startups résolument tournées vers la solidarité, fondées par d’anciens élèves de l’Institut. Le tout sous le parrainage – ou plutôt le “marrainage” – de Catherine Berthillier, fondatrice de l’association Shamengo (cf. encadré).
Du côté des associations, c’est la valse des acronymes. L’IAE compte ainsi sa “branche” au sein du réseau mondial d’Enactus. Objectif de l’association : « favoriser le progrès social par l’action entrepreneuriale », explique Axel Beau, l’un de ses membres et ancien élève de Grenoble IAE. « On aide les étudiants à monter des projets tournés vers le social, on les accompagne avec toutes les ressources que nous avons – marketing, business-plan… – jusqu’à ce que leur projet étudiant devienne professionnel. »

Catherine Berthillier à la rencontre des étudiants et de leurs associations. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Autre réseau mondial qui trouve l’une de ses ramifications sur le campus de Grenoble et basée à Grenoble IAE, l’Aiesec se veut un facilitateur pour les étudiants désirant vivre l’expérience d’une terre étrangère, que cela soit dans le cadre de stages ou pour des opérations humanitaires.
« Tout changer c’est impossible, mais si déjà on arrive à sensibiliser les personnes pour partir à l’étranger, rencontrer de nouvelles cultures, développer le leadership qui est en eux, c’est comme cela qu’on arrivera à quelque chose », estime ainsi Martim Grange, l’un de ses membres.
Une collecte de jouets pour la Croix-Rouge
Quant à l’Ahmi, Association humanitaire à mobilité internationale, elle est indépendante de Grenoble IAE. L’an dernier, ses membres ont apporté du matériel ainsi qu’une aide financière aux migrants de Calais. Cette année, la nouvelle équipe est désireuse de travailler avec des associations œuvrant en direction des enfants orphelins.

Les membres de l’Ahmi et Spiderman, engagés dans la collecte de jouets pour la Croix-Rouge. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Un projet général qui n’empêche en rien l’organisation d’opérations ponctuelles. Ainsi, l’Ahmi procède actuellement à une collecte de jouets pour venir en soutien à la Croix-Rouge de Lyon, dont le local a été cambriolé en novembre.
Leur arme secrète ? Les “semaines crêpes”, « notre spécialité et notre identité », affirment les jeunes engagés.
Derrière l’humanitaire et la solidarité, les ambitions personnelles des jeunes gens ne sont jamais, légitimement, éloignées. Chacun s’accorde à considérer que ces expériences sont autant de moyens de développer ses compétences et son réseau, tout en gardant un pied dans une réalité sociétale difficile. Même si la plupart des étudiants interrogés n’ont pas l’intention de “faire carrière” dans le domaine de l’économie solidaire.
Open Car et Bonne Pioche
Deux startups, fondées par d’anciens élèves de l’IAE, étaient représentées à l’occasion de cette soirée particulière. Projet d’étude devenu projet professionnel, Open Car – que Place Gre’net présentait à ses lecteurs en ce début d’année – est une plateforme de covoiturage local et gratuit, dont les conducteurs sont rémunérés via des cadeaux proposés par les différents partenaires (restaurants, bars, salles de sport ou de spectacle) de l’entreprise.
Quel modèle économique ? « On travaille avec des grandes entreprises qui vont nous payer pour un service de covoiturage en interne, en profitant des mêmes avantages que nos utilisateurs particuliers. On essaye ainsi d’être un levier de mobilité pour ces collaborateurs au sein de la société », explique Lucas Durand, cofondateur d’Open Car. Créée en avril, la société parvient déjà à couvrir ses frais de fonctionnement, avec 1 000 utilisateurs réguliers. Une affaire qui roule ?
Bertile Leconte était, de son côté, venue présenter La Bonne Pioche, « la première épicerie de produits locaux sans emballages jetables à Grenoble », que les lecteurs de Place Gre’net ont, là encore, pu découvrir cet été. Quel bilan, au bout de trois mois ? La jeune femme rayonne : « Ça cartonne ! On est en plein centre et, en plus d’avoir un public sensibilisé, tout le monde entre sans être particulièrement écolo. »
Bertile est sortie de Grenoble IAE en 2015 : La Bonne Pioche, elle l’a d’abord testée en fictif au sein de l’école. « J’ai passé deux très belles années en entrepreneuriat. Ça m’a donné les outils concrets pour monter un projet, gagner du temps et ne pas faire trop de bêtises. Et beaucoup de réseaux venaient de l’IAE : d’anciens profs, des consultants extérieurs, que l’on a pu mobiliser et que l’on mobilise encore. »
Une diversité de profils
À 25 ans, la jeune entrepreneuse est souvent invitée à revenir à l’IAE pour faire profiter les nouveaux élèves de son expérience. « C’est important d’avoir des conseils des anciens, mais le fait d’avoir des personnes du même âge en face de soi fait aussi que l’on se ressemble. Il y a un côté : “Si tu as pu le faire, alors je peux le faire”, et je trouve ça chouette de pouvoir motiver les autres ! »
En plus de s’appuyer sur le « made in Grenoble », Nicole Élisée l’affirme, l’IAE veut « aiguiser la curiosité et la créativité » de ses élèves. « Ce qui nous différencie, c’est la grande diversité de nos profils d’étudiants ».
Ainsi que son accessibilité sociale ? École publique de management, Grenoble IAE compte 30 % d’élèves boursiers, pour des frais d’inscription à hauteur des droits d’inscription nationaux, très inférieurs à ceux des écoles privées. Quand bien même l’Unef avait, dans un passé récent, dénoncé des frais d’inscription « facultatifs » jugés illégaux… auxquels l’institut a finalement renoncé pour sa rentrée 2016 – 2017.
Florent Mathieu
CATHERINE BERTHILLIER, LA JOURNALISTE ET LE SHAMAN
Victime de son succès, la conférence de Catherine Berthillier a été déplacée à la dernière minute dans l’amphithéâtre Louis Weil pour conclure cette journée de l’IAE consacrée à la solidarité. L’ancienne grande reporter y a présenté Shamengo, association qu’elle porte depuis plusieurs années et dont le nom est constitué des mots Shaman (celui qui passe d’un monde à un autre monde), Men (communauté humaine qui nous caractérise) et Go (« allons de l’avant »).
« Notre objectif est de promouvoir l’innovation verte et sociale à travers trois moyens d’action : découvrir, se réunir et construire. Cela fait cinq ans que je parcours le monde à la rencontre de ces personnes qui développent des solutions qui marchent et que nous appelons les “pionniers Shamengo” ».
Près de 10 000 “pionniers”
Autour de ces pionniers : « une communauté d’à peu près 10 000 personnes, constituée de particuliers, d’étudiants, de grandes entreprises, d’associations, de fondations… » Tout cela pour construire des villas Shamengo, « des living-labs ludo-éducatifs, pour voir et expérimenter sous un même toit ces innovations, les faire émerger et créer les métiers de demain. »
La première villa Shamengo a vu le jour à Paris durant la Cop21, avec un succès phénoménal. Une deuxième, nettement plus ambitieuse, sera prochainement mise en chantier à Bordeaux, à base de matériaux d’éco-construction, de recyclage d’eau de pluie ou d’énergie renouvelable – dont une centrale à hydrogène développée par Nicolas Bardi, ancien du CEA de Grenoble.
« Ce sont des solutions que l’on agrège pour donner à voir la maison du futur, dire que c’est possible, et surtout apprendre des choses : certaines ne vont pas marcher, on améliorera le système, en espérant demain pouvoir le dupliquer et construire plein de villas Shamengo dans le monde entier », projette d’ores et déjà Catherine Berthillier.
D’Envoyé spécial à Shamengo
Mais comment la grande reporter est-elle passée d’Envoyé spécial à Shamengo ? « Mes
parents étaient bobos avant l’heure, je n’ai pas eu à me convertir » convient Catherine Berthillier. Elle évoque cependant un « déclic ».
« J’ai fait beaucoup d’investigation et je me suis dit que je passais mon temps à donner la parole à ceux qui détruisent le monde… J’ai eu envie de la donner à ceux qui construisent le monde de demain. C’est comme cela qu’est née l’idée de mettre mes compétences professionnelles à disposition de tous ces acteurs qui sont en train de le construire en silence. »
C’est ainsi que Catherine Berthillier réalise partout dans le monde des portraits vidéos de ces pionniers du futur, diffusés sur différentes plateformes dont TV5 Monde, mais également visibles en ligne sur le site de Shamengo (après inscription gratuite).
« La solution est là ! »
« Plus je travaille sur ces questions-là, plus je suis convaincue que notre intelligence nous a permis d’arriver à ce degré de développement, et que notre idiotie peut juste nous faire disparaître de la surface de la Terre… », s’inquiète Catherine, qui refuse pour autant fermement de cesser d’y croire.
« Quand je vois des acteurs comme ces jeunes, je me dis que, pendant que les grands de ce monde n’arrivent pas à s’entendre pour trouver des solutions, il y a toute une génération pour qui c’est inné. Ils n’ont pas envie de faire du plastique, du chimique, de continuer à exploiter les énergies fossiles… La solution est là ! Et j’y crois, bien sûr ! »