BLOG JURIDIQUE – Alors que nous avons commémoré il y a peu les attentats du 13 novembre, il s’avère que la législation antiterroriste a maintenant plus de trente ans. Pour quel résultat ? La question présente aujourd’hui d’innombrables enjeux juridiques et humains, analysés par Stéphane Perreau, étudiant en Master 1 de Droit public à l’Université Grenoble-Alpes. Ceux-ci feront par ailleurs l’objet d’une conférence citoyenne réunissant la faculté de droit, l’institut des droits de l’homme et l’association Etujuris, mardi 22 novembre 2016 à 18 h 30 à l’office du tourisme de Grenoble.
Le thème de la sécurité, tel qu’il est abordé aujourd’hui, ne cesse de prendre une ampleur considérable. Et c’est avec véhémence que s’exprimait le Premier ministre devant l’assemblée nationale le 13 avril 2015, prononçant les mots suivants : « La sécurité est la première des libertés ».
Or à ce titre, les deux paraissent antinomiques, nous laissant le choix désormais entre la sécurité ou la protection de nos libertés. L’état d’urgence étant de mise, nombre d’entre elles semblent suspendues, et ce en raison d’événements exceptionnels, qui malheureusement le paraissent de moins en moins.
De nombreuses mesures ont été prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et ce depuis 30 ans, ayant de fortes conséquences sur notre société et nos droits. La multiplication des mesures interroge sur la faculté à les garantir, et l’état d’urgence décrété il y a maintenant un peu plus d’un an n’apporte aucune réponse. Les pouvoirs de police administrative semblent prendre le pas sur ceux de police judiciaire, questionnant allègrement la garantie de nos droits.
Quelles mesures depuis ces trente dernières années ?
La croissance législative des mesures anti-terroristes
La vague d’actions terroristes qui a percuté la France dans les années 70 et 80 a poussé l’État à prendre les dispositions qui s’imposaient afin de pouvoir répondre fermement à ce type d’actes. Ainsi, le 9 septembre 1986 est promulguée la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État.
Cette dernière initie un processus essentiel dans la lutte anti-terroriste. Non seulement elle définit la notion de terrorisme mais en plus elle tire des conséquences procédurales telles que l’extension de la durée de la garde à vue, l’alourdissement des peines, l’incrimination de l’apologie de terrorisme, ou encore l’indemnisation des victimes de terrorisme.
Apparaît alors clairement la mise en place de procédures dérogatoires au droit commun qui n’auront de cesse de croître avec l’accumulation de textes en faveur de la lutte contre le terrorisme.
Pour exemple, la loi du 18 février 1995 allongeant la prescription des crimes et délits terroristes, la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers autorisant une garde à vue de six jours en cas de risques d’attentats, ou encore la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue qui peut repousser l’accès à un avocat pour une durée de 72 heures et prolonger la garde à vue par le juge des libertés et de la détention (ou le juge d’instruction) jusqu’à 96 heures voir même jusqu’à 144 heures.
La loi du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, est venue, comme il est coutume dans la législation anti-terroriste, étendre la catégorie des infractions terroristes.
Ainsi l’article 421 – 1 du code pénal a vu la liste des actes de terrorisme s’allonger. Toutefois, cette liste reste assez hétéroclite, créant une relative incohérence et incompréhension dans la qualification d’acte terroriste. Ainsi, la loi est venue créer une nouvelle incrimination : celle d’entreprise individuelle terroriste, confirmant de surcroît une répression de comportements de plus en plus éloignés dans le temps d’un éventuel passage à l’acte. Force est de constater que les dispositions législatives qui, jusqu’à présent, s’efforçaient à maintenir une autorité judiciaire forte sont aujourd’hui dans un tout autre registre, celui de l’accroissement des pouvoirs de police administrative.
La substitution récente de la lutte contre le terrorisme par la police administrative ?
Il existe une dichotomie en droit consistant à mettre, d’une part, la police judiciaire et, de l’autre, la police administrative. Pour faire bref, leur opposition se caractérise dans la finalité de l’opération de police. La police judiciaire constate les infractions pénales et sera plus orientée vers la recherche des auteurs et des preuves, quand la police administrative est plutôt tournée vers une mission de surveillance afin de prévenir et faire cesser les troubles à l’ordre public.
Toutefois, les mesures anti-terroristes viennent rompre d’une certaine manière cette distinction, les pouvoirs de police administrative grignotant toujours plus ceux de la police judiciaire. Cela est notamment flagrant avec la loi du 25 juillet 2015 relative au renseignement. Le juge judiciaire s’est vu, par exemple, évincé du contrôle de la régularité des recueils de renseignements, éviction justifiée par la nature administrative du renseignement.
Bien que le juge judiciaire soit gardien des libertés, la compétence judiciaire n’est pas ici requise car le droit au respect de la vie privée est déconnecté de la liberté individuelle depuis une décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1999. A cela s’ajoute l’alignement des techniques d’investigation de la police administrative sur celles de la police judiciaire. Or, les surveillances ciblées, effectuées par la police administrative, impliquent nécessairement des éléments qui portent à croire que telle personne surveillée est dangereuse, et de soupçonner la commission d’infractions qui justifieraient donc d’une enquête pénale.
Toutefois, le renforcement des prérogatives de l’administration, concernant les mesures anti-terroristes, est plus vieux que cela. Avant même les vagues d’attentats, le législateur prenait la décision de renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme avec la loi du 13 novembre 2014.
Bien que cela soit justifié par des actes de « loup solitaire » tel que Mohammed Merah en 2012, les dispositions prisent dans cette loi viennent faire régresser le rôle de l’autorité judiciaire au profit de l’administration. Ainsi, ce texte a pu être vivement critiqué. La mesure phare de ce dernier réside dans l’interdiction de sortie du territoire français lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un individu projette d’effectuer « des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ». Le simple recours possible devant un juge administratif désigne regrettablement la non-intervention de l’autorité judiciaire pourtant protectrice des libertés individuelles.
Quelles conséquences sur nos droits ?
La consécration de l’état d’urgence comme état d’exception ?
Les différentes mesures mises en place afin de lutter contre le terrorisme nous poussent à nous questionner sur l’atteinte aux différentes garanties protégeant nos droits. L’état d’urgence a une nouvelle fois été prorogé après les attentats de Nice du 14 juillet 2016. Or, alors que le gouvernement se dirigeait vers une volonté de sortie de l’état d’urgence, les tragiques événements ont poussé l’exécutif et les parlementaires à prendre impérativement les mesures nécessaires afin de rester dans cet état d’urgence.
Concrètement, ce dispositif devait cesser le 25 juillet, et c’est alors qu’une course contre la montre a été lancée. Ainsi, le projet de loi a été élaboré par le gouvernement dans la journée du 15 juillet pour être soumis au Conseil d’État le 16. Ce dernier a donné son avis le 18, et le 19 juillet, le projet a été adopté en conseil des ministres. Quant aux débats devant l’Assemblée nationale et le Sénat, ils furent brefs, un jour chacun, respectivement le 19 et 20 juillet.
Les quelques désaccords qui devaient apparaître furent alors vite écartés avec la commission mixte paritaire du 21 juillet. Enfin, le texte fut publié au Journal officiel le 22 pour entrer en vigueur le 23. Mission réussie. Dès lors, la question qui se pose concerne le respect des droits. La rapidité avec laquelle cette prorogation fut pris – sous le coup de l’émotion il faut l’avouer –, en à peine dix jours, a‑t-elle permis d’apprécier concrètement la valeur et le sens des différentes mesures adoptées avec cette loi ?
L’état d’urgence est un dispositif exceptionnel et n’a pas vocation à durer. Pourtant, les prorogations se succèdent alors même que le dispositif semble avoir perdu de son utilité dans la lutte anti-terroriste. L’état d’urgence devait donc revêtir un nouvel intérêt. Ce fut donc le but de la loi « prorogeant l’application de la loi n° 55 – 385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ».
Ainsi s’ajoutait aux pouvoir spéciaux dans l’état d’urgence, déjà existants, de nouvelles compétences : le rétablissement d’une possible saisie des données informatiques, tout en respectant certaines garanties, la possibilité d’un « droit de suite », mais également la faculté de garder une personne sur les lieux de la perquisition pendant son déroulement. Sont aussi ajoutées des prérogatives au préfet, en lieu et place du procureur de la République, s’agissant des contrôles d’identités, des fouilles de véhicules et bagages.
Vers une tentative furtive de la garantie des droits ?
Une volonté de garantie des droits semble émerger à l’image de la décision du Conseil constitutionnel du 23 septembre 2016, lors de laquelle il reconnaît que les perquisitions administratives pratiquées entre le 14 novembre et le 20 novembre 2015 étaient fondées sur des dispositions inconstitutionnelles.
Toutefois il se borne à invoquer l’ordre public afin de déclarer que les mesures pénales prises sur le fondement de disposition déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Les associations telles que la Ligue des droits de l’Homme font tout pour admettre une réelle protection de nos libertés. C’est ainsi que cette dernière a saisie, au moyen d’une QPC le 19 février 2016, le Conseil constitutionnel, permettant par conséquent la censure d’une disposition de la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’état d’urgence qui permettait de copier des données accessibles lors de perquisition, sans garanties légales.
Cela a été vite corrigé par le législateur, qui est venu remédier aux insuffisances constitutionnelles relevées dans la loi de juillet prorogeant l’état d’urgence. Chacun se fera donc sa propre opinion concernant la tendance à suivre, à savoir moins de libertés pour plus de sécurité, ou l’inverse.
Stéphane Perreau
Étudiant Master 1 de Droit public, Faculté de droit, Université Grenoble-Alpes
Conférence citoyenne : 30 ans de lutte anti-terroriste, quel bilan ?
De 18 h 30 à 21 heures, à l’amphithéâtre de la Maison de tourisme
14 rue de la République, à Grenoble