DÉCRYPTAGE – Projet lauréat du budget participatif 2016, l’installation de pigeonniers contraceptifs dans Grenoble va devenir une réalité. Une autre manière de gérer la population de pigeons en ville, mais aussi peut-être l’occasion de changer de regard sur cet oiseau injustement déconsidéré.
Redorer l’image négative qui colle aux plumes et aux roucoulements des pigeons ? C’est l’un des objectifs de Chantal Grivel, porteuse du projet d’installation de pigeonniers contraceptifs sur Grenoble, présenté dans le cadre du budget participatif. Ils sont 1881 électeurs à l’avoir validé, pour un coût de 85 000 euros.
Première étape à présent : une étude afin de déterminer où doivent être positionnés ces futurs pigeonniers. Menée par qui ? « Par les services de la Ville, ou peut-être au niveau de la Métro, mais aussi par les services techniques et surtout par les associations de protection animale et les porteurs de projet », explique Chantal Grivel, qui espère voir ce travail débuter dès le mois de décembre 2016.
À terme, l’installation de ces pigeonniers contraceptifs devrait se faire dans les parcs de la ville, suffisamment éloignés des habitations mais pas à l’écart non plus des Grenoblois, le pigeon ayant naturellement tendance à vivre aux côtés – d’aucuns disent “aux dépens” – de l’homme.
Les pigeonniers en question
Situés à environ deux mètres de hauteur, le pigeonnier se veut autant inaccessible pour les prédateurs terrestres que venant du ciel : pas question pour un chat ou un “collecteur” humain d’y grimper, sauf à disposer de sa propre échelle, ni pour un faucon pèlerin – on peut en observer notamment au parc Paul Mistral – de s’y faufiler pour y commettre un carnage.
Les capacités d’accueil des pigeonniers contraceptifs varient entre 200 à 400 pigeons, selon les modèles. « Mais ils ne sont jamais pleins à 100 %, précise Chantal Grivel. Le but, c’est aussi qu’il y ait de la place pour les naissances, car on laisse des œufs aller jusqu’au bout, de sorte que les pigeons restent fidèles aux pigeonniers. »
Pour les autres œufs qui n’auront pas cette chance, la méthode de stérilisation consiste à les secouer, de façon à mélanger le blanc et le jaune et ainsi empêcher la formation de l’embryon. Une méthode simple, mais qui présuppose des visites régulières, tout comme par ailleurs l’entretien des pigeonniers.
Steve Le Briquir, responsable projets Urbanisme à la LPO (Ligue de protection des oiseaux), prévient : « Cela demande des exigences sanitaires. Il faut les nettoyer pour éviter le développement de maladies. Il faut également faire de la communication, intervenir sur les bâtiments où les pigeons se reproduisent pour les inciter à venir dans les pigeonniers… On ne peut pas limiter les choses à la construction de la structure. »
Un partenariat Ville – bénévoles pour l’entretien ?
Qui pour mener ces actions d’entretien ? Sur cette question, le flou demeure. Les 85 000 euros prévus dans le cadre du budget participatif ne concernent que l’étude et l’installation. Chantal Grivel table sur un « partenariat entre les services de la ville et une équipe bénévole ». Des bénévoles auxquels elle fait déjà appel, leur proposant de prendre contact avec elle via l’adresse courriel pigeonniers.grenoble@gmail.com créée spécialement pour l’occasion.
« La mairie nous demande de monter un collectif pour gérer les pigeonniers », précise Catherine Carrier, également porteuse du projet. La présidente de l’association Cosa Animalia ne cache d’ailleurs pas une légère amertume : « C’est un peu comme si, dans le cadre du gros projet de végétalisation du cours Jean-Jaurès, on demandait ensuite aux gars d’arroser eux-mêmes les plantes ! », ironise t‑elle.
Chantal, comme Catherine, estiment que l’entretien d’un pigeonnier représente cinquante heures de travail annuelles. Elles ne désespèrent pas d’obtenir une subvention à cet effet, de la part du Département ou, pourquoi pas, de la Région. Après tout, la ville auvergnate du Puy-en-Velay a fait installer sur son territoire plusieurs pigeonniers contraceptifs, lorsque son maire s’appelait… Laurent Wauquiez.
Une chose est certaine, Chantal Grivel plaide pour une « implication de la Ville » dans la gestion des pigeonniers contraceptifs. « Cela se fait dans toutes les villes, on ne voit pas pourquoi Grenoble échapperait à cette règle. » Et son amie Catherine Carrier de rappeler que n’importe qui ne peut pas monter sur une échelle à deux mètres de hauteur pour secouer des œufs ou procéder au nettoyage des lieux.
Filetage et gazage
« Je paye mes impôts fonciers, je paye ma taxe d’habitation, et savoir que l’argent part dans le massacre d’oiseaux, c’est une chose qui ne passe pas. Ça partirait dans une gestion correcte de régulation d’oiseaux, avec maintenance sur les pigeonniers, ça passerait beaucoup mieux ! », considère Chantal Grivel.
Un « massacre d’oiseaux ? » L’amoureuse des pigeons fait référence à la méthode actuellement employée par la Ville de Grenoble, consistant à appâter les pigeons sur plusieurs jours dans un lieu donné pour en faire venir le plus grand nombre, puis à les capturer dans un filet et à les euthanasier au gaz dans des caissons adaptés. Les cadavres sont ensuite envoyés à l’équarrissage.
Combien de fois par an ces “gazages” ont-ils lieu ? Les estimations divergent. « En 2005, un employé municipal nous a dit qu’ils faisaient 80 captures par an. On n’a pas de raisons de penser que cela a diminué après », affirme Chantal Grivel.
La Ville est pourtant loin d’avancer pareil chiffre. Responsable du service d’hygiène de la mairie de Grenoble, Philippe Gaudé évoque des opérations « ponctuelles ». « On intervient quand on voit que cela devient vraiment délicat dans un secteur », explique-t-il, tout en ayant bien conscience que ce procédé a « mauvaise presse ».
« Notre action est plutôt de faire des rappels à la réglementation, car il y a une interdiction du nourrissage des pigeons », précise Philippe Gaudé, avant de souligner que ces rappels peuvent aller jusqu’à la verbalisation, sur des sommes toutefois relativement modiques (amendes de première classe).
Une méthode décriée
Sans surprise, cette méthode de “prélèvement” n’est pas perçu favorablement du côté des amoureux des oiseaux, qui soulignent en premier lieu son inefficacité. « Quand il y a des campagnes de gazage, ça facilite les migrations d’oiseaux : la place vacante va vite être récupérée par des pigeons venant de l’extérieur », constate Steve Le Briquir, avant d’appeler à une gestion de population « dans le respect de l’animal ».
« Ce n’est pas une méthode qui permet de lutter contre la prolifération des pigeons, renchérit Chantal Grivel. Elle contentera peut-être, à un moment donné, les citoyens qui auront moins de pigeons dans leur quartier mais, deux mois après, il faut tout recommencer. Ce sont des milliers de pigeons tués pour rien. »
Et Catherine Carrier de décrire les souffrances inhérentes à cette technique de prélèvement. « Dès qu’on le capture, le pigeon développe un grand stress, puis c’est sans ménagement qu’il est mis dans les caissons. Il y a forcément des bris d’ailes ou de pattes… »
« C’est aussi une méthode mal perçue par la population, insiste Chantal Grivel. Même ceux qui n’aiment pas les pigeons ne sont pas d’accord avec elle. » La porteuse de projet juge d’ailleurs que la description des prélèvements figurant dans son texte de présentation n’est pas étrangère à son succès dans les urnes. Quand bien même le pigeon n’est pas un animal éminemment populaire.
Les pigeons, des animaux mal-aimés
Mais pourquoi un tel désamour du pigeon ? Originellement domestique, l’animal a pourtant toujours été proche de l’humain, et se nichent encore aujourd’hui dans certaines images d’Épinal, telles que la représentation de la place Saint-Marc de Venise et sa foule de columbidés cohabitant avec les touristes.
Chantal Grivel voit avant tout le pigeon comme un bouc émissaire. « C’est plus facile de dire que les façades sont salies par les pigeons que par la pollution. Plus facile d’accuser les oiseaux que nos pots d’échappements ou le CO2 qu’on dégage ! »
Aucun doute pour Chantal, le désamour du pigeon est « entretenu dans la tête des gens », quitte à relayer des clichés totalement faux. Le pigeon serait sale ? « En règle générale, les oiseaux sont des animaux qui ont besoin d’entretenir leur plumage pour conserver leur capacité de vol. Ils passent donc un certain nombre d’heures par jour à se nettoyer », précise Steve Le Briquir.
Le pigeon, grand malade ?
« Les pigeons sont quand même porteurs d’un certain nombre de maladies qui peuvent être dangereuses pour les personnes immunodéprimées », fait remarquer côté Ville Philippe Gaudé. Chantal Grivel est loin d’être convaincue : « On n’a jamais connu d’épidémies portées par des pigeons. Il peut y avoir éventuellement des problèmes avec des personnes asthmatiques ou avec des défenses immunitaires moins importantes mais, dans tous les cas, les particules fines font beaucoup plus de dégâts… »
Quant au virus de la grippe aviaire, chacun semble s’accorder – et des études vont dans ce sens – que les pigeons y sont particulièrement résistants. « Les pigeons ont des maladies comme nous avons les nôtres, rappelle Steve Le Briquir. Les transmissions sont extrêmement rares, et dans des conditions très particulières de très grande promiscuité avec les oiseaux. »
Combien sont les pigeons ?
Demeure la question du nombre. Combien de pigeons sur Grenoble ? Personne n’apparaît vraiment en mesure de répondre. « C’est assez difficile à estimer… Et par définition, ce sont des populations qui ne connaissent pas les frontières de la ville ! », souligne non sans humour Philippe Gaudé.
Steve Le Briquir fait toutefois remarquer que le pigeon est un animal naturellement assez sédentaire : « Ils vivent en couple et quand ils sont installés à un endroit, ils y sont plutôt fidèles. Du moins à l’échelle de la ville ou du grand quartier, et selon les ressources alimentaires. »
Le responsable de la LPO n’observe en tout cas aucune “invasion” : « Il y a des effets de focus où l’on peut avoir l’impression localement qu’il y en a beaucoup, mais globalement nous ne sommes pas en face d’une grosse problématique de pigeons. Et quel est le seuil acceptable de pigeons en ville ? Personne n’a la réponse. Ou tout le monde a la sienne… »
La présence de nourrisseurs pouvant favoriser une forte concentration de pigeons dans un espace donné, chacun espère surtout que l’installation de pigeonniers contraceptifs pourra s’accompagner d’une pédagogie autour de l’animal. « C’est important de rencontrer ces personnes, de communiquer là-dessus », estime Catherine Carrier. Ne serait-ce que sur les habitudes ou besoins alimentaires du pigeon, qui a bien plus vocation à manger des graines que des morceaux de pain rance.
Un animal en souffrance
L’occasion aussi pour chacun de redécouvrir un animal mal-aimé, et de prendre conscience d’une triste réalité ? « C’est un animal qui souffre énormément, déplore Chantal Grivel. Petite, ça m’amusait de les voir se chamailler pour un bout de pain. Mais quand ils se chamaillent, c’est qu’ils meurent de faim… »
Les blessures sont également légion chez cet animal qui va chercher sa pitance dans des endroits peu accessibles. « On voit souvent des pigeons blessés, à qui il manque des doigts ou autres, parce qu’ils se prennent les pattes par exemple dans les fils des poubelles », note ainsi Steve Le Briquir.
Un prochain projet à porter ?
Une réalité qui amène Chantal Grivel à envisager déjà la prochaine étape de son combat, à présent que l’installation des pigeonniers contraceptifs est actée dans le budget de la municipalité grenobloise : une véritable « implication vétérinaire » de ces espaces.
« Il y a des endroits où les pigeons malades ou blessés sont récupérés, donnés à une école vétérinaire, et ramenés au pigeonnier, une fois guéris. Ce sont des choses auxquelles nous prétendons aussi. »
Un projet à proposer aux votes d’un prochain budget participatif ? Chantal ne l’exclut pas. Bien décidée à continuer de prendre la défense d’un oiseau dont une proche cousine, la colombe, est devenue symbole universel de la paix, quand lui-même est ramené par certains au statut peu enviable – et insane – de “rat volant”.
Une réflexion sur « Bientôt des pigeonniers contraceptifs à Grenoble pour éviter de gazer les pigeons »
J’ai à peu près 6 ou 7 pigeons apprivoisés ; je voudrais leur donner des graines stérilisantes. Mais où les trouver ? Merci de bien vouloir me guider. Quant à mes deux colombes apprivoisées je vais continuer à les nourrir normalement.