La station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse. Crédit Chartreuse Tourisme - D. Mignot

Saint-Pierre-de-Chartreuse : la sta­tion de ski change de mains

Saint-Pierre-de-Chartreuse : la sta­tion de ski change de mains

TROIS QUESTIONS A – La sta­tion de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse change de mains. Le syn­di­cat à voca­tion unique ayant été dis­sous après le rap­port acca­blant de la chambre régio­nale des comptes, c’est la com­mu­nauté de com­munes qui prend le relais. Le défi est de taille. Si le défi­cit reste à la charge des com­munes de l’ex-Sivu, l’endettement de la sta­tion risque de peser lourd. Fuite en avant ? Pour Denis Séjourné, pré­sident de Cœur de Chartreuse, il n’y a pas d’autres choix possibles.

Denis Sejourné, président de la communauté de communes Coeur de Chartreuse, qui reprend en main la station de ski de Saint-Pierre de Chartreuse après le rapport accablant de la chambre régionale des comptes et la dissolution du SIVU par le préfet

Denis Sejourné, pré­sident de la com­mu­nauté de com­munes Cœur de Chartreuse © Patricia Cerinsek

Investissements mal maî­tri­sés, sur­coûts, dépenses sous-éva­luées et recettes sur-esti­mées, risque de conflit d’intérêts… La chambre régio­nale des comptes (CRC) a, dans son der­nier rap­port, et après deux avis bud­gé­taires alar­mants, sévè­re­ment épin­glé la ges­tion pour le moins hasar­deuse de la sta­tion de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse.

Suite à plu­sieurs années de déra­page plus ou moins incon­trôlé, et de cli­gno­tants pas­sant de l’orange au rouge, le pré­fet, saisi par la CRC, a décidé le 20 octobre der­nier la dis­so­lu­tion du syn­di­cat à voca­tion unique (Sivu) qui, depuis 2003, pré­si­dait aux des­ti­nées du domaine skiable de Saint-Pierre-de-Chartreuse/Le Planolet. Pour confier la ges­tion de la sta­tion à la com­mu­nauté de communes.
Depuis le 3 novembre, l’établissement public à carac­tère indus­triel et com­mer­cial (Epic) Cœur de Chartreuse* a repris la main sur le dos­sier. C’est lui qui gère sur le ter­ri­toire tous les domaines skiables, celui de Saint-Pierre/Planolet comme du Désert d’Entremont ou du Granier. Exception faite de Saint-Hugues dont la ges­tion a été confiée, par délé­ga­tion de ser­vice public, à une asso­cia­tion. Le point avec son pré­sident Denis Séjourné.

Depuis le rap­port de la chambre régio­nale des comptes, rendu public le 20 octobre 2016, tout s’est accé­léré. Mais cette reprise en main arrive bien tar­di­ve­ment. Depuis plu­sieurs années, on savait la sta­tion de ski mal en point…

Depuis 2012, il y a des négo­cia­tions avec les élus de Saint-Pierre-de-Chartreuse pour leur expli­quer qu’ils ne peuvent plus conti­nuer à gérer dans un tel contexte où non seule­ment les finances posent pro­blème mais aussi la gou­ver­nance. Le Sivu réunis­sait deux com­munes. Une struc­ture à deux, ce n’est pas pos­sible. Avec six élus en tout, quatre pour Saint-Pierre-de-Chartreuse, deux pour Saint-Pierre‑d’Entremont, qui l’emportait à votre avis quand ils n’étaient pas d’accord ? D’autant qu’il y avait des diver­gences de vue impor­tantes au moins depuis 2012 entre les deux com­munes, tant sur la ges­tion au quo­ti­dien que sur la poli­tique d’investissement.

La station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse

Station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse. © Chartreuse Tourisme – D. Mignot

En juillet 2014, la com­mu­nauté de com­munes a une der­nière fois ren­con­tré le Sivu pour lui pro­po­ser une ges­tion à trois. Les élus de Saint-Pierre-de-Chartreuse ne l’ont pas sou­hai­tée. La situa­tion finan­cière a conti­nué de se dégra­der jusqu’au coup de grâce de l’hiver der­nier, très peu enneigé.

Comment on en est arrivé là ? On est ici sur de tout petits ter­ri­toires, où on fait les choses entre nous. Pas tou­jours dans les règles. Tant que per­sonne ne nous dit rien, ça va. Mais plus vous gros­sis­sez, plus on est vigi­lant sur ce que vous faites, les ser­vices de l’État, notam­ment. Et vous n’êtes pas à l’abri d’un habi­tant qui s’interroge sur les déci­sions prises par les élus. La ges­tion du Sivu n’était pas exem­plaire dans ce domaine-là.

Cœur de Chartreuse reprend donc la sta­tion de ski, sans le défi­cit, de l’ordre de 600 000 euros qui reste à la charge des deux com­munes de l’ex-Sivu, mais avec une dette impor­tante. Avec aussi des équi­pe­ments, comme le télé­ca­bine qui date de 1982 que les magis­trats finan­ciers jugent « coû­teux et ancien »…

La com­mu­nauté de com­munes part de zéro. On récu­père l’existant et le solde des emprunts, soit un capi­tal res­tant dû de 2,4 mil­lions d’euros (sur 3,6 mil­lions d’euros emprun­tés, ndlr). Mais l’étude que l’on a confiée au cabi­net MDP consul­ting est ras­su­rante : la sta­tion et les équi­pe­ments sont en bon état, la valeur du capi­tal res­tant dû par rap­port à la qua­lité des ins­tal­la­tions est dans les normes. Les ins­tal­la­tions pour les plus âgées ont certes un peu plus de trente ans mais, en France, des équi­pe­ments ont qua­rante-cinq ans. Il n’y a pas urgence…

La station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse. Crédit Chartreuse Tourisme - D. Mignot

Station de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse. © Chartreuse Tourisme – D. Mignot

Le télé­ca­bine est un sujet sen­sible. En 2012, la déci­sion de fer­mer le télé­ca­bine cer­tains jours de la semaine hors vacances sco­laires a coûté sa place au maire à l’époque. Le cabi­net va nous pro­po­ser des scé­na­rios d’ouverture en fonc­tion de l’enneigement, des vacances sco­laires et des jours de la semaine. On aura la réponse début 2017 pour une appli­ca­tion la sai­son prochaine.

Mais les marges de pro­gres­sion ne sont pas que sur le télé­ca­bine. Grâce au sou­tien du Département de l’Isère, on inves­tit 200 000 euros d’ici la fin de l’année pour amé­lio­rer l’accueil dans la sta­tion et la neige de culture, avec deux ennei­geurs arti­fi­ciels sur le Planolet où l’exposition per­met de sécu­ri­ser une piste sans problèmes**.

Par la suite, il est prévu de dépo­ser un dos­sier auprès de la Région (le Conseil régio­nal a annoncé 200 mil­lions d’euros sur six ans pour la neige de culture, ndlr) et auprès du Département qui, à chaque euro mis par le Conseil régio­nal, pré­voit d’abonder à hau­teur d’un euro. Et un plan plu­ri­an­nuel d’investissements sur cinq ans va être arrêté.

Cela peut aussi s’apparenter à une fuite en avant. Au final, on conti­nue d’investir tou­jours plus alors que l’on sait, avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, que le ski est plus ou moins condamné à dis­pa­raître en moyenne mon­tagne***. N’y a‑t-il pas d’autres solutions ?

Comme pour une entre­prise, il peut être dif­fi­cile de pour­suivre une acti­vité mais il est encore plus dif­fi­cile de redé­mar­rer quand ça s’est arrêté. Il vaut donc mieux tout faire pour conti­nuer. La sta­tion de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse, c’est soixante sala­riés direc­te­ment concer­nés et on estime à 450 le nombre d’emplois directs et indi­rects. On ne peut pas dire « on arrête et on va prendre le temps de réflé­chir ». Il faut mouiller la che­mise. Mais cela a été com­pli­qué… Le direc­teur d’exploitation, mis en cause par la CRC, a démis­sionné****. Il a fallu trou­ver quel­qu’un d’autre qui soit assermenté.

Un hiver particulièrement doux met en difficulté les stations de moyenne montagne. Préfiguration de ce qui nous attend à la fin du siècle, réchauffement climatique aidant ?

L” hiver par­ti­cu­liè­re­ment doux la sai­son der­nière a été le coup de grâce pour la sta­tion de Saint-Pierre-de-Chartreuse. Qui mise désor­mais sur les canons à neige. © Patricia Cerinsek

De toute façon, démon­ter a un coût. Si on arrête tout, on récu­père tout juste notre capi­tal res­tant dû et on a un désert der­rière. Aujourd’hui, on ne remonte plus une sta­tion de ski. Seuls les Chinois font ça. Pour mettre en état de fonc­tion­ne­ment la sta­tion avant l’ouverture, c’est 300 000 euros. Si la com­mu­nauté de com­munes n’avait pas repris la sta­tion, Saint-Pierre-de-Chartreuse n’ouvrait pas.

Tout le monde est conscient que la Chartreuse sans le ski alpin, ce n’est pas pos­sible. Notre volonté est de déve­lop­per un tou­risme quatre sai­sons, et sur­tout un tou­risme d’hiver sans neige. Qu’est-ce qu’on pro­pose à la place ? Du VTT, du paddle ten­nis, une pati­noire arti­fi­cielle, des pistes de luge artificielle ?

Aujourd’hui, le busi­ness du ski alpin par rap­port au tou­risme d’hiver, ce doit être 95 ou 97 % des recettes. Qu’est-ce qu’on fait pour que, dans dix ans, ce ne soit plus que 70 %, et dans vingt ans 60 % ?

Je ne sais pas si l’enneigement va réel­le­ment bais­ser dans les vingt ou trente ans mais ce que l’on sait, c’est que tous les cinq ou six ans, on a une année sans neige. Et cette année-là, il faut l’éponger…

Et on va inves­tir intel­li­gem­ment. On ne met­tra pas des ennei­geurs n’importe où, n’importe com­ment. Il y a des cri­tères comme l’altitude cor­ré­lée à l’exposition, aux vents… Il ne faut pas rêver, on ne pourra pas mettre des ennei­geurs à 600 mètres d’altitude plein sud !

Patricia Cerinsek

* L’Epic est com­posé de sept élus : un pour cha­cune des trois com­munes équi­pées d’une sta­tion de ski (Entremont-le-Vieux, Saint-Pierre-de-Charteuse, Saint-Pierre‑d’Entremont) et quatre élus com­mu­nau­taires de com­munes non dotées de stations.

** La sta­tion, dont l’ouverture est pré­vue le 17 décembre, a revu ses tarifs. Les for­faits à la jour­née ont, par exemple baissé de 2 euros. Des noc­turnes sont éga­le­ment pré­vues dès cet hiver.

*** Selon une étude de l’Observatoire régio­nal des effets du chan­ge­ment cli­ma­tique (ORECC), « l’u­ti­li­sa­tion de la neige de culture au-delà d’une alti­tude de 1 325 mètres néces­site que sur une période d’un peu plus de quatre jours consé­cu­tifs la tem­pé­ra­ture soit infé­rieure à 2 °C. Les rele­vés effec­tués au col de Porte au cours des soixante der­nières années montrent que de telles périodes sont de plus en plus rares, notam­ment avant le 10 jan­vier et après le 11 février, ce qui ten­drait à limi­ter la période au cours de laquelle la neige de culture pour­rait être pro­duite ».

**** En 2012, la fonc­tion de direc­tion a été exter­na­li­sée et confiée à M. Mellet. Or, relève la CRC, le direc­teur d’ex­ploi­ta­tion était éga­le­ment cogé­rant d’une société à laquelle le Sivu a notam­ment confié des pres­ta­tions sans mise en concur­rence pour des mon­tants de 138 322 euros en 2013 et 51 185 euros en 2014.

UN ENDETTEMENT IMPORTANT

Le rap­port de la chambre régio­nale des comptes est cin­glant. Il vient en tout cas mettre un terme à la ges­tion, pour le moins aven­tu­reuse, du syn­di­cat à voca­tion unique qui gérait depuis 2003 la sta­tion de ski de Saint-Pierre-de-Chartreuse/Le Planolet.

Les magis­trats y pointent notam­ment, sur la période exa­mi­née, des inves­tis­se­ments mal maî­tri­sés et notam­ment le pro­jet d’aménagement du Planolet qui, à lui seul, a englouti plus de 57 % des inves­tis­se­ments sur la période 2010 – 2014 : 3,84 mil­lions d’euros ont ainsi été enga­gés sur cette seule opé­ra­tion. La CRC pointe aussi des sur­coûts. Ainsi, les tra­vaux sur le télé­ski du Coq et le télé­siège des Fraisses ont-ils coûté 2,2 mil­lions d’euros, soit le double de ce qui avait été man­daté. Dépenses sous-éva­luées, recettes sur-esti­mées… En 2014, le compte admi­nis­tra­tif pré­sen­tait un défi­cit de 28 % des recettes d’exploitation. Et, en 2015, le bud­get, défi­ci­taire de 458 000 euros, était voté en déséquilibre.

D’autant que rien n’a été fait, notent les magis­trats, pour cor­ri­ger l’endettement. La sta­tion a dû emprun­ter 3,6 mil­lions d’euros ? Il lui reste encore 2,6 mil­lions d’euros à payer. « La capa­cité de désen­det­te­ment atteint 18 ans, note la CRC, soit le double de la durée usuel­le­ment consi­dé­rée comme cri­tique ».

Patricia Cerinsek

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