FOCUS – Ce dimanche 16 octobre, le circassien Yoann Bourgeois jouera sa pièce Cavale au voisinage de l’église Saint-Hugues-de-Chartreuse, qui est aussi un musée d’art sacré contemporain. Les deux valent le détour, au cœur du massif de la Chartreuse. Les œuvres de l’artiste Arcabas, qui a décoré l’église de pied en cap, l’histoire de leur genèse et de leur accueil par le curé et les villageois, tout de ce petit joyau caché étonne et émerveille.
Les sources d’intérêt de la petite église Saint-Hugues-de-Chatreuse sont multiples. En premier lieu, elle s’est muée en musée d’art sacré contemporain, sans pour autant être désacralisée. On y dit encore la messe. Une rareté. Mais surtout, elle renferme les œuvres d’un homme, Jean-Marie Pirot, dit Arcabas. Lequel l’a décorée de fond en comble sur la bagatelle d’une trentaine d’années, de 1953 à 1991 pour être exact.
Une œuvre en triptyque
Le jeune artiste – il a alors 25 ans – peint d’abord en atelier une série de scènes, incluant chacune l’un des dix commandements. Il n’a que peu d’argent et se sert donc de pigments naturels et d’un support très bon marché, quoiqu’extrêmement résistant : la toile de jute. Autrement dit, le sac à patates. Ces grandes toiles courent sur l’ensemble de la surface, de la nef au chœur. Elles présentent un caractère austère qui sied mal à l’artiste, avec le recul. Les paroissiens les côtoieront pourtant sans autre forme d’ornement pendant quelque quinze ans.
De 1973 à 1985, l’artiste suspend au-dessus de ces premières œuvres figuratives des toiles abstraites beaucoup plus colorées. Les feuilles d’or le disputent aux pigments les plus vifs. Ces carrés de toile sont réellement de toute beauté.
Enfin, troisième bandeau venant s’installer, cette fois, sous le premier : celui qu’on nomme la Prédelle, composés de toiles figuratives renvoyant à divers épisodes de l’ancien testament.
Le tout compose un ensemble intense qui emprunte certes au sacré mais tient aussi de l’art profane à bien des égards. Il n’est pas nécessaire d’être catholique pour apprécier ces œuvres, dont la puissance doit avant tout aux talents de l’artiste.
Un art syncrétique ?
Aussi inspiré que fut Arcabas par la Bible, son art puise à d’autres sources. Ses premières toiles, par exemple, prennent moins pour objets les dix commandements que le quotidien des villageois qui l’entourent. Un enfant qui, sous la table, cède quelque nourriture à un animal, des scènes de labeur, une femme nourrissant son enfant et, même, la pétanque, fort prisée par les contemporains de l’artiste… Dans le même esprit, le dernier repas de Jésus avec ses apôtres, la cène, prend des airs anachroniques via une nappe à carreaux qui évoque plus le casse-croûte champêtre que la scène sacrée.
Plus encore, l’artiste paraît inviter d’autres cultes au sein de la petite église catholique. Le tabernacle – ce meuble qui contient le ciboire rempli d’hosties – n’a que peu à voir avec ses homologues. Au lieu de quoi il rappelle plutôt le totem indien ou quelque statue africaine. Arcabas a enfin conçu le baptistère – où se donne le baptême – à partir d’une cuve qui servait autrefois aux offrandes de riz des bouddhistes !
Un Parisien en Chartreuse
Étrange histoire que celle de ce jeune-homme lorrain, Jean-Marie Pirot dit Arcabas, qui débarqua en Chartreuse depuis son école des Beaux-Arts parisienne. Un poste d’enseignant à l’École d’art décoratif l’avait amené à Grenoble au début des années 1950. Son rêve ? Qu’on lui confie une église à décorer selon son bon vouloir.
Arcabas avait déjà essuyé de nombreux refus en Savoie, précise Amaury Quelquejeu, notre guide lors de la visite, qui connaît l’artiste sur le bout des doigts. Difficile ainsi de comprendre comment Raymond Truffot, le curé de cette petite église, et Auguste Villard, maire de Saint-Pierre-de-Chartreuse, surnommé « le préfet de Chartreuse », firent ainsi confiance à ce jeune artiste connu ni d’Ève, ni d’Adam.
Pour notre guide, Auguste Villard s’est montré visionnaire en ne misant pas l’avenir de sa commune sur le seul ski mais en mesurant le potentiel touristique que pourrait représenter une église ainsi décorée. Une église alors en piètre état, du reste, qu’Arcabas se proposait de décorer gratuitement… L’artiste touche à tout n’a pas fait qu’accrocher ses œuvres aux parois mais a aussi reconstruit l’intégralité du mobilier : bancs, candélabres, autel…
Ceux pour qui la pilule a été néanmoins difficile à avaler, ce sont les paroissiens qui virent déménager les anciennes statues de leur petite église d’un mauvais œil. « Qu’est-ce que vous allez en faire ? », auraient-ils demandé, accusateurs et un brin agressifs. « Prenez-les chez vous, si vous voulez », aurait répondu le maire sans façon. Ambiance.
Jusque dans les années 1980, l’artiste se faisait toujours aussi discret en accrochant les dernières toiles de la Prédelle. Aujourd’hui âgé de 90 ans, cet “étranger” est l’un des plus éminents habitants de Saint-Pierre-de-Chartreuse, qui l’a définitivement adopté.
Adèle Duminy
Infos pratiques
Musée d’art sacré contemporain départemental
Visite guidée gratuite tous les mois
Yoann Bourgeois le dimanche 16 octobre au Musée d’art sacré contemporain Arcabas
Le circassien Yoann Bourgeois jouera sa superbe pièce Cavale au voisinage de l’église, dimanche 16 octobre, à 11 h 30 et 15 h 30, dans le cadre de l’opération Paysages –> Paysages portée par le département isérois.
Entrée libre.
La boucle est bouclée
Au cœur de l’église Saint-Hugues-de-Chartreuse, figurent également de superbes vitraux dont Arcabas confia la réalisation au maître verrier Christophe Berthier.
Soixante-trois ans plus tard, en collaboration avec le même maître verrier, Arcabas réalise vingt-quatre vitraux pour la basilique du Sacré-Cœur de Grenoble ! D’après l’artiste, ce chantier, actuellement en cours, sera son dernier, de même que la décoration de l’église aura été le premier.