DIAPORAMA PHOTO – Maître verrier au sein de l’Atelier Montfollet depuis trente-trois ans, Anne Brugirard nous accueille dans son atelier pour partager sa passion. Découverte de ce métier insolite, où dessin et histoire se croisent pour redonner vie à d’anciens vitraux ou en créer de nouveaux.
Voilà maintenant trente-trois ans qu’Anne Brugirard est installée en tant que maître verrier à l’Atelier Montfollet, rue Moyrand à Grenoble. Passionnée de dessin depuis son plus jeune âge, elle n’aspirait pourtant pas à devenir artiste. « J’aimais beaucoup l’histoire, y compris l’histoire de l’art. Le métier d’artisan d’art était parfait pour moi car il me permettait de lier toutes mes passions », confie Anne.
Petite, elle a visité des châteaux et des églises avec ses parents. C’est de ces visites que sont nées sa curiosité et sa fascination pour l’art et l’histoire. Deux passions qui l’ont poussée à développer par la suite sa culture visuelle et générale, des éléments indispensables dans son métier.
Son chemin vers la profession de maître verrier n’en a pas moins connu quelques circonvolutions. Après une année de classe prépa” philosophie au lycée Condorcet, à Paris, Anne Brugirard a intégré l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art en vitrail, puis une école d’architecture. Après cinq ans d’activité en tant qu’architecte, elle a alors eu l’occasion de reprendre l’Atelier Montfollet, où elle avait travaillé en tant que stagiaire. Un choix difficile. « Quand l’occasion s’est présentée, j’ai toutefois préféré reprendre mon premier métier où il y a plus de créativité et de dimension artistique », se rappelle la maître verrier.
L’atelier Montfollet : soixante-treize ans d’histoire
Créé en 1943 par le maître verrier Paul Montfollet, l’Atelier Montfollet a toujours partagé son activité entre restauration et création de vitraux. Un savoir-faire reconnu dans la profession : « Paul Montfollet a créé beaucoup de maquettes de vitraux », raconte Anne Brugirard. « Il a fait beaucoup de projets pour d’autres ateliers, partout en France, parce qu’il dessinait bien et avait une grande culture. Même aujourd’hui, des ateliers français me demandent parfois si j’ai des documents sur ses divers projets lorsqu’ils cherchent des archives sur certains vitraux. »
En 1991, l’atelier est repris par la fille du maître verrier Françoise Montfollet, qui s’associe à Anne Brugirard en 1999. Depuis 2001, Anne dirige l’atelier seule et, depuis un an environ, sans employés. Une première depuis sa création. En cause : la baisse du nombre de commandes d’État, qui représentent la plus grande partie du travail d’un atelier de vitrail.
Un métier de dessin et de culture
« Pour faire ce métier, il faut être obstiné », assure Anne Brugirard. « Il faut aussi avoir le goût des choses bien faites et ne pas hésiter à recommencer si l’étape réalisée n’est pas satisfaisante : effacer-refaire-effacer-refaire… jusqu’à ce que le travail soit bien fait. Et ceci, parfois, non pas pendant deux heures, mais pendant deux mois. »
Et puis il faut apprendre et… s’entraîner tout le temps. « En musique, on s’entraîne avec des gammes. En dessin, c’est pareil : il y a des exercices de base. Couper le verre n’est pas difficile, tout le monde peut le faire. En réalité, maître verrier est un métier de dessin ! »
Outre cela, « il faut être curieux et avoir une bonne culture judéo-chrétienne », car les vitraux sont la plupart du temps liés à la religion catholique. Souvent installés dans les églises, ils évoquent des sujets bibliques. « Si on ne s’intéresse pas à l’histoire chrétienne, il ne faut pas choisir ce métier, affirme la maître verrier. C’est comme peindre des icônes : il faut connaître les Saints, la Bible, les Évangiles… »
Une bonne connaissance religieuse qui n’implique pas forcément d’avoir la foi. « Ceci n’est pas important car la foi est quelque chose de personnel. Mais cette culture doit être au service de ce métier. Il y a dans notre art toute une partie culturelle, liée à l’histoire chrétienne et à l’histoire de France. » Bref, mieux vaut savoir par exemple ce qu’est le Sacré-Cœur de Jésus ou pourquoi la Vierge Marie foule au pied un serpent…
« Il faut pouvoir reconnaître ces images du point de vue iconographique, car c’est l’histoire de l’art avec une grande part de symbolisme. Et si on n’apporte pas cette part de symbole, on est creux. On fait du papier peint comme dans un hall de gare, ou alors on recopie ce qui était fait auparavant, ou bien encore on fait des choses purement décoratives. Mais ce n’est pas ça, le vitrail ! Le vitrail a une valeur symbolique très forte. »
Le vitrail à travers le temps
« Jusqu’au XXe siècle, le vitrail était un art à la traîne d’un siècle : les verriers s’inspiraient de tendances artistiques et évènements du siècle précédent », relate Anne Brugirard. « Par exemple, les vitraux du XVe sont très marqués par tous les malheurs qui ont eu lieu au XIVe siècle : la peste, les famines, la Guerre de cent ans. » Cependant, ce qui peut être perçu comme un retard aujourd’hui ne l’était pas à l’époque, puisque le temps n’avait pas la même valeur.
« La valeur de temps passé est très contemporaine. Elle ne correspond pas très bien à notre métier », affirme Anne Brugirard. Il est, d’ailleurs, difficile selon elle d’estimer le temps nécessaire à la création d’un vitrail car un maître verrier ne mène jamais un seul projet à la fois et qu’il est rémunéré par pièce réalisée et non pour le temps passé à la réaliser.
« Dans la restauration, il faut avoir l’esprit curieux »
Alors que la France possède le plus grand patrimoine mondial de vitrail, la restauration des vitraux anciens, nécessaire tous les cent à cent-cinquante ans, représente une partie importante du travail des maîtres verriers. « Je trouve que l’on apprend beaucoup en regardant ce que nos prédécesseurs on fait, assure Anne Brugirard. Même si ce sont des styles que nous n’aimons pas forcément, il y a toujours de petites choses à observer. Dans la restauration, il faut avoir l’esprit curieux. Parfois, on tombe sur des problèmes qui nécessitent presque une investigation historique et artistique. »
La réalisation de vitraux donne en outre aux maîtres verriers la possibilité de « s’inscrire dans le temps ». Une notion chère à Anne Brugirard. « Personnellement, j’aime bien faire un vitrail en sachant qu’il va avoir une vie après moi, que d’autres verriers viendront le réparer un jour… Certains vitraux ont passé des siècles et les millénaires. J’estime qu’il faut rester dans cet esprit-là. Car même si l’on dispose désormais de techniques plus contemporaines qui peuvent être distrayantes, nous ne sommes pas sûrs de leur tenue dans le temps. »
Découvrez l’Atelier Montfollet et le travail d’Anne Brugirard dans le diaporama ci-dessous.
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Yuliya Ruzhechka
LE VITRAIL : UN LONG TRAVAIL DE CRÉATION
Pour créer un vitrail, il faut tout d’abord faire une maquette (un dessin) de la future création en respectant la proportion de 1/10. Une fois le projet validé, le maître verrier agrandit la maquette dessin et la reporte sur un calque, qui permet de découper les calibres. Si le vitrail ne comporte pas de dessin, il peut passer directement de la maquette agrandie au calibrage des futures pièces.
Lorsqu’il faut ajouter un dessin artistique, cela nécessite un carton intermédiaire avec un dessin artistique agrandi. « Sur ce carton, on va tracer les plombs pour que les lignes de découpe ne passent pas, par exemple, au milieu du visage d’un personnage », explique Anne Brugirard. « Il faut que la technique soit au service de l’image ! »
Ensuite, il faut tracer le calque et le reporter sur un papier blanc, appelé le tracé. Ce dernier permet de faire la découpe avec un ciseaux à trois lames, en laissant une petite marge pour permettre le passage du plomb entre les verres.
Une fois tous les papiers des pièces de vitrail découpés,le professionnel choisit la coloration à l’aide d’échantillons de papier de verre. Étape suivante : la découpe des pièces dans le verre. Si certaines pièces ont des dessins, il va ensuite peindre les motifs et cuire ces pièces au four. On peut également utiliser la technique de gravure sur verre, en jouant sur la multitude de couches d’une feuille de verre et sur leurs différents dégradés.
Pour ce qui est de la matière première, Anne Brugirard commande des feuilles de verre à la verrerie de Saint-Just, seule fabrique française de verre, située non loin de Saint-Étienne.