FOCUS – A deux pas du centre-ville de Grenoble, la place Saint-Bruno reste à part. Si les habitants extérieurs au quartier la fréquentent peu, sauf parfois pour se rendre au marché, elle attire en revanche ceux des quartiers sud à la recherche de spécialités orientales difficiles à trouver ailleurs dans l’agglomération. Zoom sur ce “centre-ville alternatif”.
Elle n’est qu’à quelques minutes de la gare et du centre-ville. Pourtant, dans l’esprit de bon nombre de Grenoblois, la place Saint-Bruno reste excentrée. Et ce n’est pas un hasard. Car, historiquement, le quartier Saint-Bruno n’a jamais été associé au centre-ville.
Autrefois, plusieurs grandes usines y étaient implantées et une barrière installée sur la voie ferrée au niveau du cours Berriat séparait ce quartier ouvrier du reste de Grenoble.
Cette barrière n’existe plus, mais la spécificité de Saint-Bruno perdure. « Quand on regarde la distance qui le sépare de la place Grenette, on n’est pas loin… indépendamment de la distance psychologique », estime Françoise Lapierre, qui habite le quartier depuis 1953.
« On y rencontre surtout des hommes »
Le marché Saint-Bruno attire certes un certain nombre d’inconditionnels, le matin du mardi au dimanche. Mais force est de constater que peu de Grenoblois – en dehors de ceux qui y habitent – viennent flâner ou prendre un verre sur cette place, comme ils le font naturellement sur les places Grenette, Sainte-Claire ou Notre-Dame.
« Je vais très rarement à Saint-Bruno, sauf à la piscine et quelquefois dans des restaurants », reconnaît un habitant du quartier Championnet, situé à quelques minutes de là. « Je ne le trouve pas très chaleureux. Il y a des quartiers plus attrayants », juge de son coté Lisa, autre Grenobloise du quartier.
Quant à cette retraitée du quartier Europole qui affirme avoir l’habitude d’emmener ses petits enfants au parc, elle reconnaît ne jamais aller boire un verre en terrasse. « Je ne vais pas sur la place, parce que l’on y rencontre surtout des hommes », indique-t-elle. Une remarque récurrente.
Des idées reçues ?
De l’avis de beaucoup, le quartier a changé. Lucie, qui a fréquenté le marché Saint-Bruno quand elle était enfant, n’y va plus depuis très longtemps. « J’irais boire un verre s’il y avait des bars sympas et un peu plus d’ambiance et si on était sûr de ne pas se faire emmerder quand on s’habille en jupe, par exemple. Et puis le soir, la population n’est pas rassurante ! », confie la jeune femme.
Des idées reçues pour Nassima Moujoud, maître de conférences en anthropologie à l’université Grenoble-Alpes, qui s’est intéressée à la question des femmes en rapport avec l’immigration. « Certains Grenoblois ne viennent pas à Saint-Bruno parce qu’ils en ont des représentations négatives, parce qu’ils vont aussi parfois se sentir menacés. J’ai en effet rencontré des jeunes femmes qui ne viennent pas sur la place car elles disent qu’elles pourraient être victimes de harcèlement sexuel mais il n’y a pas de raisons pour qu’il y ait plus de harcèlement ici qu’ailleurs ».
Alors ? Le harcèlement est-il plus systématique à Saint-Bruno que dans d’autres quartiers de la ville ? Difficile à dire… Une chose est sure, la très forte prédominance des hommes sur les terrasses de la place Saint-Bruno dissuade certaines femmes de s’y installer.
« C’est très cosmopolite »
Si Saint-Bruno attire peu les Grenoblois des quartiers centres, il s’impose de plus en plus comme une sorte de centre « alternatif » pour les populations venant du Sud de l’agglomération. En particulier celles issues de l’immigration, à la recherche de produits orientaux et asiatiques qu’elles ne trouvent pas ailleurs. C’est le cas d’Ida, une Échirolloise de soixante-deux ans :
« Pour venir ici, il faut avoir un intérêt particulier. En ce qui me concerne, je viens voir une amie qui a un restaurant indien à Saint-Bruno. Je fais aussi des courses. Ce n’est pas très cher et il y a beaucoup de boutiques. C’est très cosmopolite, donc très intéressant au plan humain. »
Une jeune femme accompagnée de son amie, toutes deux d’Échirolles, confirme : « Moi je suis arabe et il y a plein de produits halal que je ne trouve pas ailleurs. Les prix également sont très attractifs. »
Rien d’étonnant pour Bruno de Lescure, président de l’union de quartier Saint-Bruno-Berriat, « Le commerce fonctionne par accumulation. Les mêmes commerces se mettent au même endroit pour attirer la même clientèle. Ce sont des logiques commerciales, communes aux centres commerciaux et aux quartiers traditionnels. »
Julien Deschamps
« BEAUCOUP DE GENS DÉBORDENT D’IDÉES… IL FAUT QU’ILS PUISSENT LES EXPRIMER »
Trois questions à Maël Trémaudan, qui a présenté le 4 juillet dernier un mémoire intitulé « Redécouvrir la place Saint-Bruno » en présence d’acteurs du quartier, de la Ville et de la Métropole, dans le cadre de son Master à l’Institut d’urbanisme de Grenoble.
Quel était l’objectif de votre mémoire ?
Mon objectif était de remettre à plat les usages sur la place Saint-Bruno. Beaucoup de Grenoblois vont au marché et repartent après sans trop savoir ce qui s’y passe. Il y a un manque de communication global.
Comment expliquer le manque de vie sur cette place ?
Il y a un manque de programmations avec un espace relativement grand inutilisé. Pour la Fête de la musique par exemple, rien n’était prévu. Idem pendant l’Euro, où il n’y avait pas d’écran pour voir les matchs. Or, beaucoup de gens débordent d’idées, en particulier au centre social autogéré Le 38, rue d’Alembert. Il faut qu’ils puissent les exprimer. On pourrait par exemple réduire le parking qui accueille le marché pour pouvoir mettre en action des initiatives sur cet espace libéré.
Quelles propositions faites-vous sur le plan de l’urbanisme ?
Il est important de garder le parking et cette liberté de stationnement pour que les gens puissent se rendre gratuitement dans le quartier. Ensuite, pour attirer d’autres personnes, il faut reprendre des initiatives qui se font ailleurs. Notamment construire du mobilier urbain dans des ateliers à partir de matériel de récupération et en faire des bancs modulables dans le parc, à déplacer lors du marché. Au-delà des repères que cela donnerait aux personnes extérieures au quartier, cela permettrait de créer un moment de co-construction.
Il y a notamment un espace complexe entre le parc et le parking. C’est sombre, on trouve de vieux aménagements des années 1980. Il faut nettoyer tout ça.