FOCUS – Jérôme Safar et Matthieu Chamussy se sont fendus, ce jeudi 7 juillet, d’une lettre commune adressée à Éric Piolle, le maire de Grenoble. Un courrier en forme d’ultimatum qui pourfend le plan de sauvegarde du service public municipal annoncé le 9 juin dernier. Fustigeant l’absence de débat devant les élus, les deux présidents de groupe exigent notamment que la population soit consultée.
Le plan de sauvegarde du service public municipal annoncé le 9 juin par Éric Piolle, maire de Grenoble, n’en finit pas de provoquer des remous et de susciter les commentaires de tous bords dans le Landerneau politique grenoblois. Suite aux vives critiques qui ont fusé avant même que l’annonce ne soit publiquement dévoilée et les justifications apportées par l’adjoint aux finances Hakim Sabri, la polémique prend un tour nouveau.
Une coalition inédite
C’est en effet une coalition inattendue, voire inédite, que celle de Matthieu Chamussy, le président du groupe Les Républicains – UDI et Société civile, et de Jérôme Safar, le président du groupe Rassemblement de gauche et de progrès qui ont cosigné, ce 7 juillet, un courrier sans concession adressé à Éric Piolle.
Les deux élus dénoncent avec vigueur le plan de sauvegarde du service public municipal. Selon ces derniers, celui-ci se caractérise essentiellement « par la fermeture de nombreux équipements publics, de multiples hausses de tarifs et la réduction des horaires d’accès du public aux guichets administratifs ».
Quant à la méthode, elle ne trouve pas plus grâce à leurs yeux, les élus pointant amèrement l’absence de débat.
« Ce plan, qui n’a été débattu avec personne, n’a même pas fait l’objet de délibération du conseil municipal », déplorent les deux présidents.
Bien que le plan ait tout de même été présenté aux élus lors d’une commission “Ressources”, Jérôme Safar et Matthieu Chamussy estiment n’avoir eu communication que « d’informations succinctes » au cours d’une réunion « qui a fait l’objet de déclarations invraisemblables sur le montant des recettes et des économies attendues ».
Mieux, les élus considèrent que lesdites économies « auraient été estimées “à la louche” », de l’aveu même de la directrice de cabinet, rapportent-ils. Quant à l’évocation du calendrier de fermeture des équipements, les cosignataires de la lettre le décrivent « à la fois très flou et contradictoire avec certaines déclarations d’adjoints ».
« Totale contradiction » entre ce plan et les engagements de campagne ?
Après cette volée de bois vert, Jérôme Safar et Matthieu Chamussy en viennent au fond. « A ce stade […], nous voulons vous rappeler deux exigences fondamentales, qui dépassent largement les questions de gauche et de droite, tant elles doivent guider tout responsable en charge d’un mandat public », tancent-ils.
Quid de ces exigences ? En premier lieu, les élus enjoignent l’équipe municipale de publier « sans délai » la liste exhaustive des 102 mesures du plan de sauvegarde. Et exigent « pour chacune d’entre elles les recettes ou les économies attendues et le calendrier de sa mise en œuvre ».
En second lieu, les élus mettent en avant l’exigence démocratique. Dans leur ligne de mire, la « totale contradiction » que représente le plan présenté avec les engagements de campagne d’Éric Piolle.
Pour les deux présidents, une telle dissonance n’a qu’une solution. « Il vous appartient de mettre en œuvre une procédure de consultation de la population pour vérifier son assentiment ou constater son désaccord et en tirer les conséquences », chapitrent-ils Éric Piolle. Et de conclure : « En toute hypothèse, cette procédure doit être conduite avant le vote du budget 2017. »
« Les tenants de l’ancien système, de l’ancien monde, se regroupent »
Un courrier qui ne surprend aucunement Laurence Comparat, conseillère municipale déléguée à l’Open data et aux logiciels libres. Pour elle, cette lettre commune n’est qu’un épiphénomène traduisant, au fond, une certaine cohérence. « On voit bien que les tenants de l’ancien système, de l’ancien monde se regroupent […] Même au niveau national, où les socialistes soutiennent la dérive droitière du gouvernement, que ce soit pour la loi travail, la déchéance de nationalité, ou quand ils votent sans barguigner le désengagement de l’État en direction des collectivités locales. […] Il y a finalement une cohérence », finit par railler l’élue, goguenarde.
Et d’asséner : « Ils n’ont toujours pas compris qu’il faut évoluer, faire face aux enjeux du XXIe siècle. Ils sont dans une cohérence passéiste, et nous, nous sommes dans une cohérence qui répond aux enjeux du moment. »
Pour autant, quid de la réponse de la majorité municipale aux semonces du duo de circonstance ? « La réponse appartient aux Grenoblois.
Les postures politiciennes sont une chose mais il y a d’autres inquiétudes qui s’expriment qui, elles, sont tout à fait légitimes. » La conseillère municipale l’affirme, les inquiétudes des habitants sont entendues, il est normal qu’elles s’expriment et le débat reste ouvert. « L’espace de discussion, à l’intérieur du cadre du désengagement de l’État et du plan de sauvegarde des services publics locaux, reste ouvert à toutes les personnes de bonne volonté […] Nous serons toujours plus intelligents à plusieurs ! », assure-t-elle.
« Nous étions pris par le temps, il fallait boucler le budget 2017 »
Concernant la première exigence, la publication de l’intégralité des mesures de sauvegarde, l’élue balaie d’une pichenette l’idée même qu’elles seraient dissimulées. « Toutes les informations ont été rendues publiques, dans un premier temps en direction des agents de la Ville. C’était un préalable qui n’était pas négociable. Les informations seront fournies aussi au fur et à mesure parce que ce plan de sauvegarde va s’étaler sur deux années. Il va s’affiner au fil du temps. »
Quant à la contradiction reprochée du plan avec les promesses de campagne d’Éric Piolle – notamment le sentiment qu’auraient les habitants de ne pas avoir été concertés – elle est totalement assumée par la majorité municipale. « Nous assumons complètement cette dimension, avec la part de frustration qu’elle génère », reconnaît volontiers Laurence Comparat.
Elle en veut pour justification que, pour avoir une vision globale du service public de la Ville dans toutes ses dimensions, cela nécessitait avant tout un travail en interne. « Non pas que les habitants ne soient pas capables de l’appréhender, bien au contraire. […] Mais nous étions pris par le temps, il fallait boucler le budget 2017. […] Malheureusement, tout ce temps d’explication et d’appropriation globale ne va pouvoir venir, pour les habitants, qu’après. Il était impossible pour nous de faire autrement. »
Joël Kermabon