DÉCRYPTAGE – Comment alerter l’opinion publique sur « les dangers des traités internationaux de libre-échange » ? Telle est la tâche à laquelle s’attellent les militants du collectif stop Tafta. Après avoir sensibilisé les passants de façon ludique, rue Félix-Poulat à Grenoble le 17 juin dernier, ils organisent une réunion d’information à la Maison des associations, ce vendredi 24 juin, afin d’envisager les suites de la mobilisation.
« Bientôt l’Europe vendue aux multinationales ! », « Le Tafta est un coup d’État des multinationales sur la démocratie ! » Les mots des militants du collectif Stop Tafta (Transatlantic Free Trade Agreement – accord transatlantique de libre-échange) ne sont pas tendres.
Une trentaine d’entre eux s’étaient réunis rue Félix-Poulat, vendredi 17 juin, pour dénoncer les dangers du Tafta, mais aussi du Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement – accord économique et commercial global), deux traités internationaux de libre-échange. Le tout au travers d’une action visuelle. En l’occurrence, un cheval de Troie géant gonflable pour symboliser le danger insidieux que représenteraient ces traités.
Au sein du collectif Stop Tafta, des militants d’Alternatiba Grenoble, du Collectif Roosevelt Isère, de l’association Les Amis de la Terre Isère, d’Attac Isère, d’ANV-Cop21 (Action non violente Cop21). Mais aussi de Nuit debout : « Ces maudits traités, on a envie de les dénoncer, soutient Gaël de Nuit debout. La loi Travail, c’est une anticipation des directives européennes qui vont mettre en place ces traités. On est aussi sur ce coup-là car c’est le même combat. » Certains élus grenoblois avaient également fait le déplacement, à l’image de Bernard Macret, adjoint aux solidarités internationales, et d’Olivier Bertrand, conseiller municipal en charge des animations.
Cette opération cheval de Troie s’inscrit dans le cadre d’une tournée nationale qui a débuté le 4 juin à Paris et devrait se terminer le 25 juin après un passage dans une douzaine de villes de France.
« On veut sensibiliser les gens aux problèmes qui vont être induits par la signature de ces accords, souligne Philippe Coq, bénévole au sein du collectif Roosevelt Isère. C’est un peu difficile car ce sont des sujets complexes et les gens ne sont pas au courant de ce qui se passe. Tout a été négocié dans la plus grande opacité et on n’en parle jamais dans les médias habituels. »
Au programme de cette après-midi tantôt pluvieuse, tantôt ensoleillée : distribution de tracts et saynètes pour sensibiliser les passants aux dangers des traités internationaux de libre-échange, chasse aux signatures pour la pétition européenne ayant déjà récolté près de 3,5 millions de signatures et die-in en fin d’après-midi. Plusieurs militants se sont ainsi allongés pour simuler les morts provoquées par le Tafta et le Ceta.
Retour en images.
Reportage : Joël Kermabon.
Tafta-Ceta quésaco ?
« J’ai l’impression qu’il y a peu de gens qui savent […] le Tafta est un peu connu, le Ceta pas du tout », estime Philippe Coq. Alors pour vulgariser ces notions, les militants du collectif Stop Tafta ont sorti l’artillerie lourde. Et mis, entre autres, à la disposition des passants « Petit guide pour torpiller le Tafta », « Petit guide pour contrer la propagande en faveur du Ceta/AECG » ou « 7 raisons de se mobiliser contre le Tafta ».
Dans leur collimateur ? Le Tafta, bien sûr, également appelé TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership – Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et le Ceta. Deux accords de libre-échange de l’Union Européenne négociés d’une part avec les États-Unis et d’autre part avec le Canada « plaçant les multinationales au-dessus des lois. »
« La crainte que nous avons, ce ne sont pas les États-Unis et le Canada contre l’Europe, ce sont les multinationales contre le reste du monde. Elles veulent vraiment ne plus avoir à rendre de comptes à personne et certainement pas aux citoyens », s’indigne Olivier Royer, secrétaire de l’association Les Amis de la Terre.
Et de préciser : « Les normes en France empêchent le poulet au chlore, les OGM […] Nous, on met en avant le principe de précaution. C’est loin d’être le cas pour les États-Unis qui partent du principe que les entreprises sont responsables, qu’elles mettent des produits sur le marché et qu’en cas de problème ils seront retirés. On n’aimerait pas qu’il y ait cette inversion des normes ».
Les collectifs fustigent des accords qui devraient « supprimer les droits de douane » entre l’Union européenne et l’Amérique du Nord, « harmoniser les réglementations par l’assouplissement maximal des lois et des normes protégeant la santé publique, les travailleurs, les consommateurs et l’environnement » et « conférer des droits exceptionnels aux multinationales afin d’assurer la mise en œuvre effective des objectifs » précités. Parmi ces droits : « la capacité juridique d’attaquer une décision politique. » Monsanto pourrait ainsi attaquer les États refusant de commercialiser du Roundup.
La sphère militante n’est pas la seule à s’opposer au Tafta et au Ceta : en témoignent de nombreux articles parus dans le Monde diplomatique et dans le blog de Jean Gadrey pour Alternatives économiques. Plus étonnant, Hillary Clinton et Donald Trump, candidats aux élections présidentielles américaines s’y sont tous deux opposés…
« Le Ceta est le cheval de Troie du Tafta »
« Il y a des dizaines de milliers d’entreprises américaines qui ont des succursales au Canada notamment du fait de l’Alena [Accord de libre-échange nord-américain entré en vigueur en 1994, ndlr]. Par ce biais-là, elles pourraient se servir des clauses qu’il y a dans le Ceta pour attaquer les États européens sur la défense de l’environnement et le fait qu’on ait des normes ne permettant pas à ces entreprises d’avoir une concurrence libre et non faussée », fulmine Olivier Royer.
Pour Philippe Coq, la chose est entendue : « Si le Ceta est ratifié, il y a de grandes chances pour que dans la foulée – ou deux ou trois ans après –, le Tafta soit aussi ratifié. C’est pour cela qu’on dit que le Ceta est le cheval de Troie du Tafta. »
Les militants dénoncent en outre l’opacité entourant ces négociations : « Le Tafta s’appelle des fois TTIP, d’autre fois GMT [Grand marché transatlantique, ndlr]. On le change de nom pour noyer le poisson […] Tout est très opaque sur ce type de traité », estime Olivier Royer.
Olivier Bertrand, conseiller municipal abonde en ce sens : « Tout est fait pour qu’on n’ait aucun élément de la négociation […] On a un élu européen [Yannick Jadot, ndlr] qui a accès aux documents. Il n’a pas le droit de les sortir de la salle, ne peut les consulter que sur place, n’a pas le droit de prendre de photos… C’est hyper verrouillé. […] Comme il s’agit de négociations, l’argument qui est utilisé est que ça ne doit pas être public avant qu’il n’y ait quelque chose d’acté. »
Autre point de discorde, l’examen du texte par le Conseil européen rassemblant uniquement les dirigeants des pays membres de l’Union européenne. La Commission européenne composée de commissaires européens (un par État membre) souhaiterait que le texte soit adopté à l’automne pour le soumettre au Parlement européen en hiver. Or, bon nombre de parlementaires européens n’apprécient guère la manière dont les négociations ont été conduites.
« Aujourd’hui, il y a de plus en plus de gouvernements et de régions qui se positionnent contre, mais on n’est pas encore certains de savoir comment il [le Ceta, ndlr] va se mettre en œuvre, déplore Olivier Royer. Est-ce que la Commission européenne – qui a un mandat pour la négociation – va passer outre le Parlement pour qu’il soit mis en œuvre ? Est-ce que les parlements nationaux et européen vont être interrogés sur la validité de cet accord ? »
Une soixantaine d’élus socialistes ont d’ailleurs signé, en avril 2016, une tribune dénonçant le manque de transparence et défendant le rôle du Parlement français dans les négociations.
Olivier Royer accuse tout de même le gouvernement français de jouer double jeu : « D’un côté il se dit très attentif à défendre le modèle français et européen, notamment aux niveaux sanitaire et environnemental, et derrière c’est le premier à demander à ce que les négociations accélèrent. […] Mais bon, je crois que depuis 2012 on est habitués au double discours de ce gouvernement… »
Une seule solution : « la mobilisation »
« Seule une mobilisation des collectivités et des citoyens permettra de faire reculer les multinationales ! », s’exclame Olivier Royer. Et d’ajouter : « C’est important que les collectivités se mobilisent là-dessus. C’est comme ça que l’AGCS [Accord général sur le commerce des services, ndlr] a été retiré dans les années 2000 et que l’Ami [Accord multilatéral sur l’investissement, ndlr] a été retiré dans les années 1990. »
« L’expérience a prouvé, il y a une dizaine d’années pour un accord semblable, que lorsque les négociateurs se sont aperçus que l’opinion publique était contre, ils ont reculé et l’accord n’a pas été jusqu’au bout. C’est pour ça qu’on essaye de mobiliser les gens, pour qu’ils signent des pétitions et montrent qu’il y a des millions de personnes contre le Tafta dans les pays de l’Union européenne. » Philippe Coq tient, lui, à rappeler qu’il n’y a pas qu’en Europe que l’opposition existe, mais aussi aux États-Unis.
Alors que la mobilisation est forte à Bordeaux et à Marseille d’après Olivier Royer, les militants du collectif Stop Tafta Grenoble ont dû redoubler d’efforts ce vendredi 17 juin pour interpeller les passants. Le tractage à l’arrêt de tramway Victor-Hugo et les animations rue Félix-Poulat – deux zones de passage – n’y auront rien changé : l’indifférence dominait.
« On reste sur le coup, on essaie d’interpeller des passants mais c’est pas simple. On ne désespère pas et on continuera », estime Gaël de Nuit debout. Et ce malgré les quelques remarques désobligeantes et autres moqueries en tous genres entendues ce jour-là : « Allez les hippies ! », ou « Ils ont décidé de venir s’allonger dans la rue en pensant que ça changera les choses, sauf que ça changera pas grand-chose. »
« Les gens n’arrivent pas non plus à s’engager sur la loi Travail, pourtant à plus petite échelle. Ça, c’est un traité d’ampleur gigantesque qui nous dépasse clairement », estime Gaël de Nuit debout. Et d’ajouter : « On ne sait pas comment s’engager concrètement, […] même les États sont clairement dépassés. »
Pour Philippe Coq du collectif Roosevelt Isère : « Si on parle accord transatlantique et libre-échange ce n’est pas très parlant, sauf pour les gens qui s’intéressent un peu à tout ça. »
Olivier Bertrand, conseiller municipal abonde en ce sens : « Il y a des sujets comme ça. Tafta en est un, 90 % de la population ne connaît même pas l’acronyme. C’est quelque chose qui ne fait pas beaucoup de vagues médiatiques […] La plupart des gens qui passent ne savent même pas de quoi on parle en fait. Ce sera un vrai travail déjà pédagogique avant même d’attaquer la partie plus positionnement politique. »
Philippe Coq ne désespère pas : « On va multiplier les actions jusqu’à la fin de l’année. À force, peut-être que les gens vont en entendre parler… »
Alexandra Moullec avec Joël Kermabon
D’AUTRES ACTIONS AU PROGRAMME
Suite à l’opération cheval de Troie, les militants du collectif Stop Tafta ont rejoint, à l’Hôtel de ville de Grenoble, les élus Bernard Macret et Alan Confesson pour déterminer les futures actions à mener. Il a été décidé que la capitale des Alpes accueillerait la prochaine rencontre des collectivités anti-Tafta dans les mois à venir.
Pour l’heure, plusieurs collectivités se sont d’ores et déjà déclarées hors Tafta et il est possible d’interpeller les maires restants avec la déclaration de Barcelone. Une réunion d’information sera organisée à la Maison des associations de Grenoble vendredi 24 juin à 17 h 30 pour envisager localement les suites de la mobilisation contre le Tafta et le Ceta et préparer la semaine européenne d’actions prévues entre les 11 et 15 juillet 2016.