REPORTAGE – La cour d’appel de Grenoble statuait ce jeudi 2 juin sur l’éventuelle radiation de Me Bernard Ripert du barreau de Grenoble. Dix jours après son placement d’office en hôpital psychiatrique, l’avocat tenait à faire de cette audience une tribune. Retour sur un procès d’anthologie.
« Il n’aura échappé à personne que je tourne le dos à la cour. Ce n’est pas par défi ou par provocation mais pour préserver ma sérénité. Il m’est interdit de regarder un magistrat en face. Pour la même raison, j’ai été placé en garde à vue », lance à la cantonade Me Bernard Ripert, avocat au barreau de Grenoble.
La scène est incongrue, l’avocat avance, à reculons, vers l’estrade ou siègent les magistrats de la cour d’appel qui vont le juger. Cousu sur sa toge, le sinistre triangle rouge que devaient arborer les opposants au régime nazi. Le message n’a rien de subliminal, le personnage est campé. L’avocat adepte de la défense de rupture est entré en résistance. Et ce n’est rien de le dire !
Un risque de radiation définitive du barreau
Ce n’est vraiment pas un procès comme les autres qui se déroule ce jeudi 2 juin dans le prétoire de la cour d’appel de Grenoble. Outre cette entrée de l’avocat pour le moins théâtrale, tout concourt à en faire une audience d’anthologie. Imaginez la petite salle d’une capacité maximale de quarante places assises remplie de robes noires, celles de la cinquantaine d’avocats venus là apporter leur soutien à l’un de leurs confrères. Une mobilisation inédite et, pour tout dire, une première du genre !
Agglutinée devant les portes dans la salle des pas perdus, une petite foule se presse. Plus de cent personnes désireuses de le soutenir jouent des coudes et bousculent les cerbères en uniformes postés à l’entrée. Membres du comité de soutien, famille, sympathisants… Tous sont bien décidés à ne pas perdre une miette des débats et le font savoir avec force protestations.
Et pour cause ! Le principal protagoniste n’est rien moins que Me Bernard Ripert, 65 ans, avocat au barreau de Grenoble dont on connaît le caractère bien trempé et la forte personnalité. À son palmarès, un certain nombre de coups d’éclat, dont certains ne lui ont pas forcément porté chance. En effet, l’avocat est poursuivi pour des manquements à la discipline par cette même cour. Bien que relaxé par le conseil régional de discipline, l’avocat est jugé sur le fond par la cour d’appel de Grenoble, suite à l’appel de cette relaxe par le parquet général. Inutile de préciser que ce dernier risque gros puisqu’il peut être définitivement radié du barreau à l’issue de l’audience.
Retour en images sur les coulisses d’une audience hors normes.
Reportage Joël Kermabon
« Je vais de mon côté m’attacher à lui pourrir sa prochaine retraite ! »
« Procès public ! », scande la foule qui piaffe derrière les portes closes. Il sera exaucé. Le premier combat de Me Ripert sera d’obtenir de la cour qu’elle autorise une publicité des débats élargie. Entendez par là qu’elle permette au public de les suivre depuis l’extérieur dans leur intégralité. Il obtiendra – non sans l’aide de ses confrères qui, comme un seul homme, ont fait bloc –, que les portes restent ouvertes et qu’une sonorisation soit installée afin que tout le monde puisse entendre.
Les estocades ne vont pas tarder. L’avocat, bien que visiblement fatigué – il avouera lui-même avoir peu dormi cette dernière semaine – n’en a pas pour autant perdu sa combativité. De fait, insidieusement le ténor du barreau va s’ingénier, non sans un certain talent, à renverser les rôles. Sa défense ? L’attaque ! Dans sa ligne de mire ? Ni plus ni moins que la cour.
Notamment son premier président, Jean-François Beynel, et le procureur général, Paul Michel, qu’il ne ménagera pas. Loin de là. Pour Bernard Ripert, c’est très clair, le procureur est l’éminence grise du complot ourdi contre lui. Quant à ses griefs contre les magistrats grenoblois, l’avocat estime avoir été « torturé, persécuté et harcelé psychologiquement depuis quatre mois », dans le cadre de sa suspension.
Me Ripert ne manquera pas de rappeler dans quelles circonstances il s’est retrouvé en garde à vue ce lundi 23 mai, suite aux poursuites pour « intimidation à magistrat » intentées par l’un des membres de la cour.
Un réquisitoire de plus de deux heures pour que la cour se récuse
C’est dans un silence religieux que, durant plus de deux heures, Bernard Ripert va se livrer non pas à une plaidoirie mais à un réquisitoire en règle, parfaitement construit. La salle, composée essentiellement d’avocats qui le soutiennent, lui est acquise. L’avocat le sait, il joue sur du velours et, se retournant vers eux, les prendra souvent à témoin.
D’entrée, l’homme de loi annonce la couleur. « J’étais venu entendre ma radiation, ce qui est le souhait de celui qui m’a pourri la vie depuis plusieurs années », lance-t-il d’une voix sonore en pointant du doigt le procureur général. « Je vais, de mon côté, m’attacher à lui pourrir sa prochaine retraite », pourfend-il, tout en assurant « respecter les magistrats quand ceux-ci sont respectables ».
Sévèrement taclé, Paul Michel assure quant à lui n’avoir « aucune inimitié » envers Bernard Ripert. Et de s’indigner : « Assimiler les procédures disciplinaires aux méthodes barbares et nazies est scandaleux ! », lance le procureur.
Le fond ne sera pas immédiatement abordé. Pour l’heure, c’est de la forme qu’il est question. Me Ripert s’attache, dans sa démonstration, à tout faire pour que la cour – les magistrats qui siègent et le procureur général – se récuse, pointant « de graves irrégularités » dans la procédure qui a mené à sa suspension.
« Il [le procureur général, ndlr] vous a abusés et vous êtes tombés dans le panneau. Vous avez une confiance aveugle dans vos collègues du siège ou du parquet. Vous auriez dû vous déclarer incompétents ! », fulmine le ténor du barreau en s’adressant aux magistrats, tout en pointant un doigt accusateur vers le représentant du parquet. Lequel reste impassible.
« Nous ne sommes pas dans un régime totalitaire ! »
Bien qu’appuyé par les plaidoiries de plusieurs avocats et après une longue interruption de séance, Bernard Ripert n’obtiendra par la récusation collective des magistrats du siège. Pas plus que celle du procureur général. Pour ce qui concerne les juges, la raison invoquée est qu’une telle décision n’est pas du ressort de la cour mais bien de celui de la Cour de cassation. Celle-ci sera d’ailleurs immédiatement saisie – par mail – par le premier président, Jean-François Beynel, afin qu’elle statue.
Cependant, la requête n’étant pas suspensive, les débats vont se poursuivre. Quant à la récusation de Paul Michel, elle s’avère irrecevable, au motif que ce dernier est « partie centrale » du dossier.
Mais ce ne sont pas les dernières cartouches de Bernard Ripert. Sur la forme, reste encore la requête en suspicion légitime – entendez le dépaysement de l’affaire vers une autre juridiction – qu’il va tenter de faire prévaloir par l’intermédiaire de la plaidoirie de Me Levy, une autre pointure des prétoires. Le défenseur dénonce notamment « l’illégitimité et la partialité d’une cour qui n’avait aucune compétence pour prendre une décision de suspension ». Laquelle n’avait pour but ultime, selon lui, que « de faire taire un avocat qui dérange ». Et le tribun d’asséner : « L’avocat n’a pas d’autre mission que de troubler le travail des magistrats, nous ne sommes pas dans un régime totalitaire ! »
L’affaire renvoyée au fond le 9 juin 2016
Me Bernard Ripert tentera bien une dernière offensive, en demandant la récusation, cette fois-ci personnelle, du président de la cour, Jean-François Beynel. Après un nouveau retrait de la cour, son président à décidé de s’abstenir de maintenir les débats.
Ceci jusqu’à ce que cette nouvelle procédure de récusation, comme pour les précédentes, soit instruite par la Cour de cassation. Il va donc décider de renvoyer l’affaire au fond au 9 juin prochain.
L’occasion d’un nouveau rebondissement, puisque Bernard Ripert déclare à la cour qu’à cette date il ne pourra pas être présent, devant être opéré ce jour-là. Il propose la date du 16 juin qui lui est refusée d’emblée. Rien ne fera changer d’avis les magistrats et ce malgré le “coup de gueule” de Me Levy qui a violemment réagi devant une décision qu’il juge incompréhensible.
Après près de onze heures de débats fleuves, l’audience a pris fin sur le coup de 20 h 30.
Joël Kermabon