REPORTAGE – Ce jeudi 28 avril était annoncé comme une grande journée de rassemblement contre la loi El Khomri. À l’ordre du jour : grève générale et manifestation à l’appel des syndicats et du mouvement Nuit debout Grenoble. La marche s’est déroulée dans une ambiance tendue, marquée par quelques confrontations entre manifestants et forces de l’ordre. Retour sur cette journée de mobilisation.
Les sympathisants du mouvement Nuit debout Grenoble s’étaient donné rendez-vous ce jeudi 28 avril à 9 heures du matin devant la MC2. À l’occasion de cette journée de mobilisation, plusieurs manifestants avaient confectionné un « char en forme de bateau pirate ».
Un cortège d’une cinquantaine de personnes a ainsi pris le large depuis le parvis de la Maison de la culture pour rejoindre la manifestation générale. Direction la gare de Grenoble.
Une vingtaine de minutes plus tard, à mi-chemin, le cortège est stoppé par les forces de l’ordre, à proximité de la rue Général Mangin. Quelques voitures de police ont débordé le cortège pour ensuite interdire son passage. Objectif de la manœuvre ? Contrôler les sacs des manifestants afin de détecter des objets interdits et d’identifier éventuellement des casseurs.
« C’est pour nous ralentir ou nous dissuader ! », lance une jeune fille. « C’est incroyable ! On dirait qu’il y a plus de policiers que de manifestants », s’étonne, quant à elle, une passante. Et d’ajouter que si elle soutient le mouvement, elle ne rejoindra pas le cortège, faute d’un emploi du temps chargé aujourd’hui.
À l’issue du contrôle, une personne est finalement interpellée et conduite à l’hôtel de police pour un contrôle d’identité. Selon la police, elle était en possession de fumigènes et d’un couteau.
En arrivant à la gare de Grenoble, on apprend que quatre autres personnes ont été interpellées avant la manifestation. Deux ont été libérées, tandis que trois autres étaient toujours en garde à vue dans la soirée.
Cache-cache dans les rues de Grenoble
Le cortège démarre donc à la gare de Grenoble pour rejoindre la place de Verdun. Quelques tensions entre certains manifestants et la police donnent lieu à des jets de pétards et de bouteilles en direction des forces de l’ordre et à des échanges verbaux.
Une fois arrivée au croisement de la rue Lesdiguières et du boulevard Agutte-Sembat, une partie des manifestants rompt le lien avec la tête du cortège pour tenter de se diriger vers le siège du parti socialiste. « La rue nous appartient », scandent-ils joyeusement… avant de rencontrer le premier barrage des forces de l’ordre.
Un jeu de cache-cache s’engage alors : pendant une heure environ, une partie des manifestants va esquiver les forces de l’ordre, rencontrer à nouveau un barrage de police, tourner ensuite dans une rue adjacente, avant de se retrouver encerclée avenue Félix Viallet.
Dans cette ambiance tendue, certains manifestants commencent à jeter des pierres sur les forces de l’ordre qui ne tardent pas à riposter par quelques grenades lacrymogènes, les faisant ainsi reculer.
Réalisation JK Production.
Ces derniers ont ensuite emprunté le cours Jean-Jaurès et, plus tard, une des rues adjacentes, en se retrouvant de nouveau face à la police. Cette fois-ci, un dialogue s’est installé avec, à la clé, la négociation d’un passage sécurisé vers la place de Verdun. Les manifestants ont ainsi pu retrouver le reste du cortège pour partir très rapidement à « MC3 » (comme certains manifestants appellent désormais la MC2), en incitant les passants à les rejoindre.
Si cette partie de manifestation, toujours animée par des percussions et des camions sonorisés, s’est déroulée dans une ambiance plutôt festive, la course-poursuite l’ayant précédée a été marquée par quelques casses et des tags dont des vitrines de banques ont fait les frais.
En tout, de quatre à six mille personnes (selon la police) ou bien douze mille (selon les syndicats) se sont mobilisées ce jour-là.
Et quant au fond ?
Sur place, la cantine « à prix libre » attire très vite les manifestants fatigués par une longue journée de marche. Peu de temps après l’arrivée sur le parvis de la MC2, « l’assemblée populaire » débute par l’intervention d’un inspecteur du travail, qui explique les causes et les conséquences de la loi El Khomri. Il précise que cette loi ne va pas changer grand chose au final, car certaines de ces modifications sont déjà appliquées.
Les habitués des Nuits debout Grenoble ont présenté leurs quartiers comme un lieu d’échange et de discussion, en rappelant que les commissions et les groupes de travail thématiques se réunissaient pour discuter sur le fond des différentes questions.
Aujourd’hui, le mouvement dépasse largement la lutte contre la loi El Khomri. Les questionnements les plus récents portent sur l’agriculture urbaine, les compteurs Linky, les expulsions de familles roms ou encore l’écriture d’une nouvelle constitution. Mais leur lutte ne s’arrête pas là. Cette semaine, un vote de l’AG a décrété le parvis de la MC2 « lieu hors zone Tafta ». Les actions des manifestants visent à dénoncer l’évasion fiscale, la grande distribution et le monde capitaliste de manière plus générale.
Grenoble, futur centre stratégique des Nuits debout ?
Nuit debout Grenoble semble être une exception à l’échelle nationale, avec son autorisation officielle d’occuper le parvis de la MC2 et le soutien logistique de la mairie quant à l’accès à l’eau et à l’électricité. Compte tenu de cette situation, le mouvement souhaite regrouper d’autres Nuit debout de France en les invitant à les rejoindre ce week-end. Invitation pour l’instant restée sans suite. « Probablement les copains des autres villes veulent-ils tenir leurs positions sur place et les renforcer », pense l’une des manifestante.
Grenoble peut-elle devenir le centre stratégique du mouvement Nuit Debout ? Nous avons posé la question à Élisa Martin – première adjointe du maire de Grenoble, en charge du parcours éducatif et de la tranquillité publique – souvent présente lors des assemblées générales du mouvement ainsi que dans les manifestations, comme celle du jeudi 28 avril.
« Je ne lis pas dans le marc de café », dit-elle avec un sourire. « Je sais juste que Nuit debout Grenoble cherche à entrer en contact avec d’autres points de mobilisation en France, ce qui est une très bonne chose. »
La première adjointe du maire de Grenoble suit en effet de près ce mouvement social, non pas seulement en tant que représentante de la mairie, mais également en tant que citoyenne : « Avant toute chose, nous sommes des citoyens intéressés par un mouvement qui porte des revendications profondes, qui cherchent un autre chemin, comme nous.
Et puis, comme nous autorisons l’occupation du domaine public, il n’est pas illogique que je sois là pour “veiller” à ce que tout se passe bien. Les jeunes gens qui animent et qui portent ce mouvement font, je pense, du bon travail et font preuve d’une grande maturité. » Selon elle, « cette occupation du domaine public est quelque chose qui se travaille au jour le jour avec les organisateurs du mouvement. »
Quant aux diverses actions portées par le mouvement, lorsqu’elles « sont pacifiques, cela ne pose aucun problème. » La mairie peut-elle alors se joindre à certaines actions, comme, par exemple, celle de la plantation de légumes dans la ville de Grenoble ? Élisa Martin répond par la négative. « Chacun doit rester dans son rôle : nous sommes des élus de la République qui portons un certain nombre de responsabilités. Eux sont les animateurs d’un mouvement social. Il est important que chacun reste à sa place. »
Retour sur cette journée de mobilisation en images.
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Yuliya Ruzhechka et Joël Kermabon