FOCUS – Soupçonnés respectivement de prise illégale d’intérêt et de recel d’honoraires, l’ancienne maire de Meylan, Marie-Christine Tardy, et son mari Michel Tardy comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Grenoble ce mardi 9 février. Au terme d’une audience fleuve, l’affaire à été mise en délibéré au 5 avril.
La salle d’audience du tribunal correctionnel de Grenoble était pleine à craquer ce mardi 9 février, à l’occasion du procès des époux Tardy. Dans l’assistance, de nombreux Meylanais, opposants politiques, soutiens ou proches des deux accusés. La salle ne comptant qu’une quarantaine de places, une file s’est rapidement formée devant l’entrée, engendrant quelques frustrations.
Assise au premier rang aux côtés de Michel Tardy son époux – architecte désormais à la retraite –, Marie-Christine Tardy, l’ancienne maire de Meylan, semble tendue.
Près de trois ans après la révélation des faits, l’ancienne édile, qui a toujours nié avoir favorisé le cabinet d’architecte de son mari, doit répondre devant la cour du chef de prise illégale d’intérêt.
Quid de l’accusation initiale de corruption évoquée au début de l’affaire ? Elle n’a pas été retenue au terme de l’instruction, le procureur s’étant « trompé d’accusation », selon le défenseur de l’ancienne élue. Quant à Michel Tardy, il lui était reproché d’avoir encaissé des honoraires au titre de marchés qui ont bénéficié de fonds publics. En cause, des subventions destinées à des programmes immobiliers attribuées dans le cadre de délibérations du conseil municipal alors présidé par son épouse.
Une instruction « menée uniquement à charge » ?
Dans le prétoire, les quatre avocats ont bataillé pendant de longues heures, à forces égales : un avocat pour la défense de chaque accusé et deux autres pour les parties civiles, à savoir la commune de Meylan et Jacques Cottin, architecte. Ce dernier, qui dirigeait alors le cabinet d’architecture Jam, estime en effet avoir été lésé d’une partie importante d’un contrat de maîtrise d’œuvre récupérée… par le cabinet Ancel et Tardy, au sein duquel œuvrait l’époux de Marie-Christine Tardy.
Le cadre posé, Me Levent Saban, l’avocat de Marie-Christine Tardy a lancé la première estocade. Et essayé, à coup d’arguties juridiques, d’introduire des exceptions de procédure en vue d’obtenir un report de l’audience.
Il estime en effet que le tribunal est incompétent sur l’affaire, dénonce une instruction menée uniquement à charge et des faits qui seraient, selon lui, prescrits.
Des effets de manche auxquels la cour n’a pas été sensible, laquelle a procédé à un rappel très détaillé des faits reprochés aux deux époux.
« Il fallait flinguer Tardy pour prendre sa place ! »
Face aux questions pressantes de la présidente du tribunal, Marie-Christine Tardy a tenté, à la barre, de noyer le poisson. L’ancienne élue a ainsi évoqué le contexte politique tendu et délétère qui régnait, selon elle, à Meylan à l’époque de la révélation des faits. En ligne de mire, son premier adjoint de l’époque, Michel Bernard, à l’origine du dépôt de plainte qui a déclenché l’affaire. « Il fallait flinguer Tardy pour prendre sa place », résume-t-elle pour convaincre la cour.
Avant de se lancer dans une défense tous azimuts. Jouant sur la fibre sensible de la cour, elle évoquera notamment les conséquences de l’affaire sur la santé de sa fille et de son conjoint « qui ont contracté tous les deux un cancer ». Questionnée sur le fond, l’ancienne élue a décrit une absence de dialogue dans le couple Tardy confinant à l’autisme.
« Nous ne parlions jamais de nos affaires respectives, mon mari et moi. Je n’ai jamais su qu’il travaillait sur ces programmes immobiliers. » La présidente : « Pour autant, quand les services de la mairie de Meylan, à plusieurs reprises depuis 2008, ont tenté d’attirer votre attention sur d’éventuelles irrégularités, vous n’avez pas eu l’air de réagir… »
Marie-Christine Tardy ne se laisse pas démonter et prend à témoin la présidente :
« Je vous demande de me croire. Je n’avais pas fait le lien entre les subventions versées et les activités de mon mari car son nom n’apparaissait pas dans le libellé des délibérations. » Murmures dans la salle… Visiblement, une partie de l’auditoire n’est guère convaincue par les assertions de la prévenue.
Elle le sera d’autant moins lorsqu’il sera fait mention des écoutes téléphoniques, versées aux débats. Et pour cause : elles établiraient, selon la présidente, que Marie-Christine Tardy avait connaissance des activités de son mari sur la commune de Meylan.
« Leurs avocats vont devoir rendre sympathique ce couple »
Après l’audition des deux prévenus, les avocats des parties civiles ont pris la parole. La ville de Meylan, représentée par Me Cédric Lemizza, a demandé réparation des préjudices matériels et moral. « Il y a eu un certain nombre de répercussions au niveau de la commune de par l’intervention des médias et puis au sein du conseil municipal et, plus généralement, de la commune », nous confiait l’avocat avant le début de l’audience.
« Nous demanderons également au tribunal de statuer sur le fait de savoir si les honoraires qui ont été perçus par Michel Tardy doivent être restitués ou pas, dans la mesure où des subventions communales ont été mobilisées. »
Au terme de sa plaidoirie, l’avocat réclamera ainsi 150.000 euros de dommages et intérêts.
Me Philippe Michalon, agissant pour le compte de Jacques Cottin, architecte du cabinet Jam « qui estime avoir été lésé par le couple Tardy », réclamera, quant à lui, 300.000 euros de dommages et intérêts au titre des préjudices moral et économiques subis par son client. « La défense va avoir un rôle difficile. Leurs conseils vont devoir rendre sympathique ce couple et laisser croire que ceux-ci ont agi avec ingénuité, sans savoir que l’un travaillait pour le compte de l’autre », nous confiera-t-il après sa plaidoirie.
« Les Balkany du Grésivaudan »
Le procureur, quant à lui, n’a pas hésité à forcer le trait dans son réquisitoire, en qualifiant les époux Tardy de « Balkany du Grésivaudan ». De quoi provoquer quelques ricanements dans la salle. Au terme de son réquisitoire, il a finalement réclamé une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis, assortie de 20.000 euros d’amende pour Marie-Christine Tardy.
Mais pas seulement. Il demande également que soit prononcée son inéligibilité à vie et cinq ans de privation des droits civiques. Quant à son mari, il risque d’écoper d’une année de prison avec sursis et de 20.000 euros d’amende pour recel de prise illégale d’intérêt.
Me Levent Saban, avocat de Marie-Christine Tardy, nous livre ses impressions juste après sa plaidoirie à la sortie de l’audience.
Me Bernard Gallizzia, qui défendait pour sa part Michel Tardy, a été plus technique dans sa démonstration en s’appuyant essentiellement sur le droit, rien que le droit.
L’affaire a été mise en délibéré au 5 avril.
Joël Kermabon