ENTRETIEN – L’Hexagone accueille à nouveau les Tréteaux de France dont le directeur, Robin Renucci, a été récemment reconduit dans ses fonctions. Sa dernière mise en scène, Le Faiseur, pièce de Balzac étonnamment visionnaire sur le libéralisme économique, se jouera à Meylan les 14 et 15 janvier. L’occasion d’aborder la question du théâtre d’aujourd’hui avec l’un de ses plus grands défenseurs.
Robin Renucci est un homme de théâtre, de cinéma et de télévision. Il doit d’ailleurs au petit écran le rôle de Daniel Larcher (dans la série très populaire « Un Village français ») qui l’a fait connaître à un public plus large.
Mais il est aussi depuis 2011 le directeur des Tréteaux de France, unique Centre national dramatique itinérant, répondant bien sûr à un idéal de décentralisation culturelle.
Le grand homme de théâtre qu’est Robin Renucci paraît encore tenir ferme à ces missions, comme il l’a montré à maintes reprises, notamment en contribuant à créer l’Association des rencontres internationales artistiques (Aria) au sein du Parc régional de Haute-Corse en 1998. Ce festival de théâtre et d’ateliers dramatiques trouve d’ailleurs un bel écho en Isère avec l’Aria 38. Robin Renucci nous parle de tout cela.
Comment expliqueriez-vous en quelques mots ce qu’est le Centre national dramatique des Tréteaux de France ?
C’est une mission de service public qui consiste à ce que le théâtre puisse aller partout en France, notamment là où les jardins ne sont pas arrosés, pour faire court. Ce qui ne veut pas dire que nous n’allons que dans ces lieux-là mais le principe est de porter le théâtre partout dans son itinérance. C’est le seul centre dramatique itinérant de France. Les autres sont implantés.
Pourquoi jouer à l’Hexagone scène nationale arts-sciences de Meylan ?
L’Hexagone est particulièrement actif sur les questions de médiation qui nous préoccupent. C’est donc un partenaire très important puisque notre mission consiste à apporter le théâtre partout. Nous n’allons pas seulement jouer une pièce de théâtre, nous menons aussi un travail avec l’équipe de l’Hexagone sous forme de nombreux ateliers.
On peut lire dans le dossier de presse du Faiseur (14 et 15 janvier à l’Hexagone de Meylan) que les Tréteaux de France entament un cycle portant sur « le travail, la richesse, et la création de la valeur ». Est-ce au sens économique qu’il faut entendre ce triptyque ?
En effet, et c’est pourquoi nous avons commencé par Le Faiseur publié en 1848. L’œuvre de Balzac raconte très précisément la nouvelle organisation du rapport à l’argent et au travail. C’est le début de la banque, de la spéculation. C’est le début du “libéralisme”, nommé ainsi chez Balzac.
Cela vous semble important que le théâtre se saisisse de thématiques contemporaines même s’il s’agit de textes de répertoire ?
C’est important que le théâtre soit aux prises avec la société, qu’il parle des gens comme ils sont.
Parler de la dette, puisque c’est le thème principal du Faiseur, fait écho aujourd’hui. Chacun est débiteur ou créditeur. C’est une réflexion qui permet à chaque fois de créer des débats avec le public, des échanges et, autour du spectacle, un certain nombre d’ateliers. C’est important que le théâtre soit un lieu de conscientisation. Mais j’aime beaucoup l’idée qu’on puisse faire un théâtre joyeux par ailleurs. Il ne faut pas être lourd et didactique.
La pièce de Balzac comporte une tonalité comique d’ailleurs…
Oui, la pièce est assez grinçante car elle nous ramène à la réalité de nos actes, à la spéculation, à cette volonté de posséder, de duper l’autre. Balzac en parle très précisément au plan politique et individuel. Mercadet, le personnage principal est un marchand, comme son nom l’indique. C’est celui qui cherche à vendre du vent. C’est assez cruel mais ça nous fait rire. Et puis on mesure à quel point Balzac était un voyant. Il nous parle carrément de Madoff, ce spéculateur américain qui a coulé les banques.
Finalement, vous êtes assez peu passé à la mise en scène jusqu’alors. Est-ce que ces mises en scène récentes vont de pair avec votre fonction de directeur des Tréteaux de France ?
J’ai beaucoup joué en tant que comédien et il m’est arrivé de mettre en scène mais dans des cadres plus confidentiels. En effet, être directeur d’un centre dramatique comporte une mission de création théâtrale. J’ai joué sous la direction de Christian Schiaretti pour les Tréteaux, par exemple dans L’École des femmes (programmé à L’Hexagone en 2013). Mais c’est aussi une des missions du directeur que de mettre en scène. Je le fais donc avec plaisir.
Pourriez-vous concevoir d’être à la fois à la mise en scène et au jeu ?
Je vais le faire pour la première fois l’année prochaine ! Mais je ne jouerai pas l’un des personnages principaux.
Samedi 16 janvier, vous donnez une lecture du roman autobiographique de Romain Gary, La Promesse de l’aube, au Théâtre Navarre, à Champ-sur-Drac. Dans quel cadre proposez-vous cette lecture ?
Ça me fait plaisir que vous en parliez parce que je viens soutenir des Grenoblois qui ont monté leur association et qui soutiennent l’action que je mène en Corse en faveur du théâtre depuis vingt ans, qui s’appelle l’Aria. Ce sont maintenant des amis, dont Richard Refuggi, qui sont très actifs dans le cadre de leur association, l’Aria 38. Ils m’ont invité pour soutenir leur travail. J’ai bien sûr accepté.
Votre lecture sera accompagnée au piano par Alfio Origlio.
C’était une proposition et je suis toujours ravi de travailler avec de nouvelles personnes. Comme c’est autour du jazz, j’ai choisi le texte de Romain Gary parce que j’ai senti une correspondance dans l’écriture avec les musiques que m’a proposées Alfio Origlio.
Romain Gary fait-il partie des auteurs que vous appréciez particulièrement ?
Oui parce qu’il écrit très bien en langue française. C’est une des questions qu’on peut se poser aujourd’hui à propos de l’apport d’un homme dont les origines ne sont pas françaises et qui a apporté à la France cette littérature-là. Il a remporté le prix Goncourt par deux fois !
Vous avez signé pour la 7e saison d’Un village français. Avez-vous plaisir à incarner ce personnage de Daniel Larcher, dont on a pu dire parfois qu’il manquait de relief ?
Daniel Larcher est un personnage très intéressant parce que ce n’est ni un héros, ni un résistant, ni un salaud. C’est un Français qui traverse les années 39 – 45 de l’Occupation en étant dans l’indécision. Il tente toujours de faire le bien, tout en commettant certaines erreurs malgré lui. J’ai beaucoup de plaisir à le jouer. C’est très enrichissant d’être dans cette troupe, parce que c’en est une.
Pensez-vous que la popularité que vous avez gagnée auprès du public grâce à la série peut servir vos missions aux Tréteaux de France ?
Bien sûr. Ce n’est pas calculé mais je m’adresse ainsi aux 60 % des Français qui ne vivent pas dans les grandes villes, qui regardent beaucoup la télévision et pour qui j’ai le plus grand respect. Avec les Tréteaux, on désire justement aller à la rencontre de ce public-là.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
Le Faiseur, pièce de Balzac
Mise en scène de Robin Renucci
Jeudi 14 et vendredi 15 janvier, à 20 heures
De 8 à 22 euros
+ Rencontre avec Robin Renucci à la bibliothèque du centre-ville de Grenoble
Vendredi 15 janvier, à 12 h 30
Théâtre de Navarre (à Champ-sur-Drac)
Dans le cadre de « Jazz en lisière », organisé par le Jazz Club de Grenoble
En partenariat avec l’Aria 38, la ville de Champ-sur-Drac et Berthet musique
« J’ai vécu », La Promesse de l’aube, de Romain Gary
Robin Renucci à la lecture / Alfio Origlio au piano
Samedi 16 janvier, à 20 heures
15 euros / 20 euros