Prendre, donner. Marcher, regarder. Emprunter le chemin. Lui prêter attention. Le matin, donner le regard au chemin, le soir donner le regard au refuge. Le chemin, le refuge. Le jour, la nuit. Le carnet de notes tourne les pages de l’évidence. Une page par vingt-quatre heures. Les partages, les solitudes.
Démesure du temps. Dérive de la mémoire. Vertige des origines. Tous les matins, au saut du lit, le quotidien est là. Il nous attend. Il n’y a rien d’autre à faire que mettre les chaussures et s’abandonner à sa routine. Pas une routine qui enferme. Une routine qui emmène. Une routine qui enfante. Qui préside à tout battement de cœur, à tout cycle de vie. Une routine qui crée. Qui contient, qui nourrit.
Tout est bien. Le regard porte loin. Marche et respiration se synchronisent. Quelle beauté ! Les yeux regardent en haut, à droite, à gauche. La traversée du jour est un pur bonheur. Le bonheur d’exister. Les busards planent. Le soleil monte dans le ciel. Il chauffe la terre.
Ma responsabilité sur le chemin, c’est la capacité de répondre, de donner une réponse, là, immédiatement, maintenant. De donner une réponse qui transhume du monde de ce matin au royaume de ce soir. Instant magique. Intuitif. Auteur de sa vie. Marcher pour contacter, enfin, l’auteurité. Le sourire grandit à chaque pas. Liberté, authenticité. La vie bouillonne. Il fallait être là, aujourd’hui. Alléluia !
Quand le jour avance, quand il se fait tard, quand la froidure revient et déchire le ciel, il est l’heure de prendre refuge. Tout est bien. Le chemin me porte. Je porte le chemin. Nous sommes tombés enceints l’un de l’autre.
C’est une vraie histoire d’amour. Chacun y trouve son espace. Sa liberté. Le chemin est devenu ma vie. Nous irons ensemble à l’autre Jérusalem.
Réjouis-toi, petit homme, tu es déjà ce soir au refuge, chez toi, au berceau de ton âme. Tu n’as plus rien à craindre, tu peux déposer les larmes. Sur la façade, tu trouveras la signature de ceux qui t’ont précédé, une croix, une gravure, un médaillon. Te voici à l’abri dans le refuge ancien. Je dis ancien, car, tu t’en doutes, ce refuge n’est pas né de la dernière pluie. Tes ancêtres ont, eux aussi, transhumé par ici. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Chez eux, la parole nomade a pris chair. Tu es né autant de leur parole que de leur chair.
Réjouis-toi, petit homme, tu arrives ce soir au refuge de ton Père, ton créateur, de Brahma, du Great Spirit, du Tao. Nouveau-né du matin, te voilà ce soir bourgeon en terre, nomade en désert, architecte de ton utopie, prix Nobel de ton auteurité.