FOCUS – Après Germinal, comédie philosophique extrêmement maligne programmée en 2013, l’Hexagone de Meylan accueille le dernier spectacle d’Halory Goerger, les 15 et 16 décembre. Corps diplomatique tient encore de la philo mais en se chargeant, cette fois, des codes de la science-fiction, genre que le théâtre cède habituellement au cinéma. La pièce retrace le voyage sidéral de cinq individus partis délivrer aux extraterrestres ce qui fait l’essence de l’humanité.
Quel message adresseriez-vous aux extraterrestres pour qu’ils se figurent notre humanité ? Une question qui relève de la science-fiction ?
Pas selon la Nasa qui, dans les années 1970, en pleine conquête spatiale, a entrepris d’y répondre. En envoyant d’abord dans l’espace, en 1972, la plaque de Pioneer (voir ci-contre), représentation picturale censée expliquer l’être humain à d’hypothétiques entités extraterrestres. Les symboles voisinant les deux humains tout nus permettraient, quant à eux, de retracer l’origine du message…
1977. La Nasa change son fusil d’épaule en délivrant un message plus détaillé. Un disque vidéo-numérique, le Voyager Golden Record, quitte le système solaire. Il contient des sons et des images, dont certains sont à caractère artistique (poèmes, extraits littéraires, musique classique ou contemporaine…).
La vérité est ailleurs. Au théâtre ?
« Dans mes recherches, je me suis rendu compte que la Nasa n’avait pas forcément envoyé les meilleurs chansons des Beatles… Et puis, les images sont censées illustrer la diversité de notre civilisation mais elles sont, en réalité, assez ethnocentrées, et parfois décevantes dans leur finesse d’élaboration », déplore, un brin provocateur, Halory Goerger, créateur et interprète de Corps diplomatique.
À l’origine, le malicieux artiste a donc planché sur l’élaboration d’un tel message. Avec le sérieux qui sied à une telle entreprise, bien entendu. Un véritable questionnement linguistique voudrait en effet qu’on s’interroge sur la recevabilité, par quelque alien, de n’importe quel message. Halory Goerger explique :
« Si l’on s’adresse à une forme de vie, il faut d’abord qu’elle comprenne qu’on est en train de lui parler. Ensuite, il faut qu’elle perçoive les clés de ce système de communication. Et enfin qu’elle comprenne le contenu du message. »
Ce n’est pourtant pas le fruit de cette passionnante réflexion linguistique qui se trouve au cœur de Corps diplomatique. La pièce préfère mettre en scène les conditions d’élaboration de ce message par cinq individus plutôt que le message lui-même.
Une farce pour extraterrestres
Les cinq membres de ce corps diplomatique s’attellent à la réalisation d’une œuvre dramatique – tout cela sent le théâtre dans le théâtre… – capable de renfermer l’essence de l’humanité. Mais ces cinq-là tiennent plus des Pieds nickelés que d’artistes dignes de ce nom.
Le fiasco guette donc bien vite leur entreprise. D’autant plus fragilisée qu’elle s’étend sur des milliers d’années. Ils ont emporté le stock de gamètes mâles et femelles nécessaire à leur perpétuation !
Les relations qui unissent le groupe sont donc, avant tout, ce qui intéresse Halory Goerger. Bien davantage qu’une éventuelle rencontre du troisième type, dont on ne saura pas si elle aura effectivement lieu dans la pièce. « Ce serait criminel d’en parler », a‑t-il asséné pour préserver le suspense. Cruel.
Adèle Duminy
Le théâtre : parent pauvre de la science-fiction ?
Si le module au sein duquel évoluent les cinq comédiens présente un caractère réaliste, il reste franchement désuet. Un peu à la Star Trek ! C’est ce mélange de vraisemblance et d’assemblage de bric et de broc qui fait la réussite de la scénographie, d’ailleurs. Sur le terrain des décors et des effets spéciaux, le théâtre ne peut pas rivaliser avec le cinéma. Lui reste la créativité. Qui ne fait pas défaut à l’Amicale de production, coopérative artistique à laquelle appartient l’équipe de “Corps diplomatique”.
Malgré tout, les arts numériques sont à la scène un secours bienvenu pour ne pas sembler tout à fait minable au regard du 7e art !
« Les arts numériques permettent d’accroître le réalisme du décor. Mais surtout, ils nous ont permis de construire des dispositifs d’affichage qui n’existaient pas. On s’en est servi pour réaliser des bannières de leds », confirme Halory Goerger.
L’équipe a repensé les étendards trimbalés par tous ces humains avides de colonisation. Ceux des missionnaires sur le sol africain, par exemple.
De façon tout à la fois artisanale et technologique, les créateurs de « Corps diplomatique » ont fabriqué un textile de leds. Pendant actuel des bannières d’autrefois, pleines de symboles et de suprématie occidentales. Autre réflexion captivante que porte la pièce en bandoulière.
INFOS PRATIQUES
L’Hexagone, scène nationale arts sciences de Meylan
24 rue des Aiguinards
Corps diplomatique, de Halory Goerger
Mardi 15 et mercredi 16 décembre, à 20 heures
De 8 à 22 euros