BLOG JURIDIQUE – Le tribunal administratif de Grenoble a finalement suspendu, sur demande du préfet, la fameuse délibération de Charvieu-Chavagneux sur l’accueil des migrants. Le maire, cependant, persiste et signe. Ce sera donc au tribunal administratif de Grenoble de trancher au fond au cours du premier semestre 2016. Analyse d’ensemble de la situation actuelle par Clara Durand, Alicia Goncalves, Océane Locqué, Emilie Naton, Romain Rambaud et Reyman Remtola, avec le soutien de Marie Mazenot, Marine Roche, Leïla Ismailil et Prisca Keo.
« N’accueillir que des réfugiés chrétiens ne correspond pas à la foi chrétienne », d’après Monseigneur Georges Pontier, archevêque de Marseille depuis 2006 et président de la Conférence des évêques de France depuis le 1er juillet 2013. M. Dezempte, maire de Charvieu-Chavagneux, ne partage manifestement pas cet avis.
En attendant qu’il soit définitivement statué sur la fameuse délibération réservant l’accueil de réfugiés dans la commune aux réfugiés chrétiens, au premier semestre 2016, le tribunal administratif a suspendu l’exécution de la décision. Ce qui n’empêche pas le maire de persister.
La délibération de la honte
Durant ses trente-deux années en tant que maire de la commune de Charvieu-Chavagneux, M. Dezempte a déjà eu à justifier des délibérations et autres décisions de son conseil municipal, à l’instar d’une décision remontée jusqu’au Conseil d’État le 21 juin 2000. Celle-ci avait pour objet une délibération du 24 septembre 1997, portant sur une consultation citoyenne pour l’attribution de logements sociaux et les « seuils de tolérance en matière d’immigration », et l’a jugée illégale. De nouveau, avec sa délibération du 8 septembre 2015, c’est l’accueil des réfugiés qui pose problème.
En l’espèce, Gérard Dezempte et son conseil municipal ont adopté à l’unanimité ce jour-là une délibération sur l’accueil des migrants, disposant que leur commune n’accepterait « que ceux qui sont de culture et de religion chrétiennes ». Une position qui avait fait grand bruit et scandalisé de nombreux citoyens.
Les réactions de la société civile
Très vite, un groupe de juristes citoyens prit alors l’initiative de rédiger une lettre au préfet de l’Isère, l’alertant de l’illégalité probable d’une telle délibération.
Par ailleurs, Europe Écologie – les Verts Isère annonça qu’il saisirait le Procureur de la République pour révoquer le maire et ses adjoints qui avaient voté cette délibération, arguant qu’ils n’avaient plus l’autorité morale nécessaire pour exercer cette fonction.
SOS Racisme avait d’ailleurs évoqué la possibilité d’agir et, finalement, comme le site internet de l’association l’indique, aurait « demandé à son avocat de saisir le tribunal administratif en référé, afin de faire annuler cette délibération discriminatoire. Les élus de la République étant responsables de leurs actes, SOS Racisme a également demandé à son conseil de déposer une plainte à l’encontre du Conseil municipal pour incitation à la haine raciale et à la discrimination. »
Le déféré-suspension préfectoral
Après l’avoir annoncé à la presse le 14 octobre, le préfet de l’Isère a demandé le 22 octobre aux élus de retirer cette délibération, en vain. Il décida finalement de saisir le tribunal administratif de Grenoble.
Par une requête enregistrée le 28 octobre, le préfet a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 554 – 1 du code de justice administrative, lequel fait référence à l’article L. 2131 – 6 al. 3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la suspension de l’exécution de ladite délibération.
Cet article dispose que le préfet a le pouvoir de déférer devant le juge des référés un acte d’une collectivité territoriale. Il est primordial que cette requête émette un doute sérieux sur la légalité de l’acte pour qu’elle soit acceptée.
Les moyens invoqués par le préfet trouvent écho dans la lettre envoyée par plusieurs juristes et sont exposés ainsi dans l’ordonnance du juge des référés :
- la délibération est entachée d’incompétence dès lors que le conseil municipal a entendu « pallier la politique étrangère de l’État », a délibéré sur la conduite des relations diplomatiques internationales et la mise en œuvre d’une politique étrangère, ces prérogatives ne relevant que de la compétence des autorités de l’État ou de celles de l’Union européenne, et que l’accueil des réfugiés chrétiens à l’exception de tous les autres ne présente pas un intérêt communal ;
- elle a été prise en violation des articles 225 – 1 et 225 – 2 du Code pénal qui prohibent les discriminations à raison de l’appartenance à une religion ;
- elle méconnaît le principe constitutionnel de laïcité qui implique la neutralité de l’État et des collectivités territoriales ;
- elle est contraire à l’ordre public en ce qu’elle est fondée sur un motif discriminatoire portant atteinte à la moralité publique et à la dignité de la personne humaine ;
- elle méconnaît le principe d’égalité dès lors que la commune ne justifie pas de l’existence de différences objectives de situations ou de raisons susceptibles de revêtir un caractère d’intérêt général.
Saisi de cet ensemble d’arguments, le juge devait dire si la délibération était discriminatoire et si cette illégalité était suffisamment manifeste pour justifier une suspension de la décision en attente d’un jugement au fond.
La suspension ordonnée par le tribunal administratif
Le 12 novembre, le tribunal administratif saisi, a dû se questionner sur la validité de l’acte attaqué. L’institution a ordonné la suspension dudit texte, considérant que la délibération est entachée d’incompétence et porte atteinte au principe de laïcité et au principe d’égalité. La question de la légalité sur le fond de la délibération n’a pas encore été jugée. Elle devrait l’être d’ici la rentrée 2016.
Les motifs invoqués par le juge des référés sont l’article L. 554 – 1 du code de justice administrative et le fait « que cette délibération est entachée d’incompétence, de ce qu’elle est fondée sur une discrimination méconnaissant les dispositions des articles 225 – 1 et 225 – 2 du code pénal, de ce qu’elle porte atteinte au principe de laïcité et de ce qu’elle porte atteinte au principe d’égalité paraissent, en l’état de l’instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette délibération ; que, par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de son exécution ». L’état du droit donne effectivement raison au tribunal administratif sur chacun de ces points.
Concernant la compétence, cette délibération pourrait en effet être entachée de nombreuses irrégularités. D’une part, la police administrative relève uniquement de la compétence du maire et le conseil municipal n’est pas compétent pour adopter une mesure de police (CE, Abbé de Couvenhes, 16 juillet 1915, et CE Sœur Souillac, 1934).
Par ailleurs, aucun article du CGCT ne confie au conseil municipal la compétence pour déterminer quelle doit être l’organisation de la répartition des réfugiés sur le territoire français, qui ne relève pas des affaires locales mais bien des affaires nationales, d’après le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). L’affectation des demandeurs d’asile sur les lieux d’hébergement est attribuée par l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration). Les maires ne peuvent donc pas choisir qui peut être accueilli sur le territoire de leur commune.
Concernant le volet pénal, l’article 225 – 2 du code pénal punit la discrimination de trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. Selon l’avocat pénaliste Claude Coutaz, « lorsqu’on propose de fournir un service, un logement communal ou un logement social et que l’on dit ce sera seulement pour des gens de telle religion, c’est discriminatoire. A partir de la religion c’est clairement illégal, clairement réprimé par le code pénal ».
Concernant la neutralité, la délibération de Charvieu-Chavagneux viole l’article 1er de la Constitution qui fonde les principes d’égalité et de laïcité, duquel résultent selon le Conseil constitutionnel « la neutralité de l’État » et « le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » (Conseil constitutionnel, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité, n° 2012-297 QPC, 21 février 2013). Par ailleurs, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme affirme que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
Concernant le principe d’égalité, la délibération viole les articles 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789, aux termes duquel « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », et son article 10, selon lequel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Sans oublier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui dispose dans son article 14 que « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion… », l’article 26 reprenant les mêmes termes.
La jurisprudence a par ailleurs pu poser le principe en vertu duquel, dans « le but d’assurer le respect du droit de propriété et de prévenir les atteintes à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques », on ne peut mettre en œuvre une politique d’évacuation en méconnaissant le principe d’égalité devant la loi (CE, SOS Racisme, 7 avril 2011, n° 343387).
Le maire de Charvieu-Chavagneux persiste et signe
Cependant, cette suspension n’a pas eu beaucoup d’effet vis-à-vis de M. Dezempte.
Tout d’abord, celui-ci avait mal réagi au déféré du préfet alors que ce dernier lui avait, dans un premier temps, demandé de retirer la délibération litigieuse. Ainsi s’était-il offusqué que la décision de déférer dès le 28 octobre ait été prise alors que le préfet lui avait demandé de retirer la délibération, ce qui supposait d’attendre que le conseil municipal se positionne : « Au minimum, c’est disproportionné au pire c’est déloyal. »
Ensuite, M. Dezempte n’a pas hésité à compléter, le 20 novembre dernier, son positionnement, en indiquant : « Nous pourrions malheureusement rajouter : ils ne commettent pas des assassinats de masse à Paris, provoquant la mort de plus de 100 personnes ». Il a d’ailleurs une interprétation très personnelle des potentialités offertes par la loi du 20 novembre 2015 dans son article 6 – 1, en vertu duquel « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, les associations […] qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public, ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent », demandant que soit dissoute l’association SOS racisme.
Le maire explique, dans Le Dauphiné libéré : « SOS Racisme est une association d’idéologues irresponsables, jouant avec la souffrance du peuple français. Elle se permet d’écrire que les attaques commises par les djihadistes ne sont que des faits divers, qui serviraient soi-disant à des élus pour stigmatiser les musulmans. Autrement dit, la pseudo-stigmatisation est plus grave, selon SOS Racisme, que l’assassinat programmé de centaines de Français. Rappelons que le gouvernement lui-même qualifie très justement ces attentats d’actes de guerre. »
Sur le fondement de la nouvelle procédure de dissolution, « SOS Racisme devra être dissoute. Considérer que les tueries de masse que nous avons connues cette année ne sont que des faits divers est une manière sinistre de minimiser, de ne pas condamner, voire d’excuser ces actes ».
Finalement, par une délibération du 25 novembre, le maire de Charvieu-Chavagneux et son conseil municipal ont décidé de maintenir leur délibération. D’après France 3 Alpes, c’est en entonnant la Marseillaise que le maire divers droite de Charvieu-Chavagnieux et son conseil municipal ont décidé, ce mercredi 25 novembre, de maintenir leur délibération.
En attendant que le dossier soit examiné sur le fond par le tribunal administratif, le maire a d’ores et déjà déclaré que « si sa demande n’était pas entendue, Charvieu-Chavagneux n’accueillerait tout simplement personne ».
A suivre !
Clara Durand, Alicia Goncalves, Océane Locqué, Emilie Naton, Romain Rambaud et Reyman Remtola, avec le soutien de Marie Mazenot, Marine Roche, Leïla Ismailil et Prisca Keo