FOCUS – La compagnie Les Veilleurs, associée à l’Espace 600, peaufine actuellement sa dernière création « Allez, Allez, Allons ». Un spectacle pas comme les autres qui engage une centaine de personnes dont des comédiens professionnels bien sûr, mais aussi des amateurs et des élèves du primaire et du secondaire scolarisés dans le quartier de la Villeneuve. Un projet participatif donc, qui se jouera trois fois à l’Espace 600, du jeudi 10 au samedi 12 décembre.
« Allez, Allez, Allons ». Ces trois mots vous trottent dans la tête depuis quelques temps déjà ? Logique. C’est l’un des titres, un brin entêtant, de la chanteuse Camille. Mais c’est aussi le nom du prochain spectacle de la compagnie grenobloise Les Veilleurs, dont les trois ans et demi de résidence à l’Espace 600, salle dédiée au théâtre jeune public, s’achèvent bientôt.
Émilie Le Roux, metteure en scène et directrice artistique de la compagnie, n’entendait pas clore cette période de travail, au cœur du quartier de la Villeneuve, par un spectacle « classique » à emmener ensuite en tournée.
Elle explique :
« On avait envie d’un projet qui puisse marquer le territoire, dont les gens pourraient s’emparer. »
D’où le caractère participatif et transgénérationnel d’ « Allez, Allez, Allons ».
Des professionnels et des amateurs de 10 à 90 ans !
Côté forme, le spectacle emprunte au cabaret : chansons, textes, jeu, chorégraphie… On conçoit aisément le côté joyeusement bariolé de la chose. Côté distribution, ça se corse. Puisque participent au projet :
- une quinzaine de professionnels de la compagnie
(rien que de très banal, me direz-vous, mais attendez la suite)
- une classe de CM1/CM2 de l’école des Genêts (25 enfants)
- une classe de 3e du collège Lucie Aubrac (25 élèves)
- une cinquantaine de comédiens amateurs.
Ce qui aboutit, à vue de nez, à une centaine de personnes ! Toutes issues du quartier de la Villeneuve ?
« Pas forcément. On a touché moins d’habitants du quartier que ce qu’on aurait voulu, à cause de l’engagement que nécessite le projet notamment. Même si pour nous, artistes de la compagnie, préparer un spectacle de septembre à décembre semble très court, pour beaucoup, c’est un temps long, note Émilie Le Roux.
Mais ce qu’on voulait surtout, c’est que les gens se croisent. Et il y aura bien une rencontre entre les habitants du quartier et ceux d’ailleurs puisque les élèves sont de la Villeneuve ! »
La participation des élèves permet aussi les croisements générationnels que la metteure en scène appelle de ses vœux.
« Si l’on a tant de difficultés à affronter la société aujourd’hui, c’est aussi à cause des cloisons qui séparent les générations. L’idée était de créer un projet qui permette à toutes ces générations de se rencontrer. »
Une foule sentimentale tiraillée entre individualisme et action collective
Les créations des Veilleurs s’érigent toutes sur un nœud ou une question larvée dans la société. Au gré de leurs conversations avec le public et de leur travail d’action culturelle – très développé –, les artistes de la compagnie mettent d’abord le doigt sur ce trouble pour le porter ensuite sur la place publique.
Pour ce faire, ils considèrent encore le théâtre comme un outil efficace. Confondante naïveté ou admirable pugnacité ? Une question vite balayée par la sincérité de leurs entreprises et la justesse de leurs interrogations.
Pour « Allez, Allez, Allons. », c’est un paradoxe assez répandu qui a ouvert les vannes de la création.
« En ce moment, un discours latent traverse toutes les couches de la société. On l’a entendu autant sur le quartier de la Villeneuve qu’en tournée lors de rencontres publiques. C’est un discours de défiance tenu par des gens qui ne croient plus dans la société, dans la politique. Cette attitude mène au repli sur soi, sur la famille, la communauté, la religion… et à une forme d’individualisme assez décomplexé.
Mais dans le même temps, les mêmes personnes disent attendre un grand mouvement de foule, une revendication collective. Comme si les gens étaient très attirés par ce qu’ont été les Printemps arabes, par le mouvement « Je suis Charlie »… Comment peut-on tenir ce discours individualiste et, d’un autre côté, avoir cette envie du collectif ? », s’interroge Émilie Le Roux.
« Allez, Allez, Allons. » dresse d’abord cet état des lieux pour embrayer sur d’autres questionnements et, peut-être, sur des réponses…
« Qu’est-ce qui cloche dans ce système qu’on estime à bout de souffle ? Comment passe-t-on de l’état de défiance qu’on connaît tous plus ou moins à la confiance nécessaire à l’action collective ? » Quelques questions soulevées par la compagnie qui, pour répondre, fait appel à un répertoire de textes glanés auprès d’auteurs internationaux.
Des textes réinterrogés par les attentats de Paris
Le prisme des attentats s’impose à toutes les créations qui sortent ces temps-ci. Les artistes se demandent donc si cet axe de lecture ne déplace pas leur propos dans la mauvaise direction. Émilie Le Roux confirme :
« Beaucoup de nos textes ne résonnent plus du tout de la même manière. Les textes choisis par les collégiens, qui évoquent le racisme et la discrimination, sont d’une actualité terrible quand on les entend aujourd’hui. Il a fallu qu’on se pose la question entre nous de savoir si la nouvelle coloration que prenaient ces textes était bien ce qu’on voulait raconter.
Mais ça a surtout confirmé la nécessité d’être très volontaire dans la création de projets comme celui-là ! »
Malgré la fin de son compagnonnage avec l’Espace 600, espérons que la compagnie pourra poursuivre son travail de veille, essentiel, dans la région.
Adèle Duminy
INFOS PRATIQUES :
Espace 600, théâtre jeune public, scène Rhône-Alpes
Le Patio / 97 galerie de l’Arlequin à Grenoble
« Allez, Allez, Allons », par la Cie Les Veilleurs
Jeudi 10 décembre, à 19 h 30
Vendredi 11 décembre, à 19 h 30
Samedi 12 décembre, à 19 h 30
Tarif libre (de 4 à 13 euros)