Tomasz Boguslawski, Titus Andronicus, Pologne, 2007. DR

Passion, gloire et fureur : Shakespeare vu par les affichistes

Passion, gloire et fureur : Shakespeare vu par les affichistes

FOCUS – L’année 2016 mar­quera les 400 ans de la dis­pa­ri­tion de William Shakespeare. L’occasion pour le Centre du gra­phisme d’Échirolles d’exposer aux Moulins de Villancourt jus­qu’au 29 jan­vier pro­chain 75 affiches inter­na­tio­nales. Lesquelles ont annoncé, depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui, les repré­sen­ta­tions d’une quin­zaine des pièces du dra­ma­turge éli­sa­bé­thain. Balade au cœur de l’expo « Shakespeare à la folie », dédale d’affiches écla­bous­sées de bruit et de fureur.

Macbeth, 1994, Lanny Sommese, États-Unis. DR

Macbeth, 1994, Lanny Sommese, États-Unis. DR

Noyé sous les affiches publi­ci­taires, notre œil s’est abêti. Lui réap­prendre à déchif­frer sym­boles et doubles sens est l’une des mis­sions que reven­dique le Centre du gra­phisme d’Échirolles. Il faut dire qu’il trouve, dans le cor­pus de l’exposition « Shakespeare à la folie », de quoi ébran­ler notre regard.

Certes, ces affiches com­portent, à l’instar de la publi­cité, une fina­lité pro­mo­tion­nelle. Les affi­chistes répondent bien aux com­mandes de théâtres. Mais en tant qu’artistes, ils pro­posent une inter­pré­ta­tion de la pièce qui vaut bien celle du met­teur en scène lui-même.

L’affiche : un art de l’économie 

Certains des affi­chistes expo­sés excellent à cap­tu­rer l’essence de l’esprit sha­kes­pea­rien avec une éco­no­mie qu’interdit le lan­gage. Pour exemple, l’Américain Lanny Sommese, avec son affiche de Macbeth (voir ci-des­sus), ins­crit en néga­tif, dans la cou­ronne du per­son­nage épo­nyme, le visage de lady Macbeth. Manière de la dési­gner, gra­phi­que­ment, comme l’instigatrice de la soif de pou­voir insen­sée qui gri­gnote l’esprit de son époux !

Le roi Lear, 2010, Tomasz Boguslawski, Pologne. DR

Le roi Lear, 2010, Tomasz Boguslawski, Pologne. DR

Dans une esthé­tique toute dif­fé­rente, le Polonais Tomasz Boguslawski (voir ci-contre) enferme le roi Lear dans l’image du bar­bon fati­gué. Les poils de sa barbe sont ceux d’une brosse à reluire en fin de course. Le per­son­nage s’est en effet coupé de celle de ses filles à n’avoir pas voulu se prê­ter au jeu de la flat­te­rie à son endroit. L’argent de l’héritage en poche, les deux aînées, plus cajo­leuses, ont bien vite causé la perte de leur père.

Vous l’aurez com­pris, la lec­ture de ces affiches néces­site d’avoir quelques connais­sances du réper­toire sha­kes­pea­rien. Des résu­més sont tou­te­fois là pour pal­lier les lacunes, au besoin. Mais on peut regret­ter qu’en ras­sem­blant les affiches par pièces de théâtre, l’exposition mette davan­tage l’accent sur la nar­ra­tion plu­tôt que sur les dif­fé­rentes esthé­tiques à l’œuvre. Reste que cela force notre œil engourdi à pro­cé­der lui-même à ce type de regrou­pe­ment. Pas bête.

Les affi­chistes : des témoins de leur temps

Autre ligne rouge qui peut nous gui­der parmi les 75 affiches expo­sées : leur pro­pen­sion à s’inscrire dans leur époque, à dépas­ser le cadre de l’argument sha­kes­pea­rien. Car, après tout, une affiche s’invite dans l’espace public. À ce titre, l’affichiste a toute lati­tude pour dépas­ser son cadre pro­mo­tion­nel afin d’interpeler le pas­sant. Ce dont ne se prive pas Grapus dans son affiche de La Mégère appri­voi­sée (voir ci-des­sous), datée de 1979. Une année sur laquelle souffle encore l’esprit liber­taire de 1968…

La Mégère Apprivoisée, 1979, Grapus, France. DR

La Mégère appri­voi­sée, 1979, Grapus, France. DR

Sans avoir recours à l’histoire de la pièce, on voit ici un bras d’homme, gros­siè­re­ment des­siné, tendre l’anneau du mariage à une femme lui pré­fé­rant un geste d’ins­pi­ra­tion sexuelle… Derrière le masque de l’institution, l’hypocrisie mas­cu­line que pié­tine gra­cieu­se­ment la gent fémi­nine ! Tout cela fleure bon le souffre des années 1970 !

Plus repré­sen­tée au sein de l’exposition, l’école polo­naise a elle aussi pro­duit, des années 1950 aux années 1980, un grand nombre d’affiches poly­sé­miques capables de contour­ner la cen­sure en place. C’est même sa marque de fabrique ! Aussi Marcin Mroszczak et Andrzej Krauze lient-ils, dans une affiche de 1971, la figure d’Hamlet à celle du Christ en croix. Pas ano­din sous un régime com­mu­niste qui se pas­se­rait bien de la fièvre catho­lique de sa population !

Pour appré­cier à sa juste valeur la richesse de cette expo­si­tion, il ne faut donc pas remi­ser son cer­veau au ves­tiaire. Ranimer notre regard vaut bien un petit effort. Ou bien, plus simple, on peut s’en remettre aux spé­cia­listes de la ques­tion et pré­fé­rer la visite guidée !

Adèle Duminy

Infos pra­tiques :

Le Centre du gra­phisme d’Échirolles présente :

« Shakespeare à la folie », affiches internationales

Du 20 novembre 2015 au 29 jan­vier 2016

Les Moulins de Villancourt

116 cours Jean-Jaurès, à Échirolles

Entrée libre du lundi au samedi, de 14 à 18 heures

Renseignements : 04 76 23 64 65

Pour les visites gui­dées, se repor­ter au site

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