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Film Victoria de Sebastian Schipper

Victoria se perd dans la nuit berlinoise

Victoria se perd dans la nuit berlinoise

BLOG CINÉMA – La tra­di­tion du plan-séquence, pro­cédé ne datant pour­tant pas d’hier, se pour­suit en 2015 à tra­vers un nou­veau cru : Victoria de Sebastian Schipper. Réponse à Birdman, ce long-métrage alle­mand a pour lui de n’u­ser d’au­cun rac­cord numé­rique. Toutefois, c’est seule­ment pour sa réa­li­sa­tion bluf­fante que l’on ira le décou­vrir en salle, son intrigue sui­vant un schéma somme toute classique.

Dans le sep­tième art, le plan-séquence met à l’é­preuve le talent des acteurs, la minu­tie des tech­ni­ciens, la créa­ti­vité du réa­li­sa­teur et de ses assis­tants… ainsi que la syn­chro­ni­sa­tion de tout ce beau monde. Représentant un tour de force tech­nique, ce type de plan fait sou­vent office de money shot dans le diver­tis­se­ment hol­ly­woo­dien, inves­tis­se­ment néces­saire à la réus­site finan­cière de ce der­nier. C’est pour­quoi il va de pair avec le numé­rique per­met­tant divers tru­cages (rac­cords, reca­drages…), comme dans l’Irréversible de Noé et le Birdman d’Iñárritu (déjà cri­ti­qué ici).

Cependant, la tra­di­tion du film en plan-séquence ne date pas d’hier puis­qu’en 1948 Hitchock tour­nait déjà La Corde, huis-clos don­nant l’im­pres­sion d’un unique plan-séquence, pour accen­tuer la proxi­mité avec le théâtre. Pour des res­tric­tions inhé­rentes au maté­riel de l’é­poque (camé­ras, pel­li­cule…), le maître du sus­pense n’a pas pu effec­tuer un mon­tage sans coupes mais telle était bien son ambition.

Comme L’Arche russe (par Alexandre Sokourov) avant lui, Victoria de Sebastian Schipper s’im­pose car il a pour lui d’être un variable plan-séquence de 140 minutes, sans arti­fice aucun. Stupéfiant, n’est-ce pas ?

VictoriaAffiche

Zoom sur l’af­fiche de Victoria. DR

Mais au-delà de l’as­pect tech­nique, que vaut vrai­ment Victoria ?

Nuit ber­li­noise

VictoriaRue

Victoria (Laia Costa) déam­bule dans les rues de Berlin. DR

Victoria, jeune et jolie jeune femme espa­gnole inter­pré­tée par Laia Costa, est venue s’ins­tal­ler à Berlin pour y ouvrir un café. Passionnée de musique, elle s’entraîne au piano le jour et fré­quente une dis­co­thèque, à la nuit tom­bée, spé­cia­le­ment construite en sous-sol pour le film.

Au dehors, sur les coups de 4 heures du matin, un qua­tuor ber­li­nois ère sans but, par­lant fort et buvant de l’al­cool. Par un concours de cir­cons­tances, Sonne (Frederick Lau), Boxer (Franz Rogowski), Blinker (Burak Yigit) et Fuss (Max Mauff) vont être ame­nés à ren­con­trer Victoria qui va prendre la déci­sion de les accom­pa­gner à tra­vers la nuit. S’ensuit une pro­me­nade noc­turne, donc, fil­mée de manière sobre et fluide, tra­his­sant à quelques moments la pré­sence du cadreur par tout un tas de trem­ble­ments (d’au­tant qu’au­cun reca­drage ne semble avoir été effec­tué) mais rien d’alarmant.

VictoriaCrime

Le qua­tuor ber­li­nois entraîne Victoria dans ses crimes. DR

Schipper a ponc­tué son œuvre de mélo­dies éthé­rées et lan­ci­nantes pour sou­li­gner, ou plu­tôt sur­li­gner, l’in­ten­sité émo­tion­nelle de cer­taines séquences. N’ayant eu aucune rela­tion jusque-là, Victoria semble ravie de faire la connais­sance de jeunes Berlinois. En un sens, un nou­veau monde s’offre à elle. Nouveau monde qui ne tar­dera pas à bas­cu­ler dans une noir­ceur plus pro­non­cée. Vous l’au­rez com­pris : le métrage dépeint une des­cente aux enfers, un thème qui m’est très cher.

Aussi, la volonté de faire de Victoria une œuvre très réa­liste émane de cha­cun de ses pixels : les acteurs impro­visent très sou­vent, la mise en scène est sans fio­ri­tures et l’ac­tion demeure cré­dible autant que vrai­sem­blable… Toutefois, jamais le cinéma n’a pré­tendu fil­mer le réel. Et ça ne risque pas de se pro­duire. Outre l’ou­til numé­rique, pou­vant à lui seul étayer mes pro­pos, rien que le choix d’un sujet et d’un angle pour abor­der ce sujet tra­hissent la fic­tion – ceci étant éga­le­ment valable pour les documentaires.

Esbroufe

Pour illus­trer une situa­tion qui dégé­nère, enchaî­ner des évé­ne­ments de plus en plus tra­giques sans aucune sen­sa­tion de rup­ture, le plan-séquence est l’ou­til idéal. Et, d’une appli­ca­tion redou­table, celui de Victoria fonc­tionne très bien. Cependant, et c’est là le pre­mier reproche que je ferai au film, il est dom­mage que son intrigue s’a­ven­ture dans le thril­ler, avec ce que le genre com­porte de cli­chés : des méchants en cos­tumes, une dette à payer, de la drogue, un bra­quage, une course-pour­suite avec les forces de l’ordre, etc.

VictoriaAmis

Victoria et Sonne (Frederick Lau) font connais­sance. DR

Si je recon­nais le cinéma comme étant un art prin­ci­pa­le­ment visuel, force est d’ad­mettre que l’as­pect nar­ra­tif de ce der­nier s’a­vère pri­mor­dial. De tous temps, le cinéma (et l’au­dio­vi­suel, plus géné­ra­le­ment) a essayé de faire pas­ser des mes­sages à tra­vers l’i­mage ; « voir, c’est com­prendre », disait Paul Eluard. Ce pro­cédé a un nom : la nar­ra­tion visuelle.

Dans Victoria, que faut-il com­prendre ? Quid du mes­sage véhiculé ?

À mon sens, il s’a­git d’une pos­sible invi­ta­tion à l’a­ven­ture qui vire tout sim­ple­ment au cau­che­mar par la faute d’une héroïne quelque peu naïve. L’expérience tend à explo­rer l’au-delà d’un voyage, ses drames, ses embûches ; au vu de la masse de films, par­tant de ce même pos­tu­lat, qui ter­minent là où ils devraient com­men­cer, ce peut être légi­ti­me­ment porté à son cré­dit. Mais le tout est creux, sopo­ri­fique, dénué d’intérêt si ce n’est d’illus­trer une énième fois la pente du crime, le sol qui se dérobe sous les pieds des hon­nêtes gens.

VictoriaAmour

Victoria tombe amou­reuse de Sonne. DR

Toujours est-il que je n’ad­mets pas la manière dont Victoria se retrouve de l’autre côté de la loi. Sachant ce qu’elle risque, pour­quoi accepte-t-elle d’ai­der le qua­tuor ? Par ami­tié ? Cela fait seule­ment vingt minutes qu’elle côtoie ces jeunes gens ! Bien sûr, l’er­reur est humaine. Mais j’ai besoin de croire un mini­mum à ce que je regarde pour me pro­je­ter au-delà de l’écran.

C’est d’ailleurs pour ces mêmes rai­sons que je déteste les romances fil­miques : elles forcent tou­jours les pro­ta­go­nistes à per­pé­trer des actions insen­sées qui me font sys­té­ma­ti­que­ment sor­tir des films. Par chance, la romance entre Victoria et Sonne reste secon­daire, se conten­tant d’a­jou­ter du carac­tère aux personnages.

Finalement, Victoria consiste en un défi tech­nique réussi, offrant des per­for­mances bluf­fantes en terme de réa­li­sa­tion. Dommage que ce soit au détri­ment d’une audace scé­na­ris­tique très atten­due sur un film de ce genre. Dans l’i­ma­gi­naire col­lec­tif, Birdman res­tera donc la réfé­rence plan-séquen­tielle de 2015. Mais cette année je suis sûr que d’autres œuvres uti­li­se­ront cet outil, comme Maintenant de Michael Castellanet, pour ser­vir une his­toire plus pro­fonde et plus belle.

Bref. Rendez-vous au cinéma pour vous faire votre propre avis sur Victoria et, sur­tout, n’hé­si­tez pas à le par­ta­ger avec moi dans les com­men­taires. Ils sont faits pour ça.

Maxime Ducret

VictoriaAfficheVictoria

Un film de Sebastian Schipper, avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski, Burak Yigit et Max Mauff (Allemagne)

Genre : drame, thriller

Durée : 2 heures 20 minutes
Sortie en salles le 15 juillet 2015

Séances : cinéma Le Club, 9 bis rue du Phalanstère à Grenoble.

Tél. : 04 76 87 46 21

M. Ducret

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