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Trafic de stu­pé­fiants à Mistral : un repenti balance

Trafic de stu­pé­fiants à Mistral : un repenti balance

FOCUS – Le jour­nal Le Monde révé­lait, lundi 29 juin, la pièce maî­tresse d’un dos­sier ins­truit par la Juridiction inter­ré­gio­nale spé­cia­li­sée (JIRS). Il s’a­git de la dépo­si­tion de Michaël P., en date du 4 et 5 juin 2014, qui a per­mis de radio­gra­phier l’ac­ti­vité éco­no­mique occulte dans le quar­tier Mistral. Une cité qui est sou­vent pré­sen­tée comme l’un des plus grands super­mar­chés de la drogue à Grenoble. Éléments d’en­quête et parole à la défense.

CRS police nationale quartier Mistral Grenoble

CRS de la police natio­nale. DR

Il a appa­rem­ment suffi que le hasard s’en mêle pour déclen­cher le rou­leau com­pres­seur du sys­tème judi­ciaire. Avec, au final, d’im­por­tantes des­centes de police dans la cité en 2014 et treize mises en examen.

A l’o­ri­gine, un simple contrôle d’i­den­tité for­tuit à Versailles, à l’is­sue duquel Michaël P., jeune fugi­tif recher­ché par la police pour tra­fic, a été placé en garde à vue. Et il a fallu aussi ce petit coup de pouce sup­plé­men­taire qui éton­ne­rait le moins sus­pi­cieux des avo­cats : que le jeune homme se mette tout de suite à table.

« Je suis parti de Grenoble parce que j’en avais marre de cette vie », jus­ti­fie ce der­nier, d’a­près notre confrère du Monde Richard Schittly. Est-ce là, une rai­son suf­fi­sante ? Quoi qu’il en soit, en deux jours d’in­ter­ro­ga­toire par la police judi­ciaire et le groupe d’in­ter­ven­tion régio­nal de Grenoble, spé­cia­le­ment dépê­chés à Versailles pour l’oc­ca­sion, 33 pages de pro­cès-ver­baux ont été consi­gnées dans une dépo­si­tion en date du 4 et 5 juin 2014.

La mar­chan­dise, sto­ckée chez une vieille dame

La radio­gra­phie de l’é­co­no­mie sou­ter­raine à Mistral révèle une orga­ni­sa­tion très struc­tu­rée. Tout se passe dans le quar­tier, ou presque. Pour résu­mer, le tra­fic s’or­chestre dans un bar au cœur de la cité. Un taxi­phone est ouvert pour la logis­tique télé­pho­nique. L’atelier de condi­tion­ne­ment est situé non loin, rue Albert Thomas. Quant à la mar­chan­dise, elle est sto­ckée chez une vieille dame insoup­çon­nable, pré­nom­mée Colette, au onzième étage d’une des tours situées à côté de la prai­rie. Enfin, les deux points de vente sont loca­li­sés au pied de deux immeubles, là encore, au beau milieu du quar­tier. Seuls sont excen­trés de la cité quelques planques sup­plé­men­taires en centre-ville et un box à voi­tures, près du lycée Vaucanson.

Les tours au centre de la cité © Véronique Magnin – Place Gre’net

Les tours au centre de la cité. © Véronique Magnin – Place Gre’net

Comment se fait l’ap­pro­vi­sion­ne­ment ? Des tra­fi­quants lyon­nais appor­te­raient des bal­lots de haschisch et repar­ti­raient avec des ber­lines, selon le quo­ti­dien. Une opé­ra­tion qui s’ef­fec­tue­rait à la bar­rière de péage de Voreppe.

Par ailleurs, des émis­saires seraient aussi allés direc­te­ment négo­cier des prix d’im­por­ta­tion dans les mon­tagnes du Rif au Maroc, tou­jours selon Michaël P.

Inscrire un logo sur les stu­pé­fiants ? Les tra­fi­quants y réflé­chissent. “Le Danube”, ça sonne bien et c’est le nom d’un bar du quar­tier. Combien vendent-ils la mar­chan­dise ? 20 euros les bar­rettes de haschisch, de 250 à 500 euros les pla­quettes de 100 grammes (gros pavé que l’on peut décou­per en bar­rettes), et 20 euros les 2 grammes de “beuh” (herbe, éga­le­ment appe­lée « mari­juana », com­po­sée des feuilles supé­rieures et sur­tout des fleurs séchées de chanvre indien).

Concernant la “grille sala­riale”, un guet­teur gagne 50 euros par jour, un “char­bon­neur” (ven­deur) 100 euros par jour et chaque tête de réseau dégage de gros béné­fices : de 3000 à 5000 euros par jour. De l’argent qu’il s’a­git de blan­chir par des achats de véhi­cules de luxe, payés cash en Allemagne. Un volet de blan­chi­ment estimé par les enquê­teurs à plus de 500 000 euros.

« Je ne fré­quen­tais que des voyous »

De fait, les têtes de réseau mène­raient la grande vie ! Ainsi, quand ils partent en vacances en Espagne, c’est semble-t-il en convoi de voi­tures de luxe avec jet-ski sur la remorque et dans le coffre, des sacs Vuitton bour­rés de billets. Et, détail cocasse, ils équi­pe­raient leur appar­te­ment d’un sys­tème de sur­veillance relié à une tablette, pour évi­ter… les cambrioleurs.

Une voiture de la police nationale devant l'hôtel de police de Grenoble. © SH

Une voi­ture de la police natio­nale devant l’hô­tel de police de Grenoble. © SH

Mais qui est Mickaël P. ? Le Edward Snowden du tra­fic de drogue local ? Un repenti qui négo­cie sa remise en liberté ou un jeune homme fra­gile et revanchard ?

C’est, on s’en serait douté, ces der­nières thèses qui sont pri­vi­lé­giées par les avo­cats des accu­sés dans ce dossier. Car, cerise sur le gâteau, Mickaël a balancé un cer­tain nombre de membres du réseau, caïds com­pris, en bonus de l’or­ga­ni­gramme de la petite organisation.

Le “par­rain” pré­sumé a, à lui seul, assuré sa défense en pre­nant… trois avo­cats. Il faut ce qu’il faut. Ainsi donc, Mickaël serait fra­gile à en croire ces der­niers. D’autant qu’a­près le décès de son père en 2001, alors qu’il n’a­vait que 13 ans, il a décro­ché de l’é­cole et erré dans le quar­tier. Une cible facile à recru­ter pour les dea­lers. Aujourd’hui, il réa­lise : « Je ne fré­quen­tais que des voyous qui, au final, n’é­taient pas mes amis et se ser­vaient de moi ». Cela dura près de qua­torze ans.

Payé quelques billets, il n’au­rait jamais pro­fité du sys­tème. Ou si peu, à l’oc­ca­sion d’un séjour en pri­son en 2013. « Vous allez rire, iro­nise-t-il auprès des enquê­teurs, c’est la seule fois que j’ai eu un vrai salaire, des vête­ments neufs et même une console de jeux Xbox avec laquelle j’avais le temps de jouer. »

« Une confron­ta­tion tota­le­ment tronquée »

C’est lors­qu’il fut employé comme homme à tout faire au taxi­phone de Mistral, durant deux ans, révèle-t-il dans le dos­sier, qu’il a pu voir et entendre beau­coup de choses. Des accu­sa­tions que les avo­cats de la défense contestent au nom de leurs clients. Au point de deman­der, depuis un an, une confron­ta­tion à la juge d’ins­truc­tion qui a tou­jours refusé, puis à la chambre de l’ins­truc­tion qui a fini par l’accorder.

Palais de justice de Grenoble - DR

Palais de jus­tice de Grenoble – DR

La confron­ta­tion s’est dérou­lée par visio­con­fé­rence, le 19 mai der­nier, sous haute ten­sion entre avo­cats et magis­trats. « Une confron­ta­tion tota­le­ment tron­quée », nous a assuré de son côté l’a­vo­cat de la défense gre­no­blois, maître Ronald Gallo, dont le client est décrit dans ce dos­sier comme le par­rain du quartier.

Et ce, pour deux rai­sons, selon lui : « On est habi­tué à faire des visio­con­fé­rences. On en fait toutes les semaines devant les chambres d’ins­truc­tion. On voit la per­sonne comme si elle était là. Et c’est impor­tant de pou­voir, notam­ment, voir les réac­tions du visage. C’est révé­la­teur ! Or, dans ce cas pré­cis où déjà nous avons dû impo­ser la confron­ta­tion par la voie de la cour d’ap­pel, l’ac­cu­sa­teur était très loin. On le voyait à peine ». 

La confron­ta­tion doit se dérou­ler en res­pec­tant un mini­mum les règles, ajoute maître Gallo, c’est-à-dire don­ner aussi la pos­si­bi­lité aux avo­cats de poser des ques­tions à l’accusateur.

Là encore, cela n’a pas été le cas. Pendant deux heures trente, tou­jours selon le ténor du bar­reau, le juge a mono­po­lisé la parole et posé des ques­tions aux­quelles Michaël P. a sim­ple­ment répondu par oui ou par non.

« Le temps s’est écoulé. Nous n’a­vons pu poser que trois ques­tions à la fin. Impossible donc pour nous de confron­ter les décla­ra­tions de Michaël P. avec la réa­lité du dos­sier. C’est très frus­trant ! » Et ce, d’au­tant plus que son client conteste les faits qui lui sont repro­chés, bec et ongle, point par point.

Et de pour­suivre : « Une confron­ta­tion judi­ciaire est sup­po­sée cher­cher la vérité et non pas consa­crer les pro­pos de l’ac­cu­sa­teur ». Alors, à la ques­tion de savoir si le pro­cès aura lieu, il ne se pro­nonce pas car les avo­cats vont contre-atta­quer. « Si le juge d’ins­truc­tion ne se conforme pas à ses obli­ga­tions d’ins­truire à charge et à décharge, alors ce pour­rait être une cause de nul­lité », précise-t-il.

Maître Ronald Gallo © Gallo Ronald

Maître Ronald Gallo © Gallo Ronald

Autre élé­ment que la défense compte mettre en avant : l’ac­cu­sa­teur serait peut-être sous influence. « Michaël P., selon moi, pour­rait même être une taupe, d’au­tant que l’en­quête de police sur le quar­tier a com­mencé en décembre 2012 », lais­sant sup­po­ser des inter­ac­tions pos­sibles en amont entre l’homme et la police.

Toujours selon l’a­vo­cat, l’ac­cu­sa­teur pour­rait donc être dans ce cas, un déla­teur offi­ciel aux ordres et à la solde des poli­ciers qui lui auraient demandé de sur­veiller et de décrire, ou un déla­teur de cir­cons­tances. Il déroule le scé­na­rio envi­sagé : « Il est inter­pellé, mis en cause. On l’ac­cuse peut-être de faits plus graves que le tra­fic de stu­pé­fiants, à savoir de faits cri­mi­nels. Il est inquiet et on lui fait com­prendre que s’il devient plus bavard à l’é­gard des uns et des autres, on va davan­tage se mon­trer bien­veillant. D’ailleurs, on l’est par­ti­cu­liè­re­ment puis­qu’il a dénoncé et qu’il est aujourd’­hui libre ».

Indépendamment de son issue judi­ciaire, ce coup de filet a‑t-il réel­le­ment désor­ga­nisé le tra­fic dans le quar­tier ? Pas sûr, tant semblent grandes les capa­ci­tés de l’hydre à se régénérer.

Véronique Magnin

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Véronique Magnin

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