Grand Oral d'Eric Piolle organisé par Sciences Po Grenoble au théâtre municipal. © Joël Kermabon - placegrenet.fr

Grand oral de Piolle : ques­tions juri­diques et réponses politiques

Grand oral de Piolle : ques­tions juri­diques et réponses politiques

BLOG JURIDIQUE – Le grand oral d’Eric Piolle, orga­nisé par Science Po le 21 avril 2015, a été très com­menté, y com­pris de façon cri­tique. La faculté de droit de Grenoble a lar­ge­ment par­ti­cipé à cet évé­ne­ment. De quoi remettre sur la table des ques­tions de poli­tique locale aux enjeux juri­diques forts. 

SérieGrandOralPiolle-7Rappelons le concept, fort dis­cuté par ailleurs, comme Place Gre’net s’en fait l’é­cho : des ques­tions posées par des uni­ver­si­taires, une réponse d’Eric Piolle, pas de débat, mais des car­tons verts ou rouges de la part du public pour savoir si le maire avait cor­rec­te­ment répondu.

Parmi les ensei­gnants-cher­cheurs pré­sents à cette soi­rée, trois juristes de l’Université Grenoble-Alpes, qui sont reve­nus sur des thèmes impor­tants de poli­tique locale aux forts enjeux juri­diques. Retour sur ces échanges ins­truc­tifs, dans l’ordre :

La re-muni­ci­pa­li­sa­tion de la ges­tion des énergies

Sébastien Brameret, maître de confé­rences en droit public à l’Université Grenoble-Alpes, spé­cia­liste de droit public éco­no­mique et notam­ment du régime juri­dique des socié­tés d’é­co­no­mie mixte locales, est revenu sur le thème, déjà exploré à la faculté de droit, de la re-muni­ci­pa­li­sa­tion des éner­gies, dans le contexte par­ti­cu­lier de l’af­faire GEG.

Après avoir pré­senté le contexte en deux temps et notam­ment les pro­messes de re-muni­ci­pa­li­sa­tion du pro­gramme élec­to­ral de Piolle (en bon juriste), Sébastien Brameret est revenu sur le sort de GEG, à par­tir de la déci­sion d’oc­tobre 2014, adop­tée à l’u­na­ni­mité, de ne pas renou­ve­ler le mar­ché de l’é­clai­rage public au pro­fit de GEG. La ques­tion por­tait alors sur l’a­ve­nir de GEG, alors que c’est désor­mais la métro­pole qui gère les éner­gies. Y aura-t-il re-muni­ci­pa­li­sa­tion de l’é­clai­rage public ? Pourquoi ne pas ren­for­cer le contrôle de la ville sur GEG en tant que société ? Est-ce une ques­tion pure­ment poli­tique, idéo­lo­gique ? Un choix pragmatique ?

Eric Piolle rap­pelle d’a­bord le pro­jet poli­tique en matière de ges­tion des biens com­muns, qui doivent être gérés par le public, parce que ce sont des biens com­muns et que le public peut démon­trer une effi­ca­cité supé­rieure à celle du privé, car plus apte à gérer le long terme. Pour Eric Piolle, il n’y a pas d’op­po­si­tion de prin­cipe, mais c’est une ques­tion à gérer au cas par cas. Dans le cadre du pas­sage en métro­pole, la métro­pole elle-même porte ce pro­jet de grand ser­vice public de l’éner­gie, ce qui repré­sente un tra­vail en matière de tran­si­tion énergétique.

Après avoir annoncé la future re-muni­ci­pa­li­sa­tion de la com­pa­gnie de chauf­fage pour 2018, Eric Piolle rap­pelle que la délé­ga­tion de ser­vice public a déjà été recon­duite jus­qu’en 2042. Pour ce qui concerne l’é­clai­rage public, après l’é­mo­tion de l’au­tomne, Eric Piolle a annoncé cher­cher à avan­cer sur son plan lumière : il fera des annonces dans les jours pro­chains, atten­dant que le conseil muni­ci­pal ne se positionne.

A suivre, donc, y com­pris sur le blog juridique !

Les outils juri­diques de la démo­cra­tie directe

Camille Morio, doc­to­rante contrac­tuelle char­gée d’en­sei­gne­ments à l’Université Grenoble-Alpes, par­ti­ci­pant au pro­jet de Sciences Po sur les outils de démo­cra­tie directe mis en place par la nou­velle muni­ci­pa­lité, est reve­nue sur les Conseils citoyens indé­pen­dants, ins­ti­tu­tions qu’elle connaît bien et dont elle a d’ailleurs déjà expli­qué le fonc­tion­ne­ment sur le blog juridique.

Après un inci­dent de rou­lage de bou­teille en plas­tique qui a per­mis au maire de rap­pe­ler qu’il était éco­lo­gi­que­ment pré­fé­rable d’u­ti­li­ser des carafes pour l’eau, Camille Morio est reve­nue sur les enga­ge­ments 5 et 6 du pro­gramme élec­to­ral d’Eric Piolle, consis­tant à mettre en place un droit d’in­ter­pel­la­tion au pro­fit des habi­tants de Grenoble de plus de 16 ans pour toute ques­tion concer­nant la ville, don­nant lieu soit à une dis­cus­sion au conseil muni­ci­pal, soit à une « vota­tion citoyenne », autre­ment dit un sys­tème de démo­cra­tie directe.

Cependant, juri­di­que­ment, les com­munes n’ont pas le pou­voir de délé­guer un tel pou­voir aux citoyens, en rai­son du carac­tère cen­tra­lisé de l’État fran­çais, d’au­tant qu’il existe en France un cer­tain atta­che­ment à la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive. La démo­cra­tie directe est très stric­te­ment enca­drée en droit, lais­sant à la com­mune la main-mise sur ce type de pro­cé­dés. Pour mettre en place cette démo­cra­tie directe, il n’y a guère d’autre choix qu’être hors la loi. Par ailleurs, il faut une véri­table volonté poli­tique, dont la péren­nité n’est pas garan­tie. N’y a‑t-il pas, ici, une pro­messe qui ne peut pas être tenue ?

Sur les aspects juri­diques, le maire a fait appel à son joker, Pascal Clouaire. Mais pour Eric Piolle, en cette matière, la loi en réa­lité enté­rine les pra­tiques : le cadre est en train de bou­ger. Il en a alors appelé à Hubert Dubedout, rap­pe­lant que celui-ci avait mis en place les pre­mières asso­cia­tions d’im­mi­grés avant que cela ne soit légal. Cela ne “gêne donc pas du tout” Eric Piolle de contour­ner les dis­po­si­tifs légaux, y com­pris en “frot­tant sur les bords” : au contraire, pour Eric Piolle, la loi n’est pas du tout démo­cra­tique en matière de col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, don­nant trop de pou­voirs au maire.

Pascal Clouaire, quant à lui, appelle au par­tage du pou­voir avec les citoyens et à la co-construc­tion, grâce au CCI, com­po­sés à moi­tié de tirages au sort avec un droit d’in­ter­pel­la­tion au début du conseil muni­ci­pal, et au bud­get par­ti­ci­pa­tif. Pour ce qui concerne le droit d’in­ter­pel­la­tion, son effi­ca­cité dépend effec­ti­ve­ment d’une véri­table volonté poli­tique. Il y a, en tout cas, un véri­table enga­ge­ment poli­tique, selon eux, et une réflexion autour des seuils à adopter.

A suivre, donc, sur le blog juri­dique, encore !

Plan local d’ur­ba­nisme et pro­messes électorales

Enfin, Nicolas Kada, pro­fes­seur de droit public, spé­cia­liste de droit des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales et de droit de l’ur­ba­nisme, s’est inté­ressé quant à lui à la fai­sa­bi­lité juri­dique de cer­taines pro­messes élec­to­rales en matière d’urbanisme.

Après avoir insisté sur le carac­tère détendu du ren­dez-vous et le mimé­tisme ves­ti­men­taire des par­ti­ci­pants à la soi­rée, Nicolas Kada a remis la poli­tique du maire en pers­pec­tive dans le cadre de la métro­po­li­sa­tion, qui a d’ailleurs aussi déjà été l’oc­ca­sion d’un article sur le blog juridique.

Ainsi, depuis le 1er jan­vier der­nier, la ville de Grenoble a perdu sa com­pé­tence en matière de plan local d’ur­ba­nisme, qui est désor­mais une com­pé­tence métro­po­li­taine. Ce constat stric­te­ment juri­dique a conduit Nicolas Kada à poser plu­sieurs ques­tions. La notion de pou­voir muni­ci­pal en matière d’a­mé­na­ge­ment a‑t-elle encore du sens ? Le maire ne fait-il pas de la figu­ra­tion ? Dans le pro­gramme élec­to­ral d’Eric Piolle, il était indi­qué une ré-orien­ta­tion des objec­tifs d’ur­ba­ni­sa­tion (voie de cir­cu­la­tion douce, affi­chage publi­ci­taire, lutte contre la pol­lu­tion). Mais cette ré-orien­ta­tion annon­cée ne se heurte-t-elle pas aujourd’­hui à la métro­pole, là où Eric Piolle est allié à ses oppo­sants au niveau muni­ci­pal (sous-entendu les socia­listes) ? Le cadre com­mu­nal en matière d’a­mé­na­ge­ment urbain n’est-il pas devenu une simple illusion ?

La réponse d’Eric Piolle fut, comme dans les autres cas, plus poli­tique que juri­dique, mais c’est fina­le­ment assez nor­mal. Le maire a remis les choses dans le cadre plus large du pro­jet poli­tique de la métro­pole, rap­pe­lant qu’il était lui-même élu à la métro­pole et co-pré­sident du groupe le plus impor­tant de la majo­rité à la métro­pole, le groupe Rassemblement citoyen, soli­daire et éco­lo­giste de la métro­pole : 28 élus, contre 23 pour les socia­listes. La réa­lité poli­tique serait donc en sa faveur : le pré­sident Ferrari por­te­rait, lui aussi, le pro­jet éco­lo­giste, la majo­rité serait solide. Et cela serait vrai à la fois pour le loge­ment, le dépla­ce­ment et la mobilité.

Par ailleurs, la légi­ti­mité du maire serait encore aujourd’­hui intacte, en rai­son de son mode d’é­lec­tion, le maire étant le seul à dis­po­ser de la véri­table onc­tion populaire.

Enfin, Eric Piolle a rap­pelé que la ville avait modi­fié son PLU avant le trans­fert de com­pé­tences à la métro­pole, afin d’être cer­taine que cer­tains pro­jets poli­tiques forts soient garan­tis, comme pour l’Esplanade ou les antennes mobiles, au moins pour cinq ans : c’est le temps qu’il faut pour réa­li­ser un PLU intercommunal.

Conclusion

Assez cri­ti­qué, l’exer­cice, fina­le­ment, n’est pas si mal, même s’il est vrai que, d’une cer­taine manière et pour ceux qui sont habi­tués aux pro­blé­ma­tiques gre­no­bloises, il sem­ble­rait qu’au bout d’un an seule­ment on com­mence déjà à tour­ner un peu en rond. Par ailleurs, le droit de réponse man­quait, la pos­ture du maire – ayant tou­jours le der­nier mot – étant un peu facile. Chacun appré­ciera l’u­ti­lité de l’exer­cice : fut-il de fond ou de communication ?

Il en res­sort, en tout cas, que les ques­tions juri­diques sont véri­ta­ble­ment fon­da­men­tales dans la ges­tion de la chose publique, et qu’elles consti­tuent des contraintes avec les­quelles le poli­tique doit comp­ter. Peut-être même ces contraintes empê­che­ront-elles la muni­ci­pa­lité de mettre en œuvre ses pro­messes, comme les trois exemples choi­sis par les ensei­gnants-cher­cheurs de la faculté de droit le démontrent. Dur retour à la réa­lité ou pen­sée pro­gres­siste ? Chacun choi­sira, mais force est de consta­ter que la com­mu­ni­ca­tion poli­tique reprend ses droits.

Cette soi­rée aura aussi été l’oc­ca­sion pour les col­lègues de la faculté de droit de s’in­ves­tir encore dans la cité, confor­mé­ment au pro­gramme de recherche que la faculté s’est donné. A suivre, donc !

Romain Rambaud

FB, NK et RR

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