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The Voices : humour et mort par Marjane Satrapi

The Voices : humour et mort par Marjane Satrapi

BLOG CINÉMA - The Voices, gâte­rie déca­lée pour fans de comé­dies noires, est le qua­trième film de Marjane Satrapi. Loin des charmes de l’Orient, il se déroule aux États-Unis, ter­ri­toire d’un anti­hé­ros psy­cho­tique qui entend des voix. Ryan Reynolds y étonne dans un rôle à contre-emploi.

Péjorativement, on dira des esthètes qu’ils affectent le culte raf­finé du beau for­mel, au détri­ment de toute autre valeur. Ou plus sim­ple­ment qu’ils pri­vi­lé­gient la forme au fond. Ce n’est pas le cas de Marjane Satrapi. Son nom ne vous dit rien ? Mais si ! Vous devez cer­tai­ne­ment bien connaître cette Iranienne fran­co­phone qui peut se van­ter de cumu­ler bon nombre de cordes à son arc. Entre la bande des­si­née – scé­na­rio et des­sin –, le cinéma et la pein­ture en pas­sant par la musique, dif­fi­cile de lui attri­buer une autre case que celle d’ar­tiste polyvalente.

Révélée grâce à l’a­dap­ta­tion fil­mique de Persepolis, je l’ai, pour ma part, décou­verte sur le divin Poulet aux prunes, coréa­lisé avec Vincent Paronnaud. Ce long métrage a su appor­ter un peu de diver­sité dans ma culture ciné­ma­to­gra­phique qui avait gran­de­ment besoin de sa poé­sie, de sa musi­ca­lité envoû­tante. Marjane Satrapi arbore un style raf­finé où l’i­mage s’ac­corde avec le son. Son écri­ture est ana­logue à celle du conte, à la fois moderne et emprunte de clas­si­cisme. Ce qui libère une poé­sie baroque, bien­ve­nue dans le sep­tième art.

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Après Persepolis, Poulet aux prunes et La Bande des Jotas (que je n’ai mal­heu­reu­se­ment pas vu), elle signe The Voices, une comé­die à l’hu­mour déran­geant. Critique.

Distorsion de la réalité

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De gauche à droite : Bosco, Jerry (Ryan Reynolds) et M. Moustache. DR

Milton, États-Unis. Jerry Hickfang (Ryan Reynolds) mène une exis­tence pai­sible au-des­sus d’un bow­ling désaf­fecté avec son chien, Bosco, et son chat, M. Moustache.

Employé dans une entre­prise de bai­gnoires pros­père, il est convié à une petite fête orga­ni­sée entre col­lègues. Lors des pré­pa­ra­tifs, il fait la connais­sance de Fiona (Gemma Arterton), déli­cieuse jeune femme aux lèvres pul­peuses et aux che­veux char­bons, dont il tombe immé­dia­te­ment amou­reux. Mais, contrai­re­ment à lui, cette der­nière ne vit pas une idylle, pré­fé­rant décli­ner ses avances au pro­fit d’a­mu­se­ments plus tra­di­tion­nels tels que le karaoké, si cher à ses amies de tou­jours. Cette situa­tion est pro­pice à l’ins­tal­la­tion d’un fort contraste qui s’avère moteur d’une intrigue ahurissante.

En effet, der­rière ses airs constam­ment ahu­ris et son atti­tude quasi-infan­tile (qui, soit dit en pas­sant, ins­pirent une cer­taine sym­pa­thie), Jerry cache un lourd secret. Schizophrène para­noïaque depuis l’en­fance, trait pro­ba­ble­ment hérité de sa mère, Jerry tue. Ou plu­tôt son double tue. En pleine rue, chez lui ou dans la forêt. Au cou­teau, la plu­part du temps. Parfois sans même s’en rendre compte. Mais il tue. L’originalité étant que le com­man­di­taire de tous les meurtres est son chat, M. Moustache, qui jure comme un char­re­tier, s’op­po­sant à la bonne conscience de Bosco, chien fidèle, pen­dant 1 h 43.

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Jerry et son patron (Paul Chahidi). DR

Régulièrement, Jerry a ren­dez-vous chez sa psy­cha­na­lyste (Jacki Weaver), laquelle lui pres­crit des com­pri­més cen­sés sta­bi­li­ser son état. Si par mal­heur Jerry refuse de les prendre, la réa­lité lui appa­raît comme biai­sée, dénaturée.

Par exemple, il ne voit pas ses col­lègues en bleu de tra­vail mais en rose de tra­vail, selon l’ex­pres­sion « voir la vie en rose ». De même, son appar­te­ment semble impec­ca­ble­ment rangé alors que des cœurs et autres vis­cères jonchent le sol et recouvrent les murs. Vous l’au­rez com­pris, dans The Voices, tout n’est qu’op­po­si­tion, contraste et appa­rences trom­peuses. D’autant que durant les pre­mières minutes, le spec­ta­teur ne se doute de rien.

Pour être hon­nête, je n’i­ma­gi­nais clai­re­ment pas Ryan Reynolds dans le rôle titre. Du moins jus­qu’à ce que je visionne ce film. La pro­fes­sion n’a pas pour habi­tude de lais­ser s’ex­pri­mer son talent, l’as­so­ciant notam­ment à de gigan­tesques navets tels que Green Lantern ou X‑Men Origins : Wolverine. Mais force est de consta­ter que sa pres­ta­tion est ici assez rafraî­chis­sante et tout à fait juste. Entre l’im­bé­cile heu­reux et le tueur névro­tique, il par­vient à pro­vo­quer le rire autant que la peur. S’il est une rai­son d’al­ler voir The Voices, c’est bien celle de décou­vrir le Canadien sous un nou­veau jour.

Résultat en demi-teinte

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Jerry tue. DR

Au résumé du scé­na­rio, vient peut-être à l’es­prit le terme de des­cente aux enfers. Le film traite effec­ti­ve­ment la dégé­né­res­cence d’un homme perdu, tiraillé entre rêve et réalité.

2015 serait-elle l’an­née de l’Entre deux mondes ? Assurément. Mais The Voices c’est aussi la des­cente aux enfers du cinéma de Marjane Satrapi. Alors que l’Iranienne s’es­saye au genre, celui-ci dévoile ses pre­mières limites. Mais alors, le résul­tat est-il mau­vais ? Non. Seulement en demi-teinte.

Si tout va bien ques­tion réa­li­sa­tion – plans et mou­ve­ments de caméra soi­gnés, cou­leurs cha­toyantes, beau­coup d’élé­ments emprun­tés au cinéma du look… –, l’é­cri­ture de Michael R. Perry affiche quelques lacunes. Le scé­na­riste, qui a scripté son incur­sion dans l’in­dus­trie du cinéma en même temps que Paranormal Activity 2, a choisi l’hu­mour noir pour por­ter le récit, choix judi­cieux puisque atté­nuant le gore au pro­fit d’une lou­fo­que­rie dis­tan­ciée. Dommage que cette der­nière soit un poil trop envahissante.

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Jerry et Fiona (Gemma Arterton). DR

Aussi, ama­teurs de sus­pense hale­tant s’abs­te­nir. Car c’est aux meurtres san­glants et aux conver­sa­tions sur­réa­listes que The Voices doit ses meilleurs moments. Beaucoup de cri­tiques lui reprochent l’ab­sence d’une véri­table enquête et ce légi­ti­me­ment. Personne ne sus­pecte Jerry ni même le menace. Il faut attendre une der­nière ligne droite enguir­lan­dée pour que l’an­ti­hé­ros encourt un risque : une poi­gnée de per­son­nages secon­daires peu inté­res­sants et absents jusque-là qui resur­gissent façon série poli­cière un peu Z. Autant vous dire que la conclu­sion désappointe.

En conclu­sion et mal­gré tout ce que j’ai pu lui repro­cher, The Voices se laisse regar­der. Il est un diver­tis­se­ment qui veut bien faire, serti d’i­ro­nie et d’hu­mour noir, de folie rafraî­chis­sante. L’absence d’une his­toire aux intrigues et per­son­nages déve­lop­pés mais aussi et sur­tout d’une vraie fin est évi­dem­ment à déplo­rer. Mais il n’y a rien de plus plai­sant que de contem­pler son absur­dité qui s’épanouit dans une vio­lence lou­foque. L’absurde, c’est un art à part entière. L’essence de la vie et du cinéma. Le sang de l’exis­tence. Le même sang que fait cou­ler l’at­ta­chant anti­hé­ros pen­dant 1 h 43. C’est pour­quoi les admi­ra­teurs de Satrapi seront com­blés. Ceux de Reynolds enchan­tés. Quant à Perry, je doute qu’il puisse se van­ter d’en avoir. Bref. Fans de comé­dies noires, ren­dez-vous au cinéma !

Maxime Ducret

TheVoicesPosterThe Voices

Un film de Marjane Satrapi, avec Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick et Jacki Weaver (Allemagne, États-Unis)

Genre : comédie

Durée : 1 heure 43 min
Sortie en salles le 11 mars 2015

Séances : cinéma Le Club, 9 bis rue du Phalanstère à Grenoble.

Tél. : 04 76 87 46 21

M. Ducret

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