BLOG GEEK – Le geek étant par nature un être enclin à l’idolâtrie, les séries cultes ne manquent pas au sein de son univers. Peu occupent pour autant une place aussi prédominante, aussi singulière aussi, que la célèbre X‑Files, dont le retour sur les écrans est confirmé. Papier de fan et petit tour d’horizon – forcément lacunaire – sur un objet télévisuel non-identifié qui a changé le visage du huitième art.
X‑Files de retour après plus de dix ans d’absence, les fans « wanted to believe » mais n’y believaient qu’à moitié… Annoncée il y a quelques mois, la nouvelle aurait été rangée dans les tiroirs des rumeurs non classées, aux côtés d’un possible retour de Friends ou d’un nouveau tome de la saga Harry Potter. Et pourtant, la Fox l’a confirmé : six nouveaux épisodes des aventures de Fox Mulder et Dana Scully sont bel et bien en cours de préparation.
Autre nouvelle d’importance : ces six épisodes compteront au générique David Duchovny et Gillian Anderson. Cela tombait sous le sens ? Pas nécessairement. On parle bien d’un nouveau Ghostbusters sans Bill Murray ni Dan Aykroyd, remplacés par une équipe féminine. Misogynie à part, comme disait le poète, nous sommes en présence d’une tentative de récupération de franchise particulièrement grossière. Et nous irons tout de même voir à quoi cela ressemble dès que le film sera disponible…
Au-delà des frontières du delà du réel
Le retour de Duchovny et Anderson côte à côte allait encore moins de soi quand on sait combien leurs rapports étaient tendus durant le tournage des X‑Files originels. Certes, le temps calme bien des ardeurs et le duo s’était déjà retrouvé à l’occasion d’un film sorti en 2008.
Mais qui se souvient des dernières saisons de la série aura en tête les trésors d’imagination des scénaristes et des réalisateurs pour faire en sorte que les deux acteurs aient le moins de scènes possibles à tourner ensemble. Cela précisément au moment où les liens entre les deux personnages se resserrent de plus en plus, l’amour prenant le pas sur l’amitié…
Les causes de cette brouille ? Sans vouloir sombrer dans le pipole de bas étage, mentionnons que David Duchovny l’a mise sur le compte de la promiscuité. À force de collaborer avec quelqu’un que l’on aime, on finirait par le détester. Une théorie que l’on souhaite fausse à tous les couples qui ont le malheur de travailler ensemble.
Duchovny est toutefois moins prolixe lorsqu’il s’agit d’évoquer des histoires de gros sous : l’acteur était tout bonnement mieux payé que l’actrice, qui apportait pourtant autant à la série que son comparse masculin. Une raison plutôt légitime de ressentir un tantinet d’amertume.
X‑Files est apparue sur les écrans français en 1994, avec tout le respect qui était dû aux séries à cette époque : titre français ridicule (Aux Frontières du réel), coupures pub de rigueur et doublages obligatoires. Encore que, pour ce dernier point, on ne peut que saluer la qualité de la version française : les doubleurs insufflent dans le jeu des deux acteurs principaux des variations et des subtilités que l’on ne retrouve pas en version américaine.
En somme, X‑Files fait partie de ces rares séries – cela vaut également pour les Simpson – qu’il est la plupart du temps préférable de regarder en version française qu’en version originale. Un exploit à une époque où les doublages étaient d’une médiocrité déplorable, nuisant à la réception même des séries. Il suffit de regarder n’importe quel épisode doublé de Buffy contre les vampires pour s’en convaincre.
Originale et novatrice dans le fond comme dans la forme, X‑Files allait vite séduire une jeune génération qui grisonne aujourd’hui – les miroirs matinaux sont cruels – mais peut se vanter d’avoir connu les débuts de l’âge d’or des séries américaines.
En alternant réalisme cru et science-fiction aux teintes psychédéliques, tout en privilégiant une palette de couleurs où prédominent fréquemment le vert et le rouge, le feuilleton impose sa marque de manière presque subliminale. Nettement moins démonstrative mais tout aussi efficace que celle de Twin Peaks, dont l’esthétique a par ailleurs fortement influencé X‑Files.
Binôme paritaire
Le mélange entre réalisme et fantastique apparaît dans les fondements scénaristiques mêmes de la série. Gillian Anderson interprète Dana Scully, médecin de formation qui a choisi de rejoindre les rangs du FBI. Elle se voit chargée de faire équipe avec l’agent Fox Mulder, pour le seconder mais aussi pour l’espionner secrètement et rendre compte de la validité de son travail.
Mulder est en effet chargé des affaires non-classées, autrement dit des X‑Files, les enquêtes du Bureau n’ayant jamais abouti et présentant des aspects échappant à toute rationalité. Un service du FBI qui suscite l’ironie autant que le mépris des agents gouvernementaux et vaut à Fox Mulder le délicat sobriquet du « Martien ».
Fox Mulder n’est cependant pas qu’un doux-dingue : agent surdoué, il a mis au point une grille de profils psychologiques des tueurs en série ayant permis l’arrestation de l’un des plus redoutables d’entre eux.
Sans son obsession très personnelle pour tout ce qui peut relever du surnaturel, il aurait certainement fait une carrière brillante au sein du FBI. Mais Fox Mulder est convaincu que sa sœur Samantha a été enlevée par des extraterrestres lorsqu’ils étaient enfants, et cette certitude prendra le pas sur toute autre considération.
Le duo est posé : Scully incarne la raison quand Mulder incarne la passion. L’une cherche toujours à ramener sur terre un coéquipier la tête dans les étoiles. Mais les frontières sont étanches et les rôles ne manqueront pas de s’inverser, de saison en saison, au gré des doutes et des événements. Jusqu’à ce que la vérité – qui est « out there », au-delà, ainsi que le clame le slogan de la série – ne finisse par éclater et que Dana Scully soit confrontée à la puissance tentaculaire d’un vaste complot américano-extraterrestre.
La série se veut ainsi l’occasion d’aller prospecter dans tous les registres du paranormal, qu’il s’agisse des mythes les plus ancestraux – les mythologies amérindiennes, vaudoues ou juives – ou de thématiques modernes voire contemporaines, y compris la maladie de la vache folle ou la nocivité des ondes téléphoniques ! Si certains épisodes apparaissent comme des hommages (pour ne pas dire des copies) de quelques classiques du cinéma de genre – Freaks ou The Thing –, la plupart se distinguent par l’originalité de l’imaginaire qu’ils mettent en jeu.
En parallèle, à mesure que progresse la série, le complot extraterrestre prend pour sa part une proportion démesurée qui vaut à X‑Files sa réputation de série « paranoïaque » et se présente comme le fantasme ultime de la pensée conspirationniste. Si ce fil scénaristique souffre parfois de retournements ou de zones d’ombres quelque peu déroutants, il n’en demeure pas moins un modèle du genre, alimenté notamment par la richesse de ses personnages secondaires.
Figures de l’ombre
Parmi eux, « l’homme à la cigarette » compte parmi les plus emblématiques : fumeur invétéré, il est le chef d’orchestre de la conspiration, manipulant chaque rouage de la société américaine pour préserver les intérêts d’une caste réduite qui tire profit de l’aveuglement des foules. L’homme a ses entrées partout et modèle les destins a sa guise.
On découvrira qu’il est l’assassin de Kennedy comme de Martin Luther King. On découvrira encore qu’il est un écrivain raté, dont la seule réelle et sincère ambition est d’être publié un jour. Faisant ainsi de lui le seul maître du monde par défaut de l’Histoire.
Autres figures marquantes de l’univers X‑Files, les Lone Gunmen sont tellement pittoresques qu’ils auront droit à leur propre série, un spin-off qui ne rencontrera pas le succès escompté et se limitera à une saison. Trio de citoyens éclairés, les Lone Gunmen – qui tirent leur nom de la fameuse théorie du « tireur isolé » de l’assassinat de Kennedy – éditent un journal cherchant à révéler à un monde incrédule la réalité des conspirations qui le parsèment.
Leur savoir-faire en terme de piratage informatique et la multiplicité de leurs sources en font des partenaires incontournables pour Fox Mulder, quand bien même ils ont tendance à adhérer aux théories les plus délirantes, même aux yeux du Martien du FBI. Les trois amis mourront en héros, se sacrifiant pour protéger des citoyens d’un attentat à l’arme chimique, et auront droit aux honneurs militaires.
Affaire non classée à suivre
La manière dont, vingt ans après, ce bestiaire si particulier demeure vivace dans l’imaginaire geek témoigne de la qualité du travail de Chris Carter, créateur des X‑Files. Encore faut-il ajouter la personnalité même de la série, qui sait alterner entre épisodes sérieux et légers, développant un humour qui deviendra de plus en plus absurde au fil des ans, sans jamais tomber dans le pur registre comique, ni céder à la moindre facilité d’écriture.
Treizième épisode de la neuvième saison, « Improbable » compte à ce titre parmi les plus représentatifs, mettant en scène un Burt Reynolds fascinant et farfelu, amoureux des chansons de… Karl Zéro. L’épisode déploie des trésors d’ironie mystique, ce qui lui vaut de compter parmi les plus populaires, malgré l’absence de Duchovny au générique qui, dans les dernières saisons, jouait les filles de l’air.
La question qui se pose est naturellement de savoir si les six nouveaux épisodes annoncés sauront renouer avec l’audace développée par la série originale, qui fut l’occasion de tant de prises de risques esthétiques ou scénaristiques, sans avoir pour autant bénéficié d’une conclusion digne de ce nom. On peut craindre – mais ce ne sont là que les conjectures d’un éternel pessimiste – que l’opération ne consiste au final qu’en une pénible résurrection nostalgique et opportuniste.
L’inverse serait surprenant, mais ce ne sont pas les surprises qui manquent dans le domaine des affaires non classées du FBI.
Florent Mathieu