FOCUS – Après la publicité, la capitale des Alpes va-t-elle partir en guerre contre les opérateurs de téléphonie mobile, au risque de se placer derechef sur le terrain judiciaire ? En s’apprêtant à modifier son plan local d’urbanisme, le lundi 15 décembre, la ville de Grenoble espère en tout cas tenir les antennes-relais à distance des écoles, crèches et maisons de retraite.
La ville de Grenoble se prépare-t-elle à un nouveau bras de fer ? En envisageant d’interdire l’installation d’antennes-relais de téléphonie mobile dans un périmètre de cent mètres autour des écoles, crèches, établissements de santé et maisons de retraite, la première ville écolo de France a décidé de taper du poing sur la table. Car rien n’empêche un opérateur de s’installer. Et pour cause, en la matière, les maires ont les pieds et mains liés. S’ils disposent bien du pouvoir de police sur leur commune, la police spéciale des communications électroniques est confiée à l’État. Elle exclut donc toute intervention du premier magistrat pour réglementer les antennes-relais. « Aujourd’hui, les opérateurs peuvent tout à fait installer une antenne à dix mètres d’une école ! », pointe Lucille Lheureux, adjointe aux espaces publics, en charge du dossier à la ville de Grenoble. Du coup, la grogne monte chez les riverains. L’association Robin des Toits et la Coordination Citoyenne Antennes-Relais Rhône-Alpes (CCARRA) forte de 35 collectifs sur l’agglomération grenobloise, multiplient les procédures. Et comptent les points. « On a gagné à la Caserne de Bonne, on a gagné rue des Alliés, on a gagné à Fontaine, à Sassenage… », énumère Jean Rinaldi, délégué régional de l’association, fer de lance de la contestation.Une réglementation complexe
En France, passer par la case tribunal fait partie du rituel. Car, en matière d’antennes-relais, le législateur, non seulement n’impose pas grand-chose, mais semble même s’amuser à embrouiller les fils. La réglementation s’appuie sur un décret qui remonte à… 2002. Lequel stipule que la puissance émise ne doit pas dépasser 41 volts par mètre (V/m) pour la 2G, 61 V/m pour la 4G. Autre exigence : que la distance aux écoles ne soit pas inférieure à cent mètres.* Et le législateur a pris des gants. « Dans un rayon de cent mètres de l’installation, l’exposition du public au champ électromagnétique émis par cette installation est aussi faible que possible, tout en préservant la qualité du service rendu », précisent les textes. Ce qui laisse une certaine latitude… Mais les associations brandissent d’autres textes, et d’autres normes. Le code des postes et télécommunications électroniques notamment. Ce dernier qui vise à assurer la compatibilité électromagnétique des équipements entre eux fixe, lui, le plancher à 3 V/m. Un code qui devrait donc légitimement s’appliquer comme le rappelle Pierre le Ruz, le président du Criirem. Mais pour le législateur, cette norme ne représente pas une valeur d’exposition à respecter. Pas plus que la recommandation à 0,6 V/m du Conseil de l’Europe, pourtant communément admise comme étant le seuil de précaution.« La Ville n’a aucun outil pour intervenir »
Résultat : dans l’Hexagone, les valeurs mesurées ne signifient pas grand-chose. Il suffit pour cela de se pencher sur les outils officiels à disposition du public pour s’en convaincre. Rue Thiers et rue Marceau à Grenoble, les puissances mesurées à l’intérieur et à l’extérieur des habitations vont jusqu’à 5,24 V/m. Sans que ces valeurs n’émeuvent les autorités chargées du contrôle. Et pour cause, elle sont bien en-deçà des normes. Du coup, il ne se passe rien. « La ville n’a aucun outil pour intervenir sur les antennes, se justifie Lucille Lheureux. Notre seule entrée, c’est le paysager via le plan local d’urbanisme. » C’est donc par la voie de l’intégration paysagère et de la pollution visuelle que la ville de Grenoble entend tailler des croupières aux opérateurs historiques que sont Orange, Bouygues, Free et SFR. Lundi 15 décembre 2014, les élus devront donc se prononcer sur la modification du plan local d’urbanisme (PLU) de la ville. Adopté, le nouveau document permettrait de bouter hors des murs tout projet d’antenne-relais jugé trop près des bâtiments sensibles.Une marge de manœuvre très étroite
« Notre marge de manœuvre est étroite, reconnaît l’élue écologiste. Et ce n’est pas suffisant. » Car la distance de cent mètres prévue autour des bâtiments est pour le moins dépassée. Valable pour la 2G, elle fait doucement rire les opérateurs qui travaillent à mettre au point la… 6G. « Pour la 2G, on avait affaire à des antennes de 40 watts avec des gains de 60 watts, soit une puissance de 240 watts, explique Pierre le Ruz. Avec la 4G, la puissance atteint 2 400 watts ! ». Allonger le périmètre à 600 ou 700 m comme le préconise Robin des Toits ? « Cent mètres, c’est la distance inscrite dans le décret et c’est la seule solution pour ne pas être attaqué par les opérateurs », justifie Lucille Lheureux. Avant Grenoble, d’autres se sont cassés les dents face à la plus haute juridiction administrative. Le 26 octobre 2011, suivant les conclusions de son rapporteur Xavier de Lesquen, le Conseil d’État a jugé illégaux les arrêtés pris par trois maires pour interdire les antennes-relais dans un périmètre de 100 à 300 m autour de bâtiments sensibles. Et la marge de manœuvre est d’autant plus étroite que les soupçons de collusion entre les plus hautes sphères et les opérateurs ne laissent plus planer aucun doute. Deux exemples : Rafika Rezgui, directrice des services extérieurs de Bouygues et porte-parole du PS (elle a démissionné depuis). Ou bien encore, Xavier de Lesquen, rapporteur du Conseil d’État, amené à se prononcer sur les autorisations d’installation d’antennes-relais attaquées par les associations de riverains, qui fut aussi l’ancien directeur du Défi Bouygues-Telecom… La ville de Grenoble d’un côté, les opérateurs de l’autre. Le rapport de force ne penche pas en faveur de la métropole. Mais le travail est engagé et le débat, posé. La Ville dit avoir reçu les collectifs de riverains, rencontré les opérateurs. Mais difficile visiblement de faire assoir tout ce monde autour d’une même table. C’est pourtant ce qu’est parvenu à faire Échirolles.Dialoguer pour désamorcer
Première commune en France à réaliser avec le Criirem une cartographie des ondes, Échirolles a choisi la voie de la concertation. Là, pas de charte. Car comment imposer un seuil d’exposition quand les contraintes réglementaires sont inexistantes ? A la place, un conseil consultatif constitué depuis 2012 d’élus, d’habitants, de techniciens et d’opérateurs. Objectif ? Dialoguer en amont pour désamorcer. Résultat, la ville n’a pour l’instant pas vu émerger de collectifs anti-antennes. En échange de quoi, les opérateurs ont parfois dû se voir refuser leur projet, abaisser les puissances rayonnées… Au final, aucune antenne ne dépasse les 6V/m. Mais alors que se préparent la 5 puis la 6G, beaucoup estiment ce « compromis » insuffisant. Comme à Grenoble. « Pas question de seulement réorienter les faisceaux », appuie Lucille Lheureux. Alors que dans le département voisin de la Drôme, Valence emprunte le chemin tracé par Échirolles, Grenoble semble avoir clos les discussions sans laisser plus de place à la négociation, tirant un trait sur une possible coopération intercommunale. Comme le souligne Pierre le Ruz : « les champs électromagnétiques ne s’arrêtent pas aux frontières communales ». Le bras de fer ne fait peut-être que commencer… Patricia Cerinsek * La Grèce, l’Autriche, le Luxemboug et la Belgique ont réduit leur limite d’exposition à 3V/m. Le comté de Salzburg en Autriche est descendu à 0,6 V/m ; la Pologne, la Chine, l’Italie et la Russie ont baissé leur valeur de référence à 6 V/m.
GRENOBLE, VILLE EXPÉRIMENTALE EN 2009. ET APRÈS ? RIEN… En 2009, Grenoble avait été ville pilote pour expérimenter la réduction de l’exposition aux ondes électromagnétiques. Dans trois quartiers, Villeneuve, Vigny-Musset et Village Olympique, les mesures se sont succédé. Bilan ? Plus de 90 % des mesures ont révélé des puissances inférieures à 1,5 V/m. La métropole était aussi ville test pour s’assurer qu’il était possible d’abaisser les seuils à 0,6 V/m, en s’alignant sur une recommandation du Conseil de l’Europe de mai 2011. Réponse ? Oui, mais à condition de multiplier le nombre d’antennes-relais par 1,6 histoire de garder une bonne qualité de réception. Le hic, c’est les opérateurs rechignent à multiplier le nombre d’antennes, d’autant que rien ne les y oblige… Depuis, la 4G a pris ses quartiers à Grenoble. Et l’expérimentation a fait chou blanc.
A lire également sur Place Gre’net :
- Pierre le Ruz (CRIIREM) : « tout le monde est électrosensible »