PORTRAIT – Avec la nuit de l’improvisation de Jean-François Zygel en guise de bouquet final, l’association Musée en musique a offert un beau cadeau aux Grenoblois pour couronner la saison musicale 2013 – 2014 de l’auditorium. La veille, nous avons rencontré le créateur du spectacle, Jean-François Zygel.
Ne pouvait-on trouver meilleur spécialiste que Jean-François Zygel, compositeur et pianiste improvisateur, pour nous expliquer en quoi consiste l’improvisation ? Très concentré et disponible, le musicien contemporain s’est prêté au jeu de l’interview.
Une création en temps réel
Oubliées les partitions ! « Dans l’improvisation, il y a une grande joie car le musicien lui-même ne sait pas ce qu’il va faire et le public non plus. La création a lieu en direct sous “les oreilles” du spectateur » explique-t-il. Il faudrait être naïf pour penser que l’improvisation n’est pas le fruit d’un long travail. « Il faut bien sûr maîtriser son instrument, avoir une certaine virtuosité, savoir établir un discours musical, improviser des mélodies, les articuler, s’inscrire dans une forme, enchaîner des accords différents. » Faut-il des prédispositions ? Le musicien n’y croit pas trop. « C’est en passant beaucoup de temps à faire de l’improvisation que se développent une pensée, des capacités de compositeur ».
Tel un grand chef
Lors des nuits de l’improvisation, le public assiste à un véritable concert-spectacle. Et pour cela, l’improvisateur a tout prévu ! Tel un grand chef, il élabore sa recette avec précision. Tout d’abord, mélanger les genres musicaux : baroque, classique, jazz… Y ajouter l’investissement de tout l’espace par les musiciens et mélanger les arts. Il y a aussi de la danse, de la peinture, du théâtre improvisés, de la vidéo voire du cinéma muet. Enfin, laisser libre le spectateur pour qu’il puisse improviser sa propre soirée, en se déplaçant à sa guise d’un lieu à un autre. Lors des nuits de l’improvisation, « il y a une communication incroyable, une énergie, une jubilation » assure-t-il.
Certains musiciens se découvrent à l’occasion de ces soirées. « La première fois que l’on partage la scène avec quelqu’un, il y a une électricité, une incertitude, quelque chose d’extraordinaire qui se passe ». D’autres se connaissent déjà. C’est alors l’occasion pour eux d’explorer de nouveaux territoires, de nouvelles sonorités, de nouveaux rythmes.
L’explorateur éclectique
En Jean-François Zygel, il n’y a bien de classique que sa formation. Il s’affirme musicien contemporain et l’idée d’être un explorateur lui convient parfaitement. Effectivement, « du côté des arts, j’ai exploré systématiquement la collaboration avec le cinéma, la vidéo, les arts plastiques, la danse, le théâtre, les arts du cirque et, chaque année, je sais que je dois explorer quelque chose de nouveau. Du côté de la musique, il y a deux ans, j’ai voulu voir si je pouvais faire du piano avec des beat boxers comme Bobby McFerrin. Cette année, je me suis lancé dans une collaboration avec la musique électronique. Il s’agit de jouer en duo avec un musicien électro sur un film muet, une adaptation de La Chute de la maison Usher, d’Edgar Allan Poe. » Bouillonnant d’activités, il enchaîne battles et concerts. Jusqu’à cent cinquante par an. On connait aussi Jean-François Zygel comme animateur dans ses émissions de télévision, La Boîte à musique et Les Clefs de l’Orchestre. Une activité anecdotique qui ne représente que 5 % de son temps. Mais tout de même importante à ses yeux parce qu”« il faut que le grand public connaisse aussi les œuvres de la musique savante. ».Pour une musique classique vivante
Il est loin le temps de l’apprentissage. Pourtant Jean-François Zygel se souvient de ses professeurs. « On ne devient pas musicien sans professeurs. On se construit en les aimant, en les détestant, en les imitant ou en les contredisant ». En 1982, il a remporté le premier prix du concours international d’improvisation au piano de la Ville de Lyon. « En soi, un concours ce n’est rien. C’est même ridicule ! On n’est pas un bon ou un mauvais artiste parce qu’on a réussi ou pas un concours. Par contre, cela donne un but. On s’abstrait du monde et on se concentre sur cet objectif. A chaque fois que j’ai passé un concours, il s’est passé des choses en moi. » Le brillant improvisateur garde des traces de ses concerts. Certains sont enregistrés. Citons un disque de 2011, Double Messieurs, « avec Antoine Hervé, formidable pianiste de jazz […] Nous n’avons pas repris des standards ni improvisé sur des grilles de jazz. C’est un monde sonore que nous avons inventé ». Largement reconnu par ses pairs, ce pianiste infatigable a aussi obtenu les victoires de la musique en 2006. A la question “qu’est-ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous ?”, marquant une pause, il confie : « Si, après ma mort, des gens écoutent ma musique avec plaisir, je serai très heureux, que quelques petites pièces trouvent ainsi grâce à leurs yeux. J’aimerais aussi que l’on retienne que j’ai essayé de faire passer la pratique de la musique classique de musée, de conservation et de reproduction à une pratique plus inventive, innovante, à la musique classique vivante : la MCV. Une musique qui dialogue avec les autres genres de musique, avec les autres arts, au cœur de la vie contemporaine. » L’interview s’achève. Et le voilà déjà reparti dans un tourbillon. Véronique MagninClasses d’impro Jean-François Zygel est aussi professeur de musique depuis le milieu des années 90. Il y a dix ans, il fonde la classe d’improvisation au clavier du conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSMP). Depuis, des classes d’improvisation se multiplient un peu partout en France dans les conservatoires et sont ouvertes autant aux hommes qu’aux femmes. Désormais, de jeunes pianistes passés par ses cours, n’hésitent plus à se revendiquer improvisateurs : Jean-Frédéric Neuburger, Karol Beffa … Huit questions à Jean-François Zygel autour de l’improvisationRéalisation Véronique Magnin – JK Production
Réalisation Véronique Magnin – JK Production
Et en bonus une courte interview du célèbre saxophoniste Philippe Geiss.Réalisation Véronique Magnin – JK Production
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