BLOG ENVIRONNEMENT – Pour faire face au gaspillage alimentaire, différentes initiatives émergent dans l’agglomération. Certains établissements scolaires tentent notamment de s’adapter en évaluant quotidiennement le nombre d’élèves présents à la cantine et en tenant compte de leurs goûts pour limiter au maximum le gâchis.
Nous avons l’art en France de désigner régulièrement des thématiques grandes causes nationales, dont l’écho se perd dans le flux constant de notre actualité mondialisée et dernièrement « sotchisée » sur les exploits indéniables mais autrement plus attirants des sportifs du froid. Le monde de la jeunesse, avec sa réactivité et son enthousiasme, s’est emparé depuis quelque temps déjà du sujet de façon généreuse et ludique, avec l’explosion des actions « disco-soupes ». Leur principe ? Préparer des soupes distribuées gratuitement et dans une ambiance musicale avec les invendus récoltés sur les marchés locaux ou dans des supermarchés.Les associations caritatives telles que l’armée du Salut, le CCFD ou les Restos du Cœur (pour ne citer qu’elles) ont depuis longtemps transformé ce gâchis en arme de solidarité massive.
Paradoxe
L’Europe est devenue, après la seconde guerre mondiale, paroxysme de destruction et de désespérance, un monde de stabilité et d’abondance qui a construit sa réussite économique sur un modèle de croissance continue, à défaut d’être exponentielle. Cette abondance a renversé les valeurs traditionnelles au fur et à mesure que les dépenses dites « alimentaires » étaient relayées loin derrière le logement, la voiture et les loisirs. De quoi brouiller définitivement – avec l’euro institué depuis 2000 – les cartes des références à l’évolution du coût des denrées alimentaires. Si l’on ajoute à cela des activités agricoles fortement subventionnées, une surproduction régulière de matières produites et des circuits de transport et de distribution toujours plus efficaces organisés autour de zones géographiques spécialisées, on obtient régulièrement ces scènes « insoutenables » de milliers de tonnes de fruits et légumes, d’œufs voire de lait déversés à même la terre et qui symbolisent le règne du gâchis absolu. Pour consommer, nous consommons, encore et toujours plus mais insuffisamment manifestement au regard des essais de quantification du différentiel entre la nourriture produite et celle réellement consommée dans nos pays dits riches. Et ces chiffres donnent le tournis. Alors, avec un brin de fatalisme et de référence littéraire, on parle de tonneau des Danaïdes, ce puits sans fond au remplissage impossible et éternel, auquel notre humanité semble condamnée.L’épreuve du réel
Le milieu associatif s’est depuis longtemps mobilisé, à l’image de France nature environnement (FNE), précurseur d’actions fortes de sensibilisation contre ce scandale d’un monde en crise et qui continue malgré tout à produire plus qu’il ne consomme. C’est à l’occasion d’une de ses campagnes, en 2012, que j’ai trouvé l’occasion de me « coltiner » la fameuse épreuve du « Je dis donc je fais » pour échapper aux reproches réguliers faits au discours écologique d’être imprécateur, voire moralisateur, sans prise directe avec le monde réel. Et j’ai choisi l’outil immédiatement mis à ma disposition professionnelle en tant que gestionnaire d’établissement scolaire : le service restauration du collège de Domène qui distribue quotidiennement entre 380 et 450 repas. La restauration collective a été, en effet, facilement identifiée par FNE comme une source principale de « gâchis alimentaire ».Un changement de paradigme générateur de plus de gaspillage
Pour réussir dans ma tâche, il me fallait surtout fédérer en interne toutes les énergies disponibles sur un sujet sans doute consensuel mais assurément peu mobilisateur. Et pour cela je pus m’appuyer sur un évènement qui nous impactait particulièrement au sein du service restauration du collège : la mise en place du nouveau schéma de restauration collective par le Conseil général de l’Isère.
En résumé, ce schéma consiste à couvrir à horizon 2018 le département riche de 96 collèges d’un réseau suffisamment dense de cuisines mutualisées chargées de préparer des repas harmonisés, livrés à des cuisines satellites implantées dans chaque collège rattaché, facturés au même prix, respectant strictement les règles de la diététique et utilisant un pourcentage important de produits locaux ou bio.
Un véritable changement de paradigme puisque la plupart des établissements étaient équipés de cuisines autonomes. Une révolution silencieuse assortie d’économies d’échelle incontestables en matière de frais de personnel et de fonctionnement, avec des effets secondaires très positifs sur la structuration d’une filière d’approvisionnement bénéficiant essentiellement aux producteurs locaux. Exemple : les 25 000 yaourts livrés chaque semaine dans les collèges de l’agglomération en provenance de laiteries du Trièves ou du Vercors n’ont pu que changer la donne pour ces petites industries locales.
Mais avec un bémol inattendu, un gaspillage alimentaire plus important en amont et en aval, passé aux oubliettes par rapport aux économies structurelles, objectif initial essentiel.Pourquoi ce système génère-t-il automatiquement une hausse du gâchis alimentaire ?
Devenu cuisine satellite, le collège commande normalement chaque jour un nombre de menus correspondant au nombre des inscrits à la cantine. Ce nombre est connu en début de trimestre puisque les familles sont obligées d’inscrire leur enfant en choisissant entre quatre forfaits (un jour à quatre jours). Il ne reste plus qu’au service gestion à intégrer rigoureusement les absences prévisibles liées à l’activité du collège (voyages, stages, etc…) qui induisent des variations plus ou moins importantes, et le tour semble joué en amont : on ne commande sur la période donnée que le nombre de repas strictement prévisible.
Attention, c’est dans le détail que ce diable de gâchis se cache !
Premier détail : les commandes de repas, qui tiennent compte de ces variables minimales, sont passées quinze jours auparavant et ne sont plus modifiables 72 heures avant leur livraison.Quid des impondérables inévitables et quotidiens ? Évènements climatiques, épidémies de grippes qui déciment professeurs et élèves, modifications ponctuelles des emplois du temps qui peuvent entraîner une baisse de fréquentation brutale des usagers et qui ne peuvent être signalées à temps au service gestion ? Le système n’est pas prévu pour faire face à ce type de situations et le chef, avisé vers 10 heures du nombre de ses absents, ne peut plus que constater les dégâts ! Solution retenue : un suivi drastique et quotidien des absences à la cantine et des statistiques de passage, pour comprendre et mieux anticiper des flux imprévisibles (très saisonniers) et utiliser au maximum la limite des 72 heures pour modifier les commandes, en se fixant une valeur cible à ne pas dépasser. Ainsi, nous faisons tout pour ne pas commander au-delà de dix repas de plus que ceux qui seront finalement délivrés sur les plateaux. Ça semble simple en apparence, mais c’est en transformant cet objectif en véritable challenge « écologique et citoyen » inscrit dans l’organisation du service que l’objectif a pu être atteint et valorisé en conseil d’administration devant l’ensemble de la communauté éducative.
En ne commandant pas à la cuisine mutualisée sur une année scolaire des centaines de repas ou de mets inutiles bien que payés, le collège réalise ou fait réaliser à la cuisine mutualisée plusieurs milliers d’euros d’économies et des centaines de kilos de déchets automatiques en moins.