Depuis quelques années, je croise régulièrement Fabienne Swiatly sur ma route de lectrice, sans jamais me lasser de sa voix singulière. Actuellement en résidence à la Maison de la poésie Rhône-Alpes, elle poursuit un chemin littéraire où le travail tient une place insistante. Le boulot, le cambouis, l’usine… tout ce à quoi elle donne une couleur bleue, d’un bleu profond et tenace.

Gagner sa vie – Fabienne Swiatly
Gagner sa vie, le premier texte paru aux éditions La Fosse aux ours, déplie un parcours professionnel à la manière d’un anti-CV. Quelques courts chapitres comme autant de cailloux dans la forêt douteuse des jobs sans fierté, des boulots à deux balles, d’une place que la jeune femme quitte parce qu’elle a surpris la patronne du restaurant en train de lui voler un billet de pourboire. Le travail déshumanisant qui isole, et dès le départ « l’idée terrible de ne pas faire mieux que ses parents ». Fabienne Swiatly vient de la Lorraine des usines, d’une vie où chacun est tôt assigné. « J’ai dit littérature, ils ont répondu gestion-commerce ». Comment peu à peu, elle a échappé à un destin, c’est ce que raconte ce livre à la rigueur irisée d’humour et d’émotion, juste comme il faut. C’est bien la justesse en effet qui rend à mes yeux cette écriture impeccable et fraternelle.

© Fabienne Swiatly
L’auteure se dit volontiers « rescapée du zéro en orthographe ». Elle dit s’être arrachée à une autre fatalité, celle de la langue qui trahit et conduit à la faute. « Ce mot de faute qui fait honte et me rappelle d’où je viens. Le père et la mère qui parlent mal le français. Famille qui ne semble pas venir d’un pays mais du plus sombre de la mine, là où le grand-père poussait les wagons. » De cette langue pourtant conquise, elle a appris à se méfier, à la tenir à distance, et surtout à éviter les mots qui ne sont pas à l’intérieur d’elle-même. Si elle revendique la leçon de Barthes sur l’anamnèse – retrouver sans l’agrandir ni le faire vibrer la ténuité d’un souvenir* – elle s’inscrit aussi à mes yeux dans la lignée d’une autre transfuge sociale, Annie Ernaux, dont l’éthique d’écriture me semble proche de la sienne.
Travailler le bleu
Le gris de l’usine et le bleu du travail, Fabienne Swiatly y revient sans cesse, dans la photographie d’abord, où elle saisit de préférence un monde presque entièrement disparu. Friches, bâtiments délaissés, pauvres traces…ƒ Elle y revient actuellement à l’occasion de sa résidence à la Maison de la poésie Rhône-Alpes, qu’elle a intitulée justement « Au boulot ! ». Pour un projet d’exposition, elle récolte en ce moment des bleus de travail (il est toujours possible de lui en faire parvenir**). Elle s’étonne que la littérature, et la poésie en particulier, nous laisse précisément si peu de traces du monde ouvrier, de ses espaces, de ses émotions. Et de citer, a contrario le Journal d’un manœuvre du regretté Thierry Metz, ou À vrai dire, journal de travail d’Antoine Emaz. Avec la volonté sans fin d’être « avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence »***. Elle nous promet pour dans quelque temps une restitution de cette quête d’un peu de bleu profond entre les plis de la littérature.
Malgré le ricanement des oracles

La Fulgurance du geste