REPORTAGE PHOTO – Urgentistes, grossistes, boulangers, DJ… Ils sont nombreux à travailler alors que les autres dorment. Découvrez leur quotidien et partez en immersion dans cet univers parallèle, à travers une série de portraits-reportages. Dernier de cette série, Matthieu Doncoeur, bénévole pour l’association Vinci-Codex, Samu social à Grenoble.
20h. Matthieu Doncoeur, ingénieur informatique le jour, se prépare pour une nouvelle nuit de maraude : il va à la rencontre de personnes sans-abri pour les accompagner sur le plan médical, psychologique et social. A 31 ans, cet ancien scout de France ne compte plus les heures passées à lier le contact avec les personnes en situation de détresse. Quand on lui demande son ancienneté au Samu social, il hésite. Il faut dire que Matthieu a commencé les tournées en 2005, lorsqu’il était encore étudiant. A l’époque, en dépit de ses nombreux déplacements pour ses études, il a tenu à s’engager avec le Samu social à chacun de ses retours sur l’agglomération. Grace à son expérience sur le terrain, il a acquis le statut de tuteur : responsable de la tournée qui veille à son bon fonctionnement, anime et forme ses équipiers. Son rôle est aussi de conseiller, guider et accompagner les nouveaux bénévoles. « On a le sentiment de se sentir utile à diminuer le malheur des gens ».C’est aux beaux jours que les exclus souffrent le plus
21h. Matthieu récupère le véhicule Vinci (Véhicule d’intervention contre l’indifférence), dans lequel il va effectuer la tournée de ce soir. « Les maraudes commencent à 21h30. Par contre, on ne sait jamais à quelle heure on terminera. » L’exclusion n’a pas d’heure, Matthieu le sait bien. En arrivant au local de rencontre Codex (Centre ouvert aux défavorisés et aux exclus), deux jeunes équipiers attendent déjà. Si les plannings de bénévoles se remplissent plus facilement l’hiver, c’est aux beaux jours que les personnes exclues souffrent le plus, explique Matthieu. L’hébergement d’urgence est, en effet, moins important et les mesures de protections hivernales clôturées. Le Samu social n’a d’ailleurs pas pu tourner de mi-juillet à fin août 2013, faute de bénévoles. « Les étudiants qui partent pour leurs études deviennent moins “stables” alors qu’auparavant, ils formaient le noyau dur du tissu associatif. Quand aux actifs, souvent très pris par leur travail et par le transport travail-maison, ils n’arrivent plus à se dégager du temps pour le bénévolat de nuit. »Les appels téléphoniques affluent
21h30. Thermos d’eau chaude, café, chocolat et soupes débordent de la malle, tandis que les couvertures sont chargées dans le coffre. L’équipe est prête. Tout le monde passe des gilets jaunes Samu social. Les appels téléphoniques affluent. Matthieu est en communication avec le 115 qui l’informe des personnes à rencontrer dans la soirée. Ce soir, la liste est longue, confie-t-il. Ses deux équipiers sont motivés et confiants, malgré leur faible expérience de maraudeurs. Stéphane Gemmani, fondateur de l’association Vinci Codex, est venu les encourager. 21h50. « Le monde de la nuit est propice à des rencontres particulières », assure Matthieu. JR est la première personne en détresse que lui et ses équipiers vont rencontrer. Il ne fait pas partie de la liste 115 et pourtant ils tiennent à le voir. Car être sans domicile, c’est être seul. Une donnée que les bénévoles ont bien intégrée. L’écoute est importante, bienveillante et sans aucun jugement. Cette vie, il l’a choisie. Il a claqué la porte derrière lui pour vivre dans la rue. Le téléphone sonne : un autre appel du 115. Direction la gare. 22h30. Transit et terminus, la gare est un lieu spécial. Chaque jour, des milliers de personnes traversent cet endroit. Le soir, certaines s’y arrêtent. Matthieu le sait. Il a eu du flair avec cette jeune fille et sa valise aux roues cassées. Venus pour une autre personne, l’équipe repart avec elle. « Quand on rentre chez nous, l’endormissement peut être difficile selon les maraudes, affirme Matthieu. Si on sait qu’une personne va passer une mauvaise nuit, qu’on n’a pas pu lui trouver un endroit paisible pour dormir, ça va tourner dans nos têtes. » Pour Marta, à peine majeure, une solution est trouvée : une laverie automatique en plein centre ville.7 personnes sur 10 qui dorment dehors sont des migrants
23h00, Saint-Martin‑d’Hères. La voiture du Samu social attend deux personnes signalées par le 115, à proximité du tram. Mais personne ne vient. Matthieu demande de l’aide à une bande de jeunes gens stationnés non loin de là. Après dix minutes d’attente, deux ressortissants africains légèrement vêtus s’approchent. Dans l’agglomération grenobloise, sept personnes sur dix qui dorment dehors chaque nuit sont des migrants. Le dialogue s’installe autour de deux cafés fumants, malgré la barrière de la langue. Ils ont froid. Matthieu s’en est aperçu et les questionne avec précaution sur l’endroit où ils comptent dormir cette nuit. Deux couvertures ne seront pas de trop. Mais il faut déjà partir car la liste est encore longue. Direction le centre commercial de Grand Place. 23h30. A Grand Place, Matthieu ne trouve aucune trace des deux personnes qui avaient contacté le 115 et ont marché depuis. Patiente et persévérante, l’équipe n’abandonne pas, rappelle pour avoir des coordonnées plus précises. Elles seront retrouvées un kilomètre plus loin, en plein courant d’air. Un dialogue avec café – “Daca” en langage Samu social – s’engage. Matthieu leur conseille de se rapprocher des immeubles pour s’abriter du vent et du froid. Ils acquiescent et repartent avec leur couverture. Matthieu maîtrise son rôle de tuteur. Il se pose les bonnes questions : « Qu’est-ce que je dois faire et qu’est-ce que je ne dois ne pas faire ? ». Chaque mois, les bénévoles partagent leurs expériences lors d’une réunion. Le bénévolat s’apprend nuit après nuit, sur le terrain.« N’oublie pas ta couverture »
00h00. Le téléphone sonne à nouveau. C’est Marta qui vient de quitter la laverie, assourdie par l’alarme déclenchée à cause du détecteur de mouvement. Matthieu lance un plan B. Direction Échirolles pour l’un des seuls sas de banque ouverts dans l’agglomération. Marta est souriante, malgré sa situation. Nous l’accompagnons jusqu’à sa « chambre » de fortune. Matthieu est soulagé pour elle et plaisante même sur le confort du sas, plus chauffé que son appartement. « N’oublie pas ta couverture » lui dit-il. 00h30. Pont de Catane Vallier. Un jeune Africain appelle. Sur les rails du tram, le véhicule va au plus près des exclus. D’une apparence impeccable, le jeune homme qui dit avoir 17 ans précise dans un français très correct que c’est sa première nuit dehors. Matthieu l’invite gentiment à se rapprocher des immeubles pour se protéger du vent froid qui vient de se lever sur Grenoble. Il a essayé d’ouvrir un sas de banque tout proche, en vain. Le véhicule repart. Il est attendu par un homme à l’arrêt Saint Bruno qui sera finalement pris en charge à la gare. 1h30. La liste du 115 est terminée mais il reste encore à voir Damien. Bien que vivant dans un appartement, celui-ci est en détresse. Une détresse sociale, explique l’équipe. La solitude et l’exclusion sociale font, en effet, aussi partie des missions du Samu social. Tous les soirs, les bénévoles donnent ainsi rendez-vous à Damien pour l’écouter et échanger avec lui.Donner un sens à la vie
Au bout de trois-quarts d’heure, la fin de la maraude approche : le véhicule rentre, les denrées restantes sont rapatriées et le plein de couvertures refait. Le tuteur appelle le 115 pour annoncer l’arrêt de la tournée mais une urgence tombe : quatre personnes, dont une femme, sont signalées en errance à la périphérie de Grenoble. 2h00. Le véhicule tourne autour du secteur, au ralenti, warning allumés pour être facilement repéré. L’échange téléphonique avec ces personnes est difficile. Ils ne parlent pas français. Matthieu qui n’arrive pas à les repérer s’inquiète. Après plus d’une demi-heure, le camion s’arrête non loin d’un recoin où un feu est allumé. C’est eux. Ils sont Serbes. La femme est fébrile. Des documents attestent qu’elle vient de subir deux opérations récentes. Matthieu, de plus en plus inquiet, appelle les pompiers. Il ne peut pas laisser ces personnes dans cette situation. Leur prise en charge se solde par une évacuation de la femme aux urgences du CHU de Grenoble. Il est maintenant quatre heures du matin. « Les lendemains de maraudes sont des journées où l’on boit un peu plus de café dans la journée » blague Matthieu. Pas étonnant alors qu’il s’apprête à reprendre son travail d’informaticien dans à peine quatre heures. Interrogé sur ses motivations en tant que bénévole, il répond : « le pouvoir de donner un sens à la vie, d’apporter du réconfort, de collaborer les uns avec les autres, afin d’améliorer la situation de personnes exclues. Je ne suis pas différent des autres. On donne tous de soi, que ce soit à notre famille, à nos amis… » Véronique Serre Passez le curseur sur l’image et cliquez sur la flèche au milieu en haut pour démarrer le diaporama. [slideshow_deploy id=“29530”]Des besoins toute l’année formulaire de contact ou par téléphone au 0603 931 988.Face à l’augmentation des personnes en grande exclusion, les besoins augmentent et l’association a de plus en plus de difficultés à y répondre, en particulier en cette fin de trêve hivernale qui entraîne une augmentation du nombre de personnes à la rue. Vous pouvez apporter votre aide en devenant intervenant en équipe mobile de nuit ou via des dons financiers ou en nature (couvertures ou vêtements chauds). Le Codex est ouvert à tous les lundis, mercredis et jeudis de 17h30 à 19h, au 27 rue Nicolas Chorier (côté rue de la Mégisserie). Pour en savoir plus, contactez l’association via le