FOCUS – L’origine de la rue Saint Laurent remonte à l’époque gallo-romaine, ce qui en fait l’une de plus anciennes rues de Grenoble. Son histoire, mais aussi peut-être son isolement géographique, confère à la « petite Italie » un esprit village qui a réussi à traverser les époques.
Françoise Di Gione a 74 ans, un caractère bien trempé et un dynamisme contagieux. Elle est arrivée dans le quartier en 1946, à l’âge de 6 ans. A cette période, la rue Saint Laurent, comme toute la rive droite de l’Isère, connaissait une vague d’installation d’immigrants italiens. Françoise n’a jamais quitté sa rue et se rappelle ses premières années en France : « En Italie, c’était la misère. Mon père est d’abord venu seul à Grenoble pour trouver du travail et un logement. Nous sommes arrivés six mois après, avec ma mère. » Au total, la famille comptait pas moins de cinq enfants. “A sept dans un deux pièces”« On était des clandestins. Un passeur nous a fait passer la frontière jusqu’à Grenoble. Nous avons traversé toute la montagne du mont Cenis jusqu’à Modane à pied. Puis on s’est installé rue Saint Laurent car deux de mes tantes habitaient déjà là. Nous étions ainsi tous dans le même immeuble. » Les conditions de vie était alors rudimentaires, se souvient Françoise. « Nous vivions dans un deux pièces à sept ! A l’époque, il n’y avait pas de WC dans les appartements. On a très mal vécu au départ. On était pauvre, mais heureux quand-même. Il y avait beaucoup de monde dans la rue, presque que des Coratins. C’était un petit village. En 1960, si je ne me trompe pas, on était 6000 habitants. Et il y avait 25 épiceries ! »
Une convivialité préservée
Si dans l’esprit des Grenoblois le quartier reste encore aujourd’hui celui des Italiens, les premiers immigrants ne sont plus très nombreux et la population s’est beaucoup diversifiée rue Saint Laurent. Les nouveaux arrivants ressentent très vite l’esprit village et la convivialité sans pareil émanant de cette petite rue étroite et pittoresque. « Nous avons saisi l’ambiance dès la visite de l’appartement, grâce au propriétaire », se rappellent Aurélien et Florie, jeune couple installé depuis juin 2013. « Il nous a dit qu’il nous présenterait le gars du restau, la boulangère… Les gens se connaissent ici, se disent bonjour. Ce n’est pas pareil que dans un autre quartier. C’est un petit village dans la ville ». Françoise, un brin nostalgique, regrette malgré tout l’ambiance de sa jeunesse : « Quand on était gamin, c’était pas du tout pareil. Aujourd’hui, l’ambiance se dégrade, même s’il y a toujours une certaine entraide. Avant, les gens se connaissaient tous. Maintenant, ils sont personnels. C’est plus du tout un esprit famille. »“Un petit côté insulaire”
Sandrine Giboin, qui a installé son commerce de décoration de meubles dans le quartier au printemps dernier, ne regrette absolument pas son choix : « Je trouve que le côté humain est extrêmement présent ici. »
« Depuis que je suis dans le magasin, j’apprends à connaître les gens et je trouve qu’il y a moins d’indifférence que dans d’autres quartiers de la ville. C’est sûrement le petit côté insulaire de la rue qui rend la communauté familiale. Tous les matins, c’est comme si j’allais au village en traversant le pont. L’union de quartier est hyperactive aussi. »
Une union de quartier fédératrice et autonome
De fait, l’union de quartier occupe une place très importante pour cimenter les liens entre habitants. C’est elle qui organise la célèbre brocante quatre fois par an. Françoise, aujourd’hui responsable de l’organisation, rappelle fièrement que celle-ci est financée intégralement par les revenus de ces brocantes. C’est d’ailleurs la seule union de quartier grenobloise autonome financièrement et qui ne bénéficie d’aucune subvention. Alors, pourquoi cette ancienne de la rue Saint Laurent ressent-elle une dégradation de l’ambiance de voisinage ? Peut être à cause des liens viscéraux entre des hommes et des femmes aux racines communes, ayant traversé les mêmes épreuves, que seuls les derniers Italiens de Saint Laurent ont connu. C’est d’ailleurs sur la base de la solidarité entre les Italiens de Corato que le quartier s’est autoproclamé en 1966 « commune libre de Saint Laurent ». Un statut, quelque peu tombé en désuétude, mais qui explique qu’aujourd’hui encore la ville autorise l’organisation de brocantes trimestrielles à Saint Laurent. Delphine ChappazLe saviez-vous ? L’amalgame est souvent fait entre la rue Saint Laurent et le quartier Saint Laurent. Or la rue n’est qu’un tronçon du quartier du même nom. Sur le plan cadastral, le quartier Saint Laurent s’étend sur la majeure partie de la rive droite de l’Isère, depuis l’Esplanade jusqu’à la Casemate, en passant par la montée de Chalemont. On est face à une configuration longitudinale sur plus d’un kilomètre, composée de plusieurs secteurs bien différenciés les uns des autres. Cela nécessite donc de distinguer une réalité humaine d’une réalité cadastrale. Un habitant de l’Esplanade ne se sent pas nécessairement appartenir au même « quartier » qu’un habitant de la rue Saint Laurent. Pourtant, les habitants parlent eux-mêmes communément du quartier Saint Laurent pour désigner la rue seule. Une confusion certainement entretenue par l’installation de l’union de quartier au 103 de la rue Saint Laurent.