FOCUS – Le glacier de l’Île du Pin, l’un des plus grands de l’Antarctique, a perdu en moyenne 20 milliards de tonnes de glace par an et reculé d’environ dix kilomètres sur une dizaine d’années. Des chercheurs grenoblois associés à diverses équipes internationales ont réussi à modéliser précisément cette fonte accélérée qui pourrait entraîner une augmentation très significative du niveau des mers.
C’est une étape majeure qui vient d’être franchie par les chercheurs du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (LGGE)*. En réussissant à modéliser de manière très rigoureuse la fonte du glacier de l’Île du Pin en Antarctique, ils viennent d’apporter une pierre majeure à l’édifice de la connaissance scientifique pour mieux comprendre ce phénomène. Relativement facile à mettre en évidence et à quantifier grâce aux diverses techniques de mesures modernes, satellitaires entre autres, la fonte actuelle des glaciers est bien documentée dans la littérature spécialisée. Mais si ce processus de régression trouve son origine primaire dans le réchauffement climatique global, les causes physiques secondaires sont variées et diffèrent d’un endroit à l’autre de la planète. « Dans le cas du glacier de l’Île du Pin, nous nous sommes particulièrement intéressés à une caractéristique physique de la dynamique de déplacement des glaciers, à savoir la ligne d’échouage » explique Gaël Durand, membre de l’équipe de scientifiques à l’origine de ce travail. « La ligne d’échouage, poursuit le chercheur grenoblois, marque la limite entre la glace retenue sur le continent et celle, flottante, qui contribue à l’élévation du niveau de la mer… Si l’on s’intéresse à l’évolution de ce niveau, il est essentiel de comprendre quelle quantité de glace va migrer dans l’océan à la verticale de cette ligne, et comment cette ligne se déplace dans le temps. » Un dernier point qui constituait le facteur limitant des modèles jusqu’à récemment. Une approche scientifique proche de celle des prévisions météoCe sont donc ces modèles, utilisant les équations de Stokes de l’écoulement des fluides et intégrant divers paramètres issus des mesures de terrain, qui ont été perfectionnés par Gaël Durand, ses collaborateurs et les équipes associées à ce travail. Ils ont ainsi établi trois modèles mathématiques indépendants permettant de simuler l’évolution du glacier. Pour expliquer la pertinence de cette démarche scientifique sans entrer dans des détails techniques, le chercheur compare l’approche scientifique adoptée à des prévisions météorologiques qui seraient réalisées par trois centres indépendants et qui utiliseraient des modèles de simulation mathématiques différents. Si les trois centres prévoient, par exemple, un temps ensoleillé sur la France dans les deux prochains jours, il y a de fortes chances pour que cette prévision se réalise. Par contre, si au-delà de deux jours, l’un des centres météorologiques établit une prévision divergente des deux autres, on peut douter du temps qu’il va réellement faire. Affirmer alors qu’il va faire beau devient beaucoup plus hasardeux. Élévation du niveau moyen des mers En ce qui concerne l’évolution du glacier de l’Ile du Pin, les trois modèles conduisent en gros, pour les cinquante prochaines années, à une même conclusion, à savoir que celui-ci reculerait d’une quarantaine de kilomètres. Dans cette même période, la perte de masse annuelle associée à ce recul pourrait passer de 20 à 120 milliards de tonnes avec, pour conséquence, une élévation du niveau moyen des mers de 3,5 à 10 mm cumulée sur vingt ans. Et ce, pour ce seul glacier. Néanmoins, précise le chercheur, si les trois modèles conduisent à une image globalement semblable de l’évolution du glacier à moyen terme, au-delà d’une cinquantaine d’années, l’un d’entre eux diverge des deux autres. Une telle divergence ne permet plus de simuler, avec une marge de confiance suffisante et de façon cohérente, l’évolution du glacier de l’Ile du Pin à plus long terme. Au vu de ces résultats, s’il ne fait aucun doute que celui-ci va reculer de façon très notable au cours des quatre ou cinq décennies à venir, il semble improbable qu’il disparaisse totalement. La photo ci-contre montre le retrait du glacier de l’île du Pin simulé par le modèle Elmer-Ice, développé et utilisé au LGGE. Correspondant à la ligne d’échouage, la ligne bleue – telle que simulée par le modèle – est représentative de la fin des années 1990. La ligne rouge correspond à la position modélisée en 2025. Patrick Seyer * Le LGGE est une unité mixte de recherche (UMR5183) du CNRS et de l’Université Joseph Fourier Grenoble. Créé en 1958, ce laboratoire rassemble environ 150 personnes autour de recherches sur la neige et la glace, les glaciers, le climat – atmosphère, glace et océan – et l’environnement. Le LGGE est une des structures regroupées au sein de l’Observatoire des sciences de l’univers de Grenoble (Osug).