REPORTAGE – Les déchets radioactifs révélés par un ancien travailleur sous-traitant du nucléaire sur le site de l’ancien institut de géologie de Dolomieu, sur les contreforts de la Bastille, sont-ils dangereux ? Pour l’Université Joseph-Fourier, les risques sont minimes.
De l’uranium radioactif à deux pas du centre-ville ? Adossé aux flancs de la Bastille, l’ancien institut de géologie de Dolomieu continue inexorablement de se délabrer. Mais le site n’est pas seulement à l’abandon. Il est aussi contaminé. Et radioactif. Sur le chemin qui borde le bâtiment, où les détritus ne laissent guère planer de doutes quant à la fréquentation des lieux, de discrètes traces jaunes. De l’uraninite, un minéral hautement radioactif ? Jusqu’à sa fermeture en 2011, l’institut, de par ses activités d’enseignement et de recherche, a abrité une imposante collection de pierres et de minéraux. Et notamment de l’uranium naturel avec un taux d’enrichissement supérieur aux valeurs communes. Pourquoi et comment des poussières radioactives ont pu échapper aux mesures de confinement et atterrir sur la voie publique ? “Le chemin est contaminé, l’institut est contaminé” « Le chemin est contaminé à de très fortes valeurs », souligne celui que l’on appellera Anthony *. L’homme a travaillé durant l’été 2013 pour le compte de D&S, une entreprise privée de sous-traitance du nucléaire, sur le chantier de démantèlement et de décontamination de l’établissement de l’Université Joseph-Fourier ainsi que sur celui du Lama (laboratoire d’analyse de matériaux actifs) du CEA de Grenoble, où il a été irradié le 23 août dernier. Chargé de travaux en mesure nucléaire et en démantèlement, Anthony dénonce aujourd’hui le laxisme qui entoure ces chantiers à hauts risques et le manque de compétences. Pour le jeune homme, la contamination du site universitaire serait plus importante que ce que les mesures initiales, préalables au chantier de décontamination, ont révélé en mars 2013. L’été dernier, il avise ses supérieurs, ainsi que l’université Joseph-Fourier. Y retourne en septembre puis les 16 et 17 janvier 2014 accompagné, cette fois, de rédacteurs du journal satirique Le Postillon. Et équipé d’appareils de mesures. Après sept heures de travail, le constat est, pour eux, sans appel. “On a retrouvé plein d’endroits contaminés”. Jusqu’à vingt fois le seuil. Des déchets radioactifs entreposés dans une grotte Quelques mètres en contrebas, entre le Musée dauphinois et la résidence universitaire du Rabot, il n’est pas difficile d’accéder à une grotte où sont entreposés des déchets et matières radioactifs. Une porte métallique barre l’entrée mais une meurtrière permet de jeter un œil à l’intérieur et, plus loin, en se contorsionnant un peu, on peut même y pénétrer… A l’intérieur, des déchets plastiques, combinaisons, gants, lingettes… Mais aussi du liquide contaminé, des gravats et un fût décanteur. Des déchets certes triés et conditionnés mais sur une zone peu sécurisée… Et entreposés à côté d’autres caisses de minerais, plus anciens. Contaminés eux aussi ? « Si je reste près de cette caisse une heure, je prends la valeur limite que fixe la réglementation internationale. » Selon les mesures effectuées par Le Postillon, l’irradiation y est par endroit “3 000 fois supérieure à celle que l’on trouve en temps normal”. Le rapport de fin d’intervention rédigé par D & S est lapidaire. « Aucune mesure n’a révélé de contamination fixée qui soit supérieure à 0,4 becquerel/cm² **, la mesure maximale détectée sur toute la surface de la pièce étant de 0,18 Becquerel par cm² », conclut le document. Faut-il sécuriser les lieux ? Pour Anthony, la contamination ne fait aucun doute. « On est au-dessus des seuils tolérés. Il y a un risque. En tout cas, il faut faire quelque chose. Le chemin est contaminé, l’institut est contaminé. On est sur un lieu public où il faut empêcher l’accès. » Y a‑t-il véritablement danger ? Pour Benoît Marc, PDG de D & S, « il n’y a pas de problème de santé publique ». Les valeurs relevées sont-elles exagérées ? au dessus des seuils ? Pour le président de la CRIIRAD, Roland Desbordes, les mesures réalisées ont été faites correctement et justifient de mettre en place un dispositif d’urgence pour sécuriser les lieux. Alors que Europe Ecologie Les Verts réclame une expertise contradictoire ***, le site n’avait, hier soir, pas fait l’objet de mesures de sécurité complémentaires. Interpellé par Europe Écologie Les Verts de l’Isère ***, le préfet n’avait hier soir pas réagi à l’enquête publiée dans Le Postillon. Et, hier après-midi, n’importe qui pouvait encore pénétrer sur les lieux contaminés. A ses risques et périls ? Contactée, l’Université Joseph-Fourier s’est voulue rassurante. Selon elle, les risques sont “minimes”. Et le chantier de décontamination suit son cours. « On ne va pas laisser les déchets sur les contreforts de la Bastille ! » Les déchets entreposés dans la grotte devraient être évacués par l’Agence nationale de déchets radioactifs (Andra) dans les prochains mois… Quant à la zone radioactive de 20 cm² (inférieure à 18,2 microsieverts par heure) à l’extérieur du bâtiment, elle sera décontaminée à compter de ce vendredi 31 janvier. Patricia Cerinsek * L’identité a été modifiée afin de préserver l’anonymat. ** L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA ) recommande de ne pas dépasser 0,4 Becquerel/cm² pour les émetteurs alpha afin de protéger les personnes et l’environnement des effets des rayonnements pendant le transport (4 Becquerels par cm² pour les émetteurs beta, gamma et de faible toxicité). *** Europe Écologie Les Verts a, dans un communiqué, demandé au préfet de l’Isère d’engager sans délai des expertises indépendantes afin d’évaluer l’ampleur de la radioactivité et de la contamination du site, ainsi qu’une enquête pour comprendre les raisons et responsabilités d’un tel stockage dans un lieu si peu sécurisé. Et de préciser : « Dans l’attente des résultats, par mesure de précaution, nous demandons aux autorités de sécuriser l’ensemble du site concerné afin d’éviter tout risque potentiel de contamination des personnes. »A lire aussi sur Place Gre’net L’interview de Roland Desbordes de la Criirad : CEA : “Des gens ont pu être contaminés avant”