ENTRETIEN – Semaine riche en émotions pour l’élu municipal et départemental Olivier Bertrand. Alors qu’il jubilait de la victoire écologiste du rejet de l’aménagement de l’Esplanade de Grenoble, il s’est laissé surprendre par la décision d’André Vallini de lui retirer sa délégation aux nouvelles mobilités. Il dénonce la « gestion hégémonique » du président du Conseil général de l’Isère et présente la politique d’urbanisme que souhaiteraient mener les écologistes à Grenoble.
L’opposition à la réforme du lycée d’Alain Devaquet en 1986 a ouvert les portes de l’engagement à Olivier Bertrand, dès son adolescence. Mais c’est par la politique locale qu’il l’a fait perdurer. D’abord au sein du monde associatif et du collectif antiraciste Ras l’front, qui a combattu la montée du Front national à la fin des années 80 ; puis les années suivantes au sein du mouvement Go citoyenneté « qui regroupait des indignés des dérives flagrantes de la gestion municipale d’Alain Carignon, avant même les conclusions judiciaires connues aujourd’hui ». Il figure ainsi sur la liste de ce mouvement politique grenoblois pour les municipales de 1995. Formé au management des politiques locales à l’Institut d’urbanisme de Grenoble, Olivier Bertrand épouse alors la cause écologiste. Il participe en 1999 au comité de soutien de Daniel Cohn-Bendit pour les élections européennes et rejoint les Verts. Candidat dès 2001 aux élections cantonales de l’Isère, c’est en 2004 qu’il obtient son premier mandat de conseiller général sur le canton 1 de Grenoble, avant d’être réélu en 2011. Il est également conseiller municipal d’opposition à Grenoble depuis 2008. En mai dernier, nous vous interrogions sur la position, d’apparence contradictoire, des écologistes par rapport à deux exécutifs socialistes : dans la majorité au Conseil général de l’Isère, mais dans l’opposition au conseil municipal de Grenoble. La situation est-elle désormais plus confortable, maintenant qu’André Vallini vous a écartés de sa majorité ? Nous avons toujours eu des rapports rugueux avec André Vallini. Dès 2004, lors de mon élection aux cantonales face à Jean-Paul Giraud, un vice-président socialiste sortant, puis au scrutin suivant en 2011, quand une candidate socialiste s’est maintenue face à moi. Il appelait à l’époque à me faire battre. Notre appartenance à la majorité départementale est donc un acte volontariste et non un arrangement politique, car rien ne nous y contraignait. Les désaccords ont déjà été nombreux par le passé. Le dossier de la rocade nord nous avait conduits à nous mettre “en retrait” de la majorité ; celui de la dernière portion de l’A51 n’est toujours pas refermé et fait encore l’objet de communications du Conseil général ; enfin, n’oublions pas le cas du Center Parcs de la forêt de Chambaran qui me permet de conclure que les dossiers clivants reposaient jusqu’à aujourd’hui sur l’opposition entre notre écologie politique et la pensée politique passéiste des grosses infrastructures. La différence entre la droite et la gauche était faible. Elle a déteint sur la politique sociale dégradée et tendue du Conseil général. La politique environnementale n’est donc pas votre seul désaccord ? André Vallini s’est rangé aujourd’hui du côté de ceux pour qui l’écologie et la protection de la biodiversité coûtent trop cher, alors que la société évolue et que l’écologie entre dans la conscience globale. En choisissant de nous retirer nos délégations, il estime que nous n’avons plus notre place dans cette majorité. Mais le vrai problème n’est pas politique. Il est dans sa méthode de gestion. Vous décrivez « une gestion hégémonique ». Comment s’illustre-t-elle ? Par exemple, par la méthode utilisée pour nous retirer nos délégations : aucun échange pour signifier le désaccord, mais un simple courrier purement juridique nous informant de l’abrogation de nos fonctions. Il pouvait difficilement faire plus laconique comme rupture. Par ailleurs, elle ne résulte d’aucune décision collective. Didier Rambaud, le président du groupe socialiste, n’était même pas au courant de cette décision. Nous demandons qu’André Vallini s’explique. Qu’il donne une justification politique à sa décision qui coïncide avec notre refus de siéger à l’assemblée départementale du 12 décembre dernier, car une manifestation des agents se tenait à l’extérieur. Nous avions d’ailleurs prévu de voter contre le rapport ressources humaines du budget primitif 2014 du Conseil général. Que reprochez-vous à l’actuelle gestion du personnel ? Une étude d’amélioration de qualité de vie au travail (AQVT) a été lancée en janvier 2012, suite à une revendication ancienne et légitime du personnel. La méthode utilisée reposait sur les témoignages d’un large panel d’agents tirés au sort. Les conclusions ont été critiques concernant la dégradation des conditions de travail, la baisse de sens porté à leurs missions et le manque de confiance accordée aux équipes dirigeantes et aux collègues en raison des multiples et successives réorganisations. Cette dégradation concernait toutes les catégories de personnel – malgré la diversité des postes allant de l’assistante sociale à l’agent entretenant les routes – mais également tous les échelons, des cadres aux catégories C. Il y a clairement des lacunes dans les méthodes de management. André Vallini confond fermeté et brutalité. Une collectivité ne se dirige pas de manière brutale, comme dans certaines entreprises. Les fonctionnaires du Conseil général ont besoin d’être confortés dans le sens de leur mission. S’ils ne trouvent plus de sens et de dynamique collective de travail, les missions ne pourront pas être remplies. Soutenez-vous le personnel gréviste dans ses revendications : le dégel du point d’indice salarial et l’annulation de la suppression de 150 postes, compensée par l’allongement du temps de travail de tous les agents ? Affirmer les soutenir serait démagogique. Nous faisons néanmoins le même constat qu’eux. La situation sociale est tellement dégradée que la priorité est de mettre en place les objectifs de sortie de crise déjà définis par les conclusions de la mission AQVT. Nous souhaitons qu’André Vallini s’en saisisse et qu’il fasse des propositions qui permettraient d’avancer. C’est un préalable à la question du temps de travail. Ce qui est terrible, c’est que les agents ont eu le sentiment d’être écoutés et entendus par la mission, mais qu’ils découvrent aujourd’hui qu’aucune leçon n’en a été tirée. En prime, leur temps de travail est revu à la hausse. C’est de l’effarement qui en ressort et cela empêche toute possibilité de dialogue social pour la suite. Craignez-vous une aggravation de la situation ? Les délégués syndicaux ont déposé un nouveau préavis de grève pour la rentrée. Les cadres pourraient même rejoindre le mouvement, ce qui serait très significatif car eux sont moins protégés par leur statut que d’autres catégories. Il y a donc clairement une dégradation sociale importante. Quelle alternative budgétaire à ces économies de personnel existe-t-il, alors que le transfert de compétences et le désengagement financier de l’Etat n’ont jamais été aussi importants ? Participer à hauteur de 8 millions d’euros au passage en deux fois deux voies de l’axe de la Bièvre, financer plusieurs millions d’euros de travaux sur l’échangeur de Mauvernay, attribuer 25 millions d’euros au programme Nano2017, ce sont des choix politiques. Des marges de manœuvre existent. Certes, elles sont étroites car il s’agit seulement d’arbitrages dans les dépenses, pas d’une augmentation des impôts. La taxe foncière est le seul prélèvement obligatoire restant entre les mains du Conseil général. Il représente seulement 17% des recettes. Les autres recettes ne sont pas maîtrisées. Les dotations de l’Etat sont en baisse et les droits de mutation évoluent en fonction de l’état du marché immobilier. Il y a effectivement un effet ciseau entre la baisse des recettes et la hausse des charges, notamment sociales comme le RSA ou les prestations de handicap. Mais nous avons la chance d’être dans un département peu endetté et aux finances saines. Autre actualité, le tribunal administratif a retoqué le projet d’aménagement de l’Esplanade de Grenoble. Est-ce une victoire pour l’élu d’opposition municipal que vous êtes ? De nouvelles perspectives sont ouvertes. Ce grand espace urbain sera un dossier que les habitants pourront se réapproprier. Sur la fin de son mandat, la majorité sortante verrouille des dossiers avant les élections municipales. Ce projet d’aménagement a été contesté par plus de 10 000 signataires grenoblois, mais aussi par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) – un service de l’Etat – qui a indiqué aux commissaires enquêteurs que les hauteurs d’immeubles posaient un problème de perspective de vue sur la Bastille. La majorité municipale a élaboré ce projet dans une logique de communication plus que de co-construction. Le château de cartes s’écroule. Notre groupe politique « écologie et solidarité » avait pourtant alerté la majorité. La ville avait déjà perdu sur le même argument juridique – seulement une révision simplifiée du plan local d’urbanisme – pour l’aménagement de la Presqu’île. La décision du tribunal administratif était prévisible. La justice est la même d’un côté ou de l’autre du fleuve Isère. Une enquête, des réunions publiques ainsi que des rencontres de la municipalité avec les commerçants et les propriétaires ont eu lieu depuis février 2012. La pétition d’opposants au projet a donné lieu à un nouveau vote au conseil municipal en juin dernier. Pourquoi estimez-vous que ce projet manque de concertation ? Quand l’architecte Christian De Portzamparc est venu présenter son projet initial dans le hall de l’Hôtel de ville, au début du mandat, il a déclaré que c’était la première fois qu’on lui demandait de travailler sur un projet avant que les habitants ne soient consultés. Si nous souhaitons que les projets immobiliers du XXIème siècle soient adoptés par les habitants, il faut les faire avec leur soutien. De plus, nous ne devons pas limiter la consultation aux habitants de la zone – car eux sont déjà sur place – mais l’élargir au reste de la population qui pourrait choisir de s’installer dans ce secteur. La co-construction, c’est aussi tenir compte des usages. Ce n’est pas le cas pour l’Esplanade, où le tracé du tram E longe l’Isère plutôt que de traverser le quartier, ce qui aurait permis de desservir plus de logements. Le délire architectural a dépassé la réalité de vie. D’autres problèmes d’usages existaient dans ce projet : comme l’absence d’école, le manque de commerces de proximité ou la hauteur des bâtiments qui créaient des problèmes de perspective. Je souhaite faire le comparatif avec le dossier du lycée Mounier. Les socialistes – à la région comme à la ville – s’étaient radicalement opposés au collectif qui refusait la fermeture de l’établissement. Ils considéraient les écologistes qui les soutenaient comme des irresponsables. La reconstruction du lycée est la preuve que la mobilisation de collectifs d’habitants, avec des relais politiques, peut conduire à des solutions positives. Les recours judiciaires effectués par l’Association démocratie écologie et solidarité (Ades) « empêchent la municipalité d’agir, entraînant une perte d’argent et de temps », selon Laure Masson, adjointe en charge de la démocratie locale. Les écologistes grenoblois sont-ils jusqu’au-boutistes ? Nous avons besoin de créer du dialogue et de passer par des compromis pour avancer sur les dossiers d’aménagement urbain. Quand cela est nécessaire et que les problèmes juridiques sont évidents, faire appel à la justice peut être un devoir. Il est gênant que des élus considèrent la justice comme une perte de temps. Si l’Etat de droit coûte trop cher, essayons l’injustice. La municipalité avait promis la rénovation de la piscine Chorier-Berriat et sa réouverture en 2011 ; son soutien à la rocade Nord a fait perdre cinq ans à la ligne de tram E ; les quais de l’Isère devaient être inaugurés en 2012. Il n’y a pas eu de délais judiciaires ici. Dire que nous faisons perdre du temps, c’est inverser volontairement le problème. Ils ont perdu du temps sur des projets dont ils avaient voté eux-mêmes les échéances. Les écologistes critiquent la densité des projets d’urbanisme de la municipalité, alors que la ministre du Logement Cécile Duflot l’encourage pour éviter l’étalement urbain. Grenoble serait-elle une exception ? Le projet de loi d’accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur) porté par Cécile Duflot prévoit de mettre en place des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI). Pour sortir par le haut des problèmes d’aménagement urbain à Grenoble, il faut arrêter de penser la question de l’urbanisme à la seule échelle de la ville et l’envisager à celle de l’agglomération. Par exemple, du côté grenoblois du Pont de Catane, les immeubles font onze étages, alors que de l’autre côté, à Seyssinet-Pariset, ils n’ont qu’un étage. L’objectif des écologistes est d’arrêter de sur-densifier la commune de Grenoble et d’arriver à une harmonie à l’échelle de l’agglomération. Il faut desserrer l’étau. Nous travaillerons aussi sur le logement existant. 8% du portefeuille de location des agences immobilières ne trouvent pas d’acquéreurs dans cette ville. Plus de 65% des logements de Grenoble ont été construits durant l’après-guerre. Ce sont de véritables passoires thermiques pour lesquelles les charges sont très élevées. Grâce à la notation obligatoire de consommation d’énergie, les agences ne peuvent plus cacher cela, mais cette partie du parc immobilier ne trouve désormais plus preneur. Les appartements vides font également monter les charges des copropriétés. C’est un problème récent dont il faut s’occuper. Ces appartements existants doivent être remis sur le marché grâce à la rénovation thermique. C’est une priorité qui augmentera la capacité de logement de la ville. Quelles sont les formes d’urbanisme qui permettraient de répondre aux besoins en logement, tout en intégrant les contraintes géographiques grenobloises ? L’habitat urbain doit être attractif pour éviter que la population ne quitte la ville et s’installe en zone rurale, entrant au passage dans le cercle vicieux de l’automobile individuelle qui est un gouffre financier et polluant. Nous avons un rapport ambivalent à la ville. Nous apprécions la proximité des écoles, des commerces et des services, mais ne supportons pas la pollution et la densité. Mais il existe d’autres modèles, à l’image des Allemands qui occupent deux fois moins d’espace foncier que les Français parce qu’ils ne sont pas dans une logique pavillonnaire à la française. Les architectures anglaises de bâtiments mitoyens, compactes et comprenant peu d’étages sont quant à elles considérées comme une forme agréable d’habitat. On retrouve cela dans la première périphérie de Grenoble, à Saint-Egrève ou Seyssinet-Pariset. C’est ce modèle, plébiscité par les habitants – contrairement aux tours – qui devrait être développé pour les fixer sur l’agglomération. Les communistes grenoblois ont rejeté une alliance avec la liste de rassemblement conduite par votre collègue écologiste Eric Piolle pour les municipales de mars prochain à Grenoble. Ils estiment que vous manquez de sincérité et craignent la victoire de la droite en cas de maintien des deux listes de gauche au deuxième tour. Avez-vous défini une stratégie claire en cas de triangulaire ? Nous ne nous trompons pas d’adversaire. C’est la droite. D’autant plus quand elle revient avec Alain Carignon sur sa liste. Un homme que nous avons combattu quand il avait mis en coupe réglée la ville de Grenoble et qui a été condamné pour cela. Mathématiquement et sociologiquement, nous ne pensons pas que la droite sera un danger. Les Grenoblois auront donc le choix entre deux offres à gauche : notre rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes ou celui de la majorité sortante, que Jérôme Safar reconduit avec la même composition, à l’exception du Modem. Si la campagne est propre et sans dénigrement, nous pourrons très bien travailler ensemble. L’avenir le dira. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Nils Louna L’entretien a été réalisé le jeudi 19 décembre dans le bureau d’Olivier Bertrand au Conseil général de l’Isère. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Olivier Bertrand « Le mythe de Sisyphe » d’Albert Camus : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de philosophie. » La conviction qu’il en tire Camus est mon auteur de référence. Je reviens régulièrement à son œuvre très diversifiée. Il n’est pas uniquement un philosophe, il dessine une philosophie de vie. Son œuvre est une béquille qui aide à vivre. Cela passe notamment par l’engagement individuel – et non individualiste – pour la cause commune. Il est rare de rentrer dans une œuvre philosophique aussi brutalement qu’avec cette première phrase.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.