ENQUÊTE – La Chambre régionale des comptes a publié, ce vendredi 13 décembre, un rapport d’observations sur les comptes et la gestion des VFD pour la période 2006 – 2011. Celui-ci pointe un certain nombre de dysfonctionnements et d’erreurs dans la gestion de la société d’économie mixte (Sem) de transport de voyageurs, respectivement détenue à hauteur de 80,56 % et de 15 % par le conseil général de l’Isère et le groupe privé Keolis. L’ancienne direction et le conseil général se renvoient la balle.
Pour un peu, le sujet des VFD serait presque passé inaperçu lors de l’assemblée départementale qui s’est tenue ce jeudi 12 décembre. Et pour cause : la décision du conseil général d’augmenter le temps de travail de son personnel et le refus du président André Vallini de recevoir une délégation de protestataires ont entraîné d’importantes manifestations sur place. A quoi s’est ajouté le boycott d’Olivier Bertrand et de Catherine Brette, conseillers généraux Europe Ecologie Les Verts, visant à dénoncer la situation sociale très dégradée au sein du conseil général. Tout juste a‑t-on entendu Jean-Claude Peyrin, conseiller général d’opposition du canton de Meylan s’étonner des dysfonctionnements mentionnés dans le rapport, sans pour autant rentrer dans le détail. Une tirade conclue par un lapidaire « C’est le passé, il faut aller vers l’avenir maintenant ! » de Didier Rambaud, vice-président en charge des déplacements et des transports. Du passé, certes, mais un passé proche plus que jamais d’actualité. Car la situation financière de la Sem VFD n’est pas des plus rassurantes, comme le montre la forte dégradation des comptes. Outre un déficit prévisionnel de 3,8 millions d’euros en 2012 et de 3 millions d’euros en 2013, son volume d’activité est en baisse, avec un chiffre d’affaires 2012 de 39,6 millions d’euros, en repli de 5 millions d’euros par rapport à 2010. Des difficultés qui, pour le conseil général, « résultent pour partie de la baisse d’activité liée à la situation économique et, surtout, d’une compétitivité qui reste insuffisante malgré les efforts déjà entrepris. »Choix coûteux pour l’entreprise Or, le rapport de la chambre régionale des comptes d’Auvergne, Rhône-Alpes dénonce plusieurs dysfonctionnements concernant la gestion, au sens large, de la Sem. Outre des observations portant sur des problèmes de gouvernance et de stratégie de l’entreprise, ainsi que sur sa situation financière et sociale, il juge, en particulier, assez sévèrement la convention d’assistance technique conclue avec le groupe Keolis. La chambre rappelle ainsi qu’à la création de la Sem, le département de l’Isère a choisi l’actionnaire industriel en arrêtant le principe d’une rémunération implicite par un contrat d’assistance technique. Un choix qui s’est avéré « très coûteux pour l’entreprise et, par voie de conséquence, pour le département ». Car si toutes les sociétés qui ont répondu à l’appel d’offres ont accepté le principe de cette rémunération implicite, l’offre Keolis s’est avérée bien moins attractive que celle d’un autre candidat. Ce dernier proposait une part annuelle fixe de 200 000 euros seulement (contre 350 000 pour Keolis), assortie d’une part variable plafonnée à 200 000 euros (contre 250 000 euros), pour une prise de participation de 20 % du capital (contre 15 à 19 %). Redevances onéreuses Pire, la chambre régionale des comptes note que « l’absence de suivi des missions d’expertise, tant de la direction que du conseil d’administration, met en évidence la faible implication de la Sem dans la décision de recourir à des prestations onéreuses, dont la valeur ajoutée est très en-deçà des attentes et du prix acquitté. » Une vision des faits contestée par Keolis qui a nié en retour avoir « disposé d’une rémunération exorbitante ». Le rapport définitif note toutefois que la société n’a produit « aucun élément nouveau permettant d’établir la matérialité de prestations contestée par la chambre. » Une situation d’autant plus gênante que les redevances versées par la Sem VFD au prestataire Keolis au titre de l’assistance technique sont bien plus élevées que celles versées, par exemple, par la Sémitag à son prestataire Transdev. « Le coût supporté par les salariés de la Sem VFD est en effet de 3 et 6,3 fois plus élevé que celui acquitté par les salariés de la Sémitag » Ce comparatif n’est pas pertinent, affirme Keolis, qui se justifie en arguant que Transdev intervient dans le transport urbain, et non dans le transport interurbain. Un argument rejeté par la chambre qui rappelle, qu’au contraire, les charges d’assistance technique sont généralement nettement plus importantes dans l’urbain, compte tenu du niveau d’expertise plus élevé requis sur ces marchés. « Ce sont des pratiques, que nous, écologistes isérois, combattons et qui se répètent dans diverses Sem, dénonce le conseiller général Olivier Bertrand. Étant de par la loi, majoritaires au conseil d’administration, les élus affirment disposer d’un contrôle total. Or, dans les faits, ils sont souvent peu présents ou peu regardants, laissant maîtres à bord les actionnaires privés. » Et celui-ci de noter que tous n’ont pas le même comportement, à l’image de Transdev avec le SMTC. Patate chaude Contactée par nos soins pour réagir sur le rapport, la société Keolis n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. De son côté, le conseil général rappelle qu’il n’a jamais participé directement à la procédure de négociation de la convention d’assistance technique, ni en 2007, ni en 2011. « La convention d’assistance a relevé d’une procédure pilotée par la SEM, qui en était l’entité adjudicatrice. De même, le suivi et le pilotage du contrat relèvent de la SEM », affirme André Vallini, en réponse aux observations formulées par la chambre. A contrario Marie-Pierre Pugin, ancienne directrice générale des VFD, tient, elle, à confirmer l’omniprésence du département dans la gestion et la direction de la société. « Véritable dirigeant de fait, cette implication très forte du département ne laissait qu’une marge de manœuvre nécessairement réduite au conseil d’administration et directeurs généraux successifs, dirigeants de droit de la société. » Une chose est sûre, personne ne semble désormais vouloir endosser la responsabilité de la gestion passée des VFD. Paul Turenne