Les Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police Vue sur la serre et la montagne

Jardins d’utopie : s’ils rasent, on recommence

Jardins d’utopie : s’ils rasent, on recommence

REPORTAGE – Au milieu du cam­pus de Saint-Martin‑d’Hères, des jar­di­niers ama­teurs plantent, cultivent et récoltent. Ces jar­dins d’utopie ras­semblent, depuis 2006, étu­diants et simples pas­sion­nés autour d’un pota­ger. Depuis octobre, au nom de l’esthétique et d’un déve­lop­pe­ment har­mo­nieux, le ser­vice d’aménagement durable du cam­pus de Grenoble sou­haite les rem­pla­cer par de la pelouse. Alors qu’une pro­cé­dure de jus­tice est en cours pour délo­ger ces par­ti­sans de l’autogestion, la résis­tance s’organise.

Les Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police avec vue sur les montagnes

© Jean-Baptiste Auduc / Place Gre’net

Au pre­mier abord, des sen­teurs de terre fraî­che­ment retour­née sai­sissent le visi­teur alors que quelques jar­di­niers s’at­tellent à plan­ter des oignons. Mais lorsque l’on s’approche de la cabane où ils entre­posent leur récolte, c’est une toute autre odeur qui prend au nez. « Ils ont répandu du White Spirit dans tout le caba­non la nuit der­nière » confie Juliette, 24 ans.
Impossible d’en savoir plus sur l’identité de ces “Ils” mais le mes­sage est clair : « nous n’a­vons pas que des amis ici ». L’étudiante, dépi­tée, montre un assem­blage de bois au sol : « Ils ont aussi cassé notre serre. Pourtant, on veut seule­ment jar­di­ner tranquille ».

Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police juste devant la bibliothèque universitaire Droit-Lettres

La visi­bi­lité des jar­dins est opti­male avec la biblio­thèque uni­ver­si­taire Droit-Lettres juste à côté.
© Jean-Baptiste Auduc / pla​ce​gre​net​.fr

Nés en 2006, les jar­dins d’utopie sont tout ce qu’il reste des mani­fes­ta­tions anti-CPE (contrats pre­mière embauche) sur le campus.
Depuis sept ans, plu­sieurs pro­mo­tions de jar­di­niers sont pas­sées par là, selon le prin­cipe de l’autogestion : tous plantent et récoltent leurs légumes eux-mêmes. Mais per­sonne ne connaît vrai­ment le nombre de par­ti­ci­pants au projet.
« Certains passent de temps en temps, sèment quelques graines et repartent. Il n’y a aucune obli­ga­tion », confie Juliette, qui pré­cise tout de même qu’“un noyau dur” de quatre à cinq per­sonnes entre­tient le jar­din durant l’été. « Nous ne sommes pas une asso­cia­tion. Nous jar­di­nons juste pour le plai­sir de nous retrouver. »
Un lieu de rencontres
Récolte dans les Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police

Les oignons résistent par­ti­cu­liè­re­ment au froid. Les jar­di­niers les récol­te­ront en juin.
© Jean-Baptiste Auduc / Place Gre’net

« Je suis content de venir ici, parce que l’ambiance est sympa. Cela per­met de dis­cu­ter ». Herbert, étu­diant en musi­co­lo­gie, par­ti­cipe à l’a­ven­ture depuis quelques années car “le jar­di­nage, c’est du par­tage”. Il admet volon­tiers ne pas faire par­tie des plus assi­dus mais appré­cie de contri­buer de temps en temps au potager.
Pour Juliette, les jar­dins d’utopie répondent à l’un des objec­tifs de l’université : « On nous demande tout le temps d’avoir un pro­jet pro­fes­sion­nel. Or ici, on en ren­contre plein, des pro­fes­sion­nels ! ». L’équipe com­prend, en effet, autant d’étudiants que tra­vailleurs. De quoi favo­ri­ser l’échange et l’apprentissage.
« L’autre fois, un pay­sa­giste est venu nous apprendre plein de choses. » Auto-for­ma­tion, auto­ges­tion, l’es­sence du pro­jet est là. « Nous vou­lons remettre l’humain au centre du pro­ces­sus » résume Juliette.
Un lieu de ren­contres oui, mais aussi de par­tage : tous les légumes pro­duits sont dis­po­nibles en libre-ser­vice dans le petit caba­non “qui n’est jamais fermé”. Régulièrement les jar­di­niers se servent ainsi dans les réserves et en offrent aux étu­diants de pas­sage : « Il y a des topi­nam­bours dans la cabane, si vous vou­lez » pro­pose Juliette à ceux qui s’aventurent dans les ornières.
Parfois même, l’association Amar (Action pour la mul­ti­pli­ca­tion d’une agri­cul­ture de récu­pé­ra­tion), qui récu­père habi­tuel­le­ment les inven­dus des maga­sins bio, se four­nit dans les jar­dins d’utopie.
Les ama­teurs à la main verte ont aussi voulu don­ner un côté esthé­tique au pota­ger. « Cet été, l’autre jar­din était magni­fique. Il y avait des fram­boi­siers par­tout. On s’est régalé ! ». Hélas, pour les fram­boi­siers et pour Juliette, au retour des vacances de la Toussaint, “l’autre jar­din” avait été rasé et fraî­che­ment rem­placé par du gazon.
Oignons récoltés dans les Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police

© Jean-Baptiste Auduc / Place Gre’net

De mul­tiples soutiens
Car depuis cou­rant octobre, la jus­tice s’est mise en branle. Les jar­di­niers ont appris par un pro­cès-ver­bal que l’affaire avait été trans­mise au tri­bu­nal admi­nis­tra­tif. Sujet du litige : occu­pa­tion illi­cite et dégra­da­tion de bien public.
La direc­tion de l’aménagement durable du cam­pus, elle-même, a demandé à la police de consta­ter les faits. Joint par télé­phone, Jean-François Vaillant, direc­teur du ser­vice n’a pas sou­haité répondre à nos questions.

Boîte à idées des Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police

© Jean-Baptiste Auduc / Place Gre’net

Les sou­tiens ne sont pas fait attendre. Dès le 10 octobre, une péti­tion était lan­cée sur Internet pour sou­te­nir les jar­di­niers. Les “gens du jar­din”, comme ils se dési­gnent, y raillent ce pro­cès-ver­bal qui note que « des fruits et légumes poussent en pleine terre ». Une ini­tia­tive lar­ge­ment relayée, puisque le 5 décembre la péti­tion attei­gnait déjà les 6 000 signataires.
D’autres sou­tiens, plus inat­ten­dus, se sont gref­fés à la mobi­li­sa­tion. Le 11 novembre, une qua­ran­taine d’étudiants mont­réa­lais ont ainsi réa­lisé une photo avec une ban­de­role por­tant la men­tion « De Grenoble à Montréal, culti­vons la résis­tance ! ». Une preuve que ce sujet touche les gens pour Juliette. « On a été dans quelques classes pour expli­quer notre situa­tion aux étu­diants et la plu­part ont été hyper réceptifs ! ».
Parmi les pro­fes­seurs aussi, une cer­taine mobi­li­sa­tion s’est mise en place, notam­ment au sein du dépar­te­ment de phi­lo­so­phie. Les ensei­gnants s’y sont fen­dus d’une lettre de six pages, adres­sée à la direc­tion de l’aménagement durable du cam­pus. Ces der­niers reviennent sur la signi­fi­ca­tion des mots “jar­dins” et “uto­pie” et com­parent la démarche des jeunes jar­di­niers aux remises en cause de la vie de la cité, autre­fois for­mu­lée dans La République de Platon.
Cabane des Jardins d'utopie sur le campus de Saint-Martin-d'Hères où des étudiants cultivent leur légume en autogestion contre la direction de la fac et la police

La cabane des Jardins d’u­to­pie
© Jean-Baptiste Auduc / pla​ce​gre​net​.fr

La peur d’un cam­pus uniformisé
Dans l’ensemble de ces mes­sages de sou­tien, une crainte domine : celle de voir le cam­pus s’uniformiser et deve­nir “un enfer de béton vert”. L’ennemi, c’est le gazon. « Même s’ils vou­laient signer une conven­tion avec nous, nous ne l’accepterions pas. Nous refu­sons qu’ils nous imposent leurs cri­tères ! » s’emporte Juliette, qui ne cesse de mettre en avant le côté libre du pro­jet, hors de toute institution.
Tous cri­tiquent la volonté de la direc­tion du cam­pus de faire de ce der­nier une réfé­rence inter­na­tio­nale, ce qui passe par « des espaces verts bien propres, sans rien qui dépasse ».
Pour entre­te­nir “leur culture de la résis­tance”, ces pas­sion­nés comptent bien conti­nuer à lut­ter. Pour l’instant, ils se réunissent habi­tuel­le­ment les mer­cre­dis à 16 h. L’un d’entre eux s’explique sur l’ab­sence de hié­rar­chie au sein des jar­di­niers : « Nous n’a­vons pas de déci­deurs. C’est ça que la fac n’aime pas chez nous. La direc­tion ne com­prend pas. Pour elle, il doit for­cé­ment y avoir des déci­deurs ».
Juliette ren­ché­rit : « Quand on parle de l’avenir, nous avons tous des avis dif­fé­rents. Certains sont opti­mistes, d’autres pas. » Mais tous sont d’accord sur une chose : « s’ils rasent, on recommence ! »
Valentin Aigrault et Jean-Baptiste Auduc
La Poudrière sur la fac
Le collectif la Poudrière a envahi l’ancienne faculté de droit de Grenoble inoccupée depuis la rentrée 2013 pour en faire un lieu en autogestion

© Jean-Baptiste Auduc / Place Gre’net

Dans le même esprit, le col­lec­tif la Poudrière a envahi l’ancienne faculté de droit, inoc­cu­pée depuis la ren­trée. Son objec­tif ? Créer « un lieu qui n’existe pas encore sur la fac : un lieu géré par et pour nous-mêmes ». Ceux qui se décrivent comme des “réqui­si­tion­neurs” d’espaces vides étu­diants veulent éga­le­ment « frei­ner le plan campus ».
La déci­sion de jus­tice est tom­bée le 5 décembre. La ving­taine de squat­teurs qui y dor­maient et étaient par­fois appro­vi­sion­nés en légumes par Juliette devaient quit­ter la faculté ce dimanche. Pour l’instant, les poli­ciers ne sont pas venus les délo­ger. L’un d’entre eux l’af­firme : « Tant qu’ils ne viennent pas nous cher­cher, on reste ».

VA

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