ENTRETIEN – Premier candidat à l’élection municipale de Grenoble à avoir présenté un programme écrit, Denis Bonzy soigne également la forme. Dans cet entretien consacré essentiellement à la méthode politique, il présente sa conception d’une campagne électorale répondant au désintérêt – voire au désamour – d’une partie des électeurs. Il désavoue les partis, enfermés selon lui dans des fonctionnements dépassés.
Né à Grenoble en 1955, Denis Bonzy débute sa vie professionnelle comme chargé d’études juridiques à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Grenoble, après une formation en droit. En 1982, il dirige la campagne municipale d’Alain Carignon dont il deviendra, après la victoire, le directeur de cabinet jusqu’en 1986. À cette date, il est élu conseiller régional et occupe par la suite la vice-présidence en charge des finances. Jacques Chirac, alors Premier ministre, le nomme président de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse en 1987, sa « fonction publique la plus passionnante ». Deux ans plus tard, Denis Bonzy est élu conseiller général de l’Isère et maire de la commune de Saint-Paul-de-Varces, où il habite encore aujourd’hui. En 1993, il devient président de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise (AURG). En parallèle de ses mandats, l’enseignement et la direction de plusieurs sociétés d’édition lui apportent « une stabilité professionnelle ». Sorti de la vie politique pour se consacrer davantage à sa vie familiale, il renoue avec elle en 2011 en fondant le « Club 20 » dans la perspective des municipales. « Marginal en politique, car en dehors des partis », Denis Bonzy devient candidat à la primaire de l’opposition organisée par l’UMP38 « pour répondre à la volonté de changement ». Il quitte le processus en septembre 2013, quelques jours avant son annulation car « ni le contenu, ni le calendrier du processus n’étaient respectés ». En raison de l’échec de la primaire de la droite à Grenoble, vous avez fait le choix de vous lancer indépendamment dans l’élection. Quel est pour vous le sens de l’expression « faire campagne » ? Il s’agit, avant tout, de retisser le dialogue et la confiance avec les citoyens. Ils estiment que les élus, devenus des professionnels de la politique, sont coupés des réalités. Cette crise de confiance envers la classe politique est inédite et il faut donc trouver un moyen de l’éradiquer pour continuer d’avancer. C’est le sens de ma proposition instituant un pouvoir de révocation du maire par les citoyens. Il s’agit d’un outil à leur service qui existe dans plusieurs états américains mais qui n’a jamais été pratiqué en France. Porter une candidature en dehors des partis induit cependant un déficit de visibilité et de publicité. Comment faire un atout de ce handicap ? La relation entre l’opinion publique et les partis politiques est paradoxale. Les électeurs se désintéressent des partis mais se résignent pourtant souvent à leur donner leur voix, car l’étiquette est le repère de la politique qui sera menée. Les partis politiques ont vécu trois étapes. Premièrement, l’idéologie. En tant que directeurs de pensées, ils fournissaient des schémas d’analyse de la société jusque dans les années 90. Deuxièmement, en l’absence d’idéologie, les partis ont proposé des solutions pour faire tourner l’engrenage de la mondialisation, de l’économie et du social. Aujourd’hui, les citoyens ont gagné en indépendance et s’estiment seuls face à la crise. Ils sont devenus « consommateurs » de partis politiques et s’accordent le droit d’en changer. J’assume cette notion du vote comme acte de consommation dont le remboursement passe par la révocation. Je me présente à l’élection avec un programme très précis et des engagements. Si les citoyens ne sont pas satisfaits des actions menées en cours de mandat, ils n’auront pas à attendre six ans pour en changer. Dans l’élection municipale en cours à Montréal, la jeune candidate indépendante Mélanie Joly a remporté haut la main les débats. Quand les autres candidats lui ont reproché son amateurisme, elle a répondu : « quand je vois votre expérience, je n’en veux pas ». Vous êtes passionné par la méthode politique nord-américaine. Que souhaitez-vous récupérer à votre propre compte ? Les conditions légales ne sont malheureusement pas comparables. Cependant, j’aimerais reprendre la conception du nouveau départ. Lors de l’élection, toutes les cartes sont rebattues. C’est une culture très intéressante, car très positive. Or nous manquons d’optimisme en France. Des positions haineuses commencent à prendre corps. C’est très inquiétant. Je souhaite aussi utiliser la méthode de campagne décentralisée, permettant aux citoyens de s’approprier ma candidature et d’en devenir les relais. Il faut sortir de la logique française considérant que la campagne est structurée par le haut. C’est à la base de porter le candidat. Enfin, le message par l’image ne doit pas être minimisé. C’est le point sur lequel je suis actuellement le plus faible. Le public consacre peu de temps à la vie politique et entretient un rapport émotionnel avec elle. De ce fait, l’image a toute son importance, alors que nous avons en France une culture écrite de la campagne. Le message par l’image est donc ce que je souhaite accentuer. L’autre conséquence d’une candidature autonome est l’engagement financier que représente une campagne électorale. Comment comptez-vous y faire face ? J’ai saisi la commission des comptes de campagne pour savoir si des dispositifs de financement participatif comme le crowdfunding étaient autorisés. Cela peut justement être un outil pour développer une campagne partagée. Il y aura également une participation financière de tous les colistiers. Par ailleurs, le coût d’une campagne municipale a considérablement diminué. Les dépenses en communication ont baissé grâce au numérique et la campagne de terrain ne coûte rien. Votre liste est-elle finalisée ? Nous disposons effectivement des 59 noms. Notre liste se structure de façon originale car huit adjoints de synthèse seront nommés et les colistiers restants s’impliqueront localement dans les différents secteurs de la ville. Cette conception correspond à notre programme. Nous prévoyons d’amorcer la décentralisation de la ville pour sortir de la jungle administrative. Des compétences comme la sécurité ou l’emploi doivent être transposées sur les mairies de secteur. Cela permettra de créer un esprit de village dans les différents secteurs de la ville. C’est aussi l’opportunité de mettre en action des jeunes générations qui souhaitent s’impliquer dans leur quartier. La politique meurt d’un dispositif de cour. Il ne s’agit plus de « faire » mais de « plaire » au chef. Les six mairies de secteur permettront de s’impliquer concrètement sur le terrain, en sortant de ce fonctionnement centralisé. Lors d’un point presse la semaine dernière, Alain Carignon a déclaré : « seul Denis Bonzy a pour l’heure un programme, plutôt bon d’ailleurs ». Et si c’était vous le candidat de la droite ? Le fait que j’ai un programme, c’est un constat matériel ! Mais notre liste sort de la logique partisane. Les deux enjeux de campagne sont la poussée de la pauvreté et la nécessité de diminuer la dépense publique. Avant l’élection, la droite retourne dans sa logique comptable et la gauche dans sa logique dépensière. Face à la pauvreté, la droite a une sécheresse de cœur. Pour combattre la précarité et la délinquance, la première réponse sociale, c’est l’intégration par l’emploi. Pour tout être humain, le rejet de la société suscitera la violence. Il faut traiter la délinquance avec une réponse individuelle. Pour limiter les dépenses, je propose la sélectivité de l’action publique. Mais en temps de crise, la collectivité doit être solidaire. Quand les socialistes n’ont pas rempli leur rôle, il faut plus de gauche pour répondre à des situations de pauvreté extrême. Par exemple, le conseil municipal a renfloué le déficit d’Alpexpo mais, dans le même temps, il y a eu une accélération des expulsions locatives de logements sociaux avant la trêve hivernale. C’est inadmissible. Vous avez été le directeur de campagne, puis le directeur de cabinet d’Alain Carignon. Estimez-vous qu’il ait été un bon maire pour Grenoble ? J’ai été son collaborateur de 1983 à 1986. Il a été sanctionné dans le seul domaine où il n’a pas innové. À savoir, les financements politiques. Alain Carignon a repris tous les dispositifs en vigueur à cette époque-là. Si la France ne fonctionnait pas dans une logique de bouc-émissaire, toute la génération de cette époque constituerait un immense cimetière politique. Mais globalement, son bilan est positif. La forêt de ses réalisations est cachée par l’arbre des affaires. C’est un élément particulièrement pénalisant. La France n’a jamais été capable d’établir la clarté dans le financement politique. À mon échelle, je propose une charte éthique pour que Grenoble soit désormais une référence en matière d’éthique et de transparence. Dans votre programme, urbanisme, emploi et sécurité s’entremêlent totalement. Comment imaginez-vous Grenoble à l’issue d’un mandat qui serait le vôtre ? La gestion d’une collectivité publique implique deux défis : l’aménagement de l’espace et la situation des personnes dans cet espace. Je souhaite l’abrogation du Schéma de cohérence territorial (Scot) de l’agglomération grenobloise pour sortir de la logique de densification actuelle. Ma conception n’est pas celle d’une agglomération organisée autour de la ville centre et qui provoque inévitablement la congestion de ses axes routiers. Je souhaite respecter des bassins de vie éclatés. Cela passe par l’aménagement de la carte scolaire pour fluidifier mécaniquement les déplacements. Sur le plan économique, il faut ouvrir des filières économiques complémentaires car le profil actuel de l’agglomération – tourné vers la recherche et les nanotechnologies – crée l’exclusion de certaines populations qui ne sont pas formées à la pratique de ces métiers. Enfin, pour peser à l’international, alors que la métropole lyonnaise est déjà structurée, nous devons nous ouvrir au Sillon alpin pour constituer une métropole mondiale comme grande capitale de la montagne. Le rapprochement de la Métro et de la communauté du Grésivaudan est donc impératif. Grenoble dispose actuellement du deuxième Centre communal d’action sociale (CCAS) de France en terme de budget (67 millions d’euros, dont 25 millions provenant de la ville). Votre « sélectivité de l’action publique » pour réaliser des économies budgétaires passe-t-elle par la sélectivité de l’action sociale ? L’un de mes huit adjoints de synthèse sera en charge des solidarités du mérite. Je souhaite porter l’action sociale à deux niveaux du parcours de la vie : celui de la jeunesse, pour ne pas reproduire les inégalités de patrimoines et de savoirs ; et celui de la vieillesse qui fait face à un éclatement de la solidarité familiale. L’agglomération grenobloise souffre d’un sous-équipement pour les séniors. Je souhaite développer les petites unités médicalisées et cela nécessitera un investissement public considérable. Enfin, il faudra aussi porter une attention particulière aux parcours d’exclusion et aux accidents de la vie, comme les expulsions locatives. En revanche, pour toutes les autres aides, il y a matière à économies. Vous programmez une baisse de la pression fiscale par des économies portant essentiellement sur les frais de fonctionnement de la mairie : exemplarité des élus, réduction du nombre de postes de cabinet… Cela est-il suffisant ? Toutes les possibilités d’économies budgétaires doivent être opérées. C’est pour cela que l’exemplarité des élus est incontournable. Ils ne pourront les réclamer que s’ils se les appliquent à eux-mêmes. J’identifie cependant d’autres postes d’économies. Toutes les activités ayant vocation au concurrentiel – si elles n’assurent pas un service que le privé n’est pas apte à remplir – seront mises sous service, comme par exemple Alpexpo ou le Stade des Alpes. Il faut également évoquer les conditions d’une privatisation de GEG, la fusion de tous les organismes de tourisme à Grenoble et la mutualisation de certains services par la Métro pour réaliser des économies d’échelles. Nous sommes en phase de chiffrage mais, pendant la campagne, nous présenterons nos engagements ouvrant droit à révocation. La réduction significative de la pression fiscale locale en fera partie. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos de Nils Louna L’entretien a été réalisé le vendredi 25 octobre au salon de thé « Au Chardon bleu », 11 rue de la République à Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture.Extrait d’ouvrage choisi par Denis Bonzy « Matière à rire » de Raymond Devos : « En résumé, je crois qu’on a toujours tort d’essayer d’avoir raison devant des gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort ! » La conviction qu’il en tire Rire est un des mots magiques du bien être. C’est surtout un socle de sagesse. Rire de soi-même, de ses maladresses involontaires. Rire pour partager la joie d’autrui. Bref, tout ce qui semble si simple quand tout va bien. De façon paradoxale, j’ai découvert l’importance de rire quand les épreuves de santé de mes parents me rendaient impossible le fait de rire. C’était alors un réflexe qui, hier, me paraissait si naturel, mais qui à cette époque était devenu hors de portée, se limitant dans le meilleur des cas à bouger les lèvres, mais sans plus. Alors maintenant, je n’épargne plus les moments de rire même si ce n’est jamais à l’éclat. J’ai du retard à rattraper. J’espère surtout que ce n’est pas de l’avance à prendre.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.