ENTRETIEN – L’heure est aux doutes concernant l’avenir du dispositif d’hébergement d’urgence dans l’agglomération grenobloise. Olivier Noblecourt, adjoint à l’action sociale de la mairie de Grenoble, détaille les pistes pour en finir avec une concentration de situations de très grande précarité dans le bassin grenoblois. Il évoque également le modèle social grenoblois, le cumul des mandats et plaide pour un renouvellement en politique, notamment en tête de liste socialiste des élections municipales.
sur les 900 disponibles pendant la saison hivernale. Depuis, la ministre du Logement, Cécile Duflot, a procédé à une rallonge budgétaire de près de 850 000 euros pour éviter une remise à la rue massive. L’hébergement d’urgence de qualité et en quantité suffisante est-il menacé dans le bassin grenoblois ?
En cinq ans, nous avons reculé de l’équivalent de dix ans sur le plan qualitatif. Nous étions dans une logique d’amélioration et de suivi social, en diversifiant les modes de prise en charge. Des structures adaptées ont dû fermer, comme La Place qui permettait d’accueillir un public avec des chiens. Nous avons depuis reculé de trois cases pour retomber dans une logique d’hébergement humanitaire.
Qu’est-ce qui a provoqué ce renversement ?
C’est indéniablement la régionalisation de la demande d’asile. Cette décision gouvernementale, prise sans concertation avec les collectivités locales sous le mandat de Nicolas Sarkozy, limitait aux seules préfectures de Lyon et de Grenoble les demandes de l’ensemble de la région Rhône-Alpes. Cela s’est traduit par un triplement de ces démarches à Grenoble. Par ailleurs, la nature des demandeurs d’asile a changé, passant de personnes isolées ou en couple à une population familiale originaire des pays de l’Est qui n’est pas compatible avec l’offre de solutions logement dont nous disposons. Les petits studios ne peuvent pas accueillir des familles avec trois enfants ou plus encore parfois. Nous avons été débordés sur ce point. La rallonge budgétaire permet d’éviter une remise à la rue massive, mais ne répond pas à l’enjeu de fond qui est de revenir en arrière sur la régionalisation de la demande d’asile.
Une expérimentation est réalisée cette année en Bourgogne avec un retour à des procédures d’asile par département. Pourrait-elle être généralisée ?
C’est ce que nous souhaitons. Nous avons adressé ce mois-ci un courrier en ce sens au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, signé par André Vallini, Marc Baïetto et Michel Destot. Les parlementaires de l’Isère ont par ailleurs appuyé notre demande et des démarches semblables se multiplient partout en France. Cette régionalisation est un échec. Il convient d’étudier les alternatives pour en sortir, entre une départementalisation totale ou partielle, concernant seulement les guichets de demandes d’asile.
Des profils plus traditionnels de sans-abris perdurent. Travaillez-vous sur d’autres pistes pour éviter la concentration de ce public à Grenoble, qui complique sa prise en charge ?
Nous travaillons à une meilleure répartition territoriale de l’offre d’hébergements d’urgence, puisque Grenoble représente désormais la moitié des places d’hébergement du département, contre la totalité par le passé. Il faut continuer en ce sens, mais c’est une compétence et une responsabilité d’Etat. C’est donc lui qui finance et qui décide. En revanche, créer des unités de deux à quatre personnes en campagne n’est pas une solution quand plusieurs milliers de places sont nécessaires. C’est un public qui a besoin d’accès aux services sociaux, préfectoraux et administratifs, ainsi que des transports collectifs. Cet équilibre doit être respecté. C’est à l’échelle de l’agglomération que se trouve le bon équilibre.
La préfecture de l’Isère évoque des reconduites à la frontière pour libérer des places. Est-ce une politique que vous comprenez et que vous soutenez ?
Ni l’un, ni l’autre. L’hébergement d’urgence est un droit pour chacun et une obligation légale pour l’Etat. Mais il est normal que l’Etat distingue l’hébergement du droit au séjour. Pour préserver l’asile en France, il faut qu’il reste lié à la protection de personnes persécutées pour des raisons politiques et syndicales ou pour leurs croyances notamment. La loi de la République permet de débouter certaines demandes qui ne répondent pas à ces critères.
N’est-ce pas le cas des nombreux ressortissants d’Europe de l’Est qui composent désormais une grande partie de la demande d’asile en Isère ?
L’essentiel de ces demandeurs d’asile répondent à des critères de misère et de détresse économique plus qu’à celui de la persécution, comme en leur temps les réfugiés qui fuyaient Pinochet ou ceux qui combattaient en Algérie contre le GIA. Mais je refuse de jeter l’opprobre en pensant qu’il n’y a qu’un seul profil. Dans un Etat de droit, chacun doit défendre son cas et son récit de vie.
Une expérimentation est en cours à l’échelle de la Métro pour intégrer par le logement et l’emploi plusieurs familles de ressortissants d’Europe de l’Est. Les premiers résultats vous donnent-ils satisfaction ?
Nous avons obtenu une première victoire. L’Etat vient de nous annoncer qu’il participerait à son financement à hauteur de plus de 100 000 euros, dans le cadre d’un appel à projet qui devrait nous permettre de passer de quatre à six maisons pilotes. Les premiers résultats nous satisfont concernant l’intégration par le langage et même par l’emploi pour plusieurs des premiers bénéficiaires. Ils trouvent du travail dans des postes non-pourvus, à l’image de ceux dans la restauration et le bâtiment. Nous allons monter en charge et dépasser les huit familles, soit une cinquantaine de personnes sélectionnées sur leur volonté d’intégration. Une vingtaine de familles qui sont dans la même dynamique ont déjà été identifiées.
Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls a déclaré en mars que « les Roms ne souhaitaient pas s’intégrer ». L’expérience grenobloise prouve-t-elle le contraire ?
Ce n’est pas le cas de toutes les familles. Certaines ont des projets de retour dans leur pays d’origine, mais notre expérimentation démontre qu’il n’y a pas de logique de grandes familles claniques comme cela a pu être véhiculé par le passé. Il n’y a pas d’homogénéité derrière le seul terme de Roms, mais des parcours de vie différents. Contrairement aux villages d’insertion fermés expérimentés en Île-de-France avec des résultats mitigés, nous prouvons dans l’agglomération grenobloise qu’un territoire peut intégrer ces familles à travers le droit commun. Le gouvernement en a conscience et a d’ailleurs présenté l’expérience pilote grenobloise à Bruxelles pour démontrer ses efforts d’inclusion.
La plateforme précarité énergétique lancée cet hiver est une autre mesure grenobloise qui devrait être généralisée au niveau national, dans le cadre du plan de lutte contre la précarité. La demande de visites et diagnostics correspond-elle à vos prévisions ?
Nous avons réalisé en six mois la moitié des 300 visites-diagnostics-conseils prévues en 2013. En revanche, la surprise est d’avoir mobilisé seulement 5 000 euros du fonds d’aide de 180 000 euros prévu. Cela démontre que l’accès aux aides préexistantes fonctionne. Notre but n’était pas de nous substituer aux autres aides possibles, mais d’être une plateforme centrale facilitant les démarches.
Le quota de places en crèche réservées aux familles pauvres, la plateforme précarité énergétique, les maisons d’intégration de familles roms … Grenoble est-il le laboratoire social du gouvernement, comme par le passé ?
Il serait prétentieux de penser cela, mais Grenoble a recouvré pleinement sa place de ville qui expérimente beaucoup pour trouver de nouvelles solutions. Il ne faut pas oublier, pour autant, que derrière ces travaux d’expérimentation, nous assurons le travail de base d’accompagnement et de service public rendu à des milliers d’habitants. Grenoble est effectivement fortement sollicitée à l’échelle nationale. Plus récemment encore, j’ai participé à la commission sur l’intégration des habitants dans la politique de la ville pour présenter les maisons des habitants et je participe à la réflexion gouvernementale sur l’intégration et la protection sociale. C’est une satisfaction puisque on ne fait pas seulement cela pour la beauté du geste, mais surtout pour obtenir des financements nous permettant de répondre aux besoins des Grenoblois.
Est-ce une vitrine pour les ambitions nationales que vous prêtent des élus de l’opposition, mais également de la majorité ?
Je suis suppléant de Michel Destot sur son mandat de député. Peut-être le serai-je moi-même un jour. Dans ce cas, je serai ravi d’apporter ma pierre au parlement. Mais ma vie est à Grenoble, là où grandissent mes enfants. Une carrière nationale n’est ni ma priorité, ni mon objectif. J’agis avec mes convictions là où l’on me le permet.
L’Assemblée nationale a voté jeudi l’ensemble des articles du projet de loi sur le cumul des mandats interdisant aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale à partir de 2017. Le texte en l’état vous convient-il ?
On peut toujours souhaiter aller plus vite et plus fort, mais il faut respecter les élus en place et les situations que les électeurs ont créées. L’essentiel est que le non-cumul soit un acquis du mandat Hollande. Des questions annexes font partie du débat parlementaire, comme la limitation du nombre de mandats successifs. Mais le texte actuel sera déjà un progrès ouvrant l’accès aux responsabilités à davantage de jeunes, en permettant une diversité d’origine sociale et une féminisation des élus. Bref, un renouvellement de la classe politique.
Le renouvellement passe aussi par la tête de liste qui représentera la majorité sortante à l’élection municipale à Grenoble. Avez-vous une préférence entre Michel Destot et Jérôme Safar ?
Les deux ont la légitimité pour représenter la liste. J’ai cependant une préférence pour Jérôme Safar qui incarnera ce renouvellement, mais c’est à Michel Destot d’initier la démarche. D’autres modalités de passage de relais me conviendront, s’ils le décident en concertation avec nous. Mais l’heure est venue d’un renouvellement générationnel à Grenoble.
À gauche, un match est en train de s’amorcer entre la majorité sortante et une coalition autour des écologistes. Est-ce un scénario risqué ?
La gauche grenobloise a toujours marché sur ces deux pieds-là : une majorité socialiste et un groupe écologiste alternativement dans la majorité et l’opposition. C’est tout à fait conforme à l’histoire politique grenobloise. Ce n’est qu’en 1983 que ces deux gauches ont été réunies dès le premier tour. Mon souhait est de voir leur rassemblement dans la prochaine majorité municipale. C’est le cas au gouvernement, au conseil régional et au conseil général. Il serait logique que ce soit le cas à l’échelle communale, surtout avec un changement de génération. Les dossiers qui ont pu nous opposer par le passé ne sont plus aussi criants.
Pensez-vous sincèrement qu’un très large rassemblement à gauche est possible ?
Je ne vois pas ce qui empêcherait aujourd’hui cette union. Je serai attentif à ce que rien dans la campagne n’interdise ce rassemblement. Nos priorités sous ce mandat étaient le social, l’éducation et le logement. Il n’y a pas de désaccord avec les écologistes sur ces points-là, pour lesquels ils se placent davantage en soutien qu’en critique. Nous devons sortir des conflits de personnes pour aborder le fond et progresser sur d’autres enjeux, comme l’insertion professionnelle et la démocratie participative.
Propos recueillis par Victor Guilbert
L’entretien a été réalisé à Grenoble le jeudi 4 juillet dans le bureau d’Olivier Noblecourt au CCAS. Il n’a pas été soumis à relecture.
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Olivier Noblecourt débarque à Grenoble en 1995, alors âgé de 18 ans pour intégrer l’Institut d’Etudes Politiques (IEP). Ce fils d’une grande plume du journal Le Monde est alors déjà membre du Parti socialiste. Remarqué par Michel Destot, il devient deux ans plus tard son assistant parlementaire, avant de connaître une progression éclair jusqu’au poste de directeur de cabinet du député-maire de Grenoble, à 23 ans seulement.
Homme de coulisses dans un premier temps, il passe à la lumière en 2008 en se présentant aux municipales sur la liste de son mentor en politique, dont il devient l’adjoint à l’action sociale et familiale. Une fonction qu’il cumule à la vice-présidence du Centre communal d’action sociale (CCAS) et à celle de la Métro, où il est en charge de l’hébergement.
La préfecture de l’Isère annonçait le 20 juin dernier que, faute de budget consacré à cette politique, seulement une centaine de places d’hébergement d’urgence seraient maintenues