DECRYPTAGE – La 2 G et la 3 G hier, la 4 G aujourd’hui, la 5 G demain… Le réseau de téléphonie mobile se développe. Les antennes-relais avec. Mais faute de réglementation, face à des études médicales contradictoires, l’inquiétude gagne du terrain et les procédures se multiplient dans le bassin grenoblois.
Patricia Cerinsek
(1) 41 V/m pour la téléphonie mobile 2G de type GSM 900, 58 V/m pour la 2G de type GSM 1800 et 61 V/m pour la 3G de type UMTS.
(2) Le rapport Bio-Initiative, compilation d’études menées par des chercheurs indépendants, parle de « risque biologique clairement établi, même à faible exposition avec des effets sur la stérilité et sur la barrière hémato-encéphalique et un risque accru de cancer du cerveau ». Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organisme créé par l’OMS, considère que les champs électro-magnétiques liés à l’usage du téléphone mobile, sont « cancérigènes possibles pour l’homme ». Laquelle OMS estime qu’il n’a « jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé »…
A Grenoble, une antenne-relais cristallise la grogne. Dans la ZAC Beauvert, l’association Robin des Toits appelée par des riverains inquiets de voir apparaître maux de têtes, insomnies et vertiges, a mesuré la puissance émise par l’antenne d’Orange : 13 volts par mètre (V/m). La mesure fait bondir le délégué régional de l’association qui, depuis des années, se bat pour faire reconnaître la nocivité des ondes et abaisser les seuils réglementaires. « On veut une réglementation en France, résume Jean Rinaldi. Il n’en existe aucune aujourd’hui. Les opérateurs de téléphonie mobile font ce qu’ils veulent quand ils veulent ! »
En France, c’est un décret de mai 2002 qui réglemente la puissance émettrice des antennes-relais, entre 41 et 61 V/m (1). Des chiffres obsolètes, loin, très loin des recommandations du Conseil de l’Europe qui, dans sa résolution 1815, recommande, mais n’impose pas, d’abaisser le seuil d’exposition à 0,6 V/m.
Dans le bassin grenoblois, les réactions sont de plus en plus nombreuses et les collectifs se multiplient, réclamant le démontage d’antennes ou s’opposant à l’installation de nouvelles. A Grenoble, mais aussi au Versoud, à Crolles, à Corenc, l’inquiétude gagne la population. A Sassenage, les habitants ont obtenu gain de cause : Bouygues ne s’installera pas sur les terrains du cimentier Vicat. Une bataille gagnée, mais combien d’autres derrière à mener ?
Des études contestées
« Des implantations d’antennes-relais, il y en a à tour de bras à l’heure actuelle », relève Jacqueline Collard, présidente de l’antenne grenobloise de l’association Santé Environnement Rhône-Alpes (SERA). « Il n’y a pas d’application de la règle d’information de la population. Alors les gens s’inquiètent d’autant plus. » Quant aux malades, ils portent aujourd’hui un nom : les « électro-sensibles ».
Combien sont-ils à Grenoble ? Robin des Toits évoque le chiffre de trente cas « très graves », mais qu’en est-il réellement ? Quel est l’impact de ces radio-fréquences sur le corps humain ? Aujourd’hui encore, malgré la multiplication des études et des rapports (2), l’impact de ces ondes et leur niveau de nuisance restent très contestés. En attendant d’y voir plus clair, pour beaucoup, le principe de précaution s’impose. Ou devrait s’imposer…
Pour les collectivités locales, et en premier les maires, la marge de manœuvre est étroite. A Grenoble comme à Echirolles, la mairie s’est opposée à toute installation d’antennes-relais sur le domaine public, mais ailleurs ? Sur le toit des HLM, celui des copropriétés ? « On sert de médiateur », résume Gildas Laeron, conseiller municipal chargé à la ville de Grenoble des technologies de l’information et de la communication. « On demande au besoin des mesures complémentaires aux opérateurs. » Des mesures complémentaires effectuées par des bureaux d’études agréés par le Comité français d’accréditation (COFRAC), eux-mêmes contestés par les associations…
12 à 15 000 euros par an
Des seuils réglementaires dépassés, pas d’obligation d’information… Face à l’inertie des pouvoirs publics, les antennes se multiplient et la contestation s’organise. Alors, les opérateurs ont appris à négocier, « 12 à 15 000 euros par an de dédommagement en échange de l’installation d’une antenne », affirme Jean Rinaldi. Ils ont aussi appris à concilier et à s’asseoir autour d’une table, comme à Echirolles. « Ils savent jouer sur la confusion : les gens croient que les antennes-relais, c’est la télévision. »
Un décryptage s’impose, même si le combat acharné de Robin des Toits a permis de lever bien des zones d’ombre. « Les gens s’inquiètent, mais il faut qu’ils soient cohérents avec eux-mêmes, continue Jacqueline Collard. Si on ne veut pas d’antennes-relais, il faut accepter de ne pas pouvoir téléphoner au deuxième sous-sol d’un parking ! »
Toujours plus de technologie, une technologie toujours plus puissante : tout cela a un prix. Lequel ? Celui de la santé, et notamment des plus jeunes ? « La problématique sur l’ensemble de l’Isère, c’est la mise en place d’antennes wi-fi dans les lieux où ce n’est pas nécessaire, notamment en milieu scolaire », souligne la présidente de SERA. « En France, on donne des tablettes numériques à tour de bras ! »
Alors aux oubliettes la technologie sans fil ? Les associations Robin des Toits et SERA réclament seulement que soient révisées les valeurs réglementaires et que soient posés des garde-fous. Pour tenter de faire contre-poids à un marché très florissant. Le 30 janvier dernier, Fleur Pellerin, ministre de l’Economie numérique, déclarait : « la dangerosité des ondes radio-électriques n’est pas scientifiquement étayée » faisant remarquer que la 4G « représente un investissement de 3 milliards d’euros sur cinq ans et des dizaines de milliers d’emplois ».