SANTE – Olivier Véran, député de la première circonscription de l’Isère et neurologue au CHU de Grenoble, vient de se voir confier une mission d’étude sur l’intérim médical hospitalier. En plein essor, celui-ci occasionne en effet des coûts très importants pour les établissements publics confrontés à des difficultés de recrutement. Le député doit présenter à la rentrée ses préconisations qui pourraient aboutir à une proposition de loi.
Le phénomène n’est pas nouveau. Il a cependant pris une telle ampleur que nombre de professionnels tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Depuis quelques années, de nombreux hôpitaux publics ont en effet dû se résigner à recourir massivement à des intérimaires, faute de pouvoir recruter durablement des praticiens hospitaliers pour faire tourner leurs services. Problème : certains établissements qui utilisaient ponctuellement l’intérim se sont mis à y recourir très fréquemment pour les disciplines les plus en tension. « L’intérim a servi à remplacer des postes qui n’étaient pas occupés au long cours par un médecin, par exemple suite à un départ à la retraite », explique Olivier Véran, député de l’Isère et praticien hospitalier. « Comme tous les hôpitaux d’un territoire donné sont généralement dans la même situation et n’ont pas le choix, il y a une concurrence entre eux. Cela explique vraisemblablement que les prix exigés par les agences d’intérim aient beaucoup augmenté ces dernières années. » Certaines disciplines peinent particulièrement à attirer des médecins titulaires dans le public. A commencer par la radiologie pour laquelle 35% des postes ne sont pas pourvus. Mais aussi l’anesthésie-réanimation et la médecine d’urgence. Dès le début des années 90, les hôpitaux ont massivement fait appel à des médecins étrangers pour faire face à cette pénurie, grâce à des contrats précaires renouvelés au dernier moment. « Cela aurait dû alerter les pouvoirs publics sur les problèmes de démographie médicale, mais ils n’ont pas réagi et ont opté pour la solution de facilité », déplore Olivier Véran. « Et le durcissement de la législation pour le recours aux médecins étrangers hors Union européenne n’a rien arrangé. » Jusqu’à un médecin sur deux en intérim Cette désaffection pour certaines disciplines s’explique avant tout par les différences de rémunérations entre le public, où elles sont encadrées par la réglementation, et le privé, où les salaires sont libres. Dans ces conditions, difficile pour les hôpitaux de rivaliser. « Face à cette situation tendue et afin d’offrir des rémunérations plus attractives, des directeurs d’hôpitaux ont commencé à jouer sur les logiciels de paie. Ou bien à payer certains praticiens pour un temps complet qu’ils ne faisaient pas vraiment en pratique », confie le député. « Comme cela n’a pas suffi, ils ont fini par faire appel à des agences d’intérim. » Certains établissements emploient ainsi environ 25% d’intérimaires, parfois même jusqu’à un médecin sur deux. Une évolution qui, outre les coûts qu’elle engendre, n’est pas sans conséquence pour les personnels médicaux hospitaliers. Difficile, en effet, de rester motivés quand des intérimaires qui arrivent dans un service touchent en quelques jours ce que des praticiens titulaires peuvent gagner en un mois… D’autant que certains intérimaires refusent, par exemple, de faire des gardes aux urgences, ce qui se répercute sur les personnels permanents et entraîne des contestations. « Les équipes paramédicales se sentent également insécurisées et se demandent à chaque fois sur qui elles vont tomber. Sans compter le fait que les intérimaires ont forcément une moins bonne connaissance des services et des protocoles médicaux » ajoute Olivier Véran. Tous les CHU ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, en Bretagne, le coût du recours à l’intérim représente l’équivalent du déficit des établissements de la région, selon Olivier Véran. Et ce dernier de citer l’exemple du directeur du centre hospitalier de Vienne qui a dû payer des intérims de pédiatrie à hauteur de 3 000 euros les 24 heures. Le CHU de Grenoble épargné A Grenoble, même si le CHU doit faire face à un déficit structurel important, la situation n’est en rien comparable, à en croire Elodie Ancillon, directrice des affaires médicales. « Nous rencontrons actuellement quelques difficultés concernant les postes de médecins urgentistes et parfois d’anesthésistes. Mais globalement, on s’en sort bien par rapport à ce qui peut être observé ailleurs. » De fait, le CHU de Grenoble, situé sur un territoire attractif, parvient à capter de jeunes praticiens en sortie d’internat, attirés par les nombreux projets de recherche et le développement d’activités de pointe. « La forte mobilité interne à l’échelle d’un CHU, permet également à des professionnels d’y faire carrière, sans forcément tomber dans la routine », souligne Élodie Ancillon, qui se félicite de ne pas avoir besoin de recourir à l’intérim médical. « Pour les disciplines dans lesquelles les postes vacants peinent à être pourvus, nous entrons dans de la négociation salariale, mais de manière très ponctuelle. » Depuis 2009, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) autorise notamment les CHU à recruter des praticiens libéraux ou des cliniciens hospitaliers. « Cela nous a permis d’embaucher des praticiens libéraux qui disposaient de profils très spécifiques, en limitant les différences de salaire public-privé. Mais c’est un peu la boîte de Pandore ! Nous l’ouvrons avec beaucoup de parcimonie, en essayant d’homogénéiser au maximum les salaires pour tous les jeunes professionnels », affirme-t-elle. Reste qu’au-delà des recrutements, les défis à relever avec un budget contraint sont nombreux. En particulier dans le service des urgences. « Nous menons actuellement une réflexion globale pour fluidifier la filière et limiter le nombre de « lits couloirs » qui demeure très problématique », reconnaît Élodie Ancillon. « De manière générale, nous essayons d’anticiper les sorties des patients afin éviter des durées de séjours trop importantes, en partenariat avec les autres établissements du bassin grenoblois. » Un vaste chantier en perspective. Paul Turenne
Olivier Véran dévoile ses premières pistes de réflexion
Actuellement en pleine phase d’audit et de concertation avec les organisations professionnelles et syndicales, Olivier Véran a cependant accepté de dévoiler quelques unes de ses pistes de réflexion à Place Gre’net. Ainsi un premier volet visant à réguler l’intérim devrait surtout concerner les agences qui profitent de la situation actuelle pour facturer leurs prestations au prix fort. Des négociations pourraient ainsi être entreprises. Par ailleurs, la mise en place d’une plate-forme d’appels d’offre régionale permettrait de faire baisser les coûts en brisant la concurrence territoriale à laquelle se livrent les hôpitaux. Un deuxième volet s’attellerait à améliorer l’attractivité de l’hôpital, en s’appuyant notamment sur le rapport d’Edouard Couty « Le pacte de confiance pour l’hôpital », remis à la ministre de la Santé en mars dernier. Une chose est sûre : Olivier Véran n’est pas du tout partisan de la coercition en matière d’installation des médecins.