Treize mille kilomètres pour embrasser la mer Méditerranée. Dix huit millions de pas pour tenir ensemble les mondes et habiter la paix. Matthieu de Lamarzelle a bouclé, ce samedi 11 octobre 2014, le tour complet, à pied, de la Méditerranée. A 65 ans, cet incroyable marcheur au long cours, membre de l’association Compostelle-Cordoue, a traversé la Syrie en guerre, la Libye dans le chaos, l’Algérie plongée dans l’insécurité, pour revenir à la case départ.
« Le voyage n’a pas d’importance. Il est occasion de se rendre présent, de prendre le pouls des gens, de pacifier la peur, témoigne Matthieu de Lamarzelle qui est moine bouddhiste zen. Quand tu marches à pied, tu as l’impression que le monde est tout petit, que tout se rapproche ; en fait, tout devient accessible ».
Parti le 18 juin 2011, il a d’abord mis le cap sur Alexandrie, où il est arrivé huit mois plus tard (le 4 février 2012), ayant traversé seize pays. « Je n’ai pas choisi Jérusalem comme horizon car ce n’est pas un endroit qui respire la paix ».
De la Syrie à Israël, en passant par la Palestine
Entré dans la Syrie en guerre, fin octobre 2011, il est allé apporter son soutien au Père Paolo Dall’Oglio, jésuite italien refondateur du monastère de Mar Mousa (au nord de Damas) alors menacé d’expulsion. Le porte parole de la révolution syrienne est aujourd’hui porté disparu.
Passé par la Palestine puis Israël, Matthieu de Lamarzelle a été inquiété dans sa remontée du Sinaï par la police qui l’a interrogé plus de six heures… Il reprend sa boucle de la Méditerranée, le 16 septembre 2013, depuis Le Caire puis Alexandrie.
De l’Égypte à la Libye
L’Égypte connaît alors un été de guerre civile. Couvre-feux, tanks en ville, contrôles permanents. Matthieu subit trois agressions en deux jours. Il décide de passer par de petits bus et transports locaux pour ne pas s’exposer.
A son entrée en Libye, les tensions sont incessantes. « On ne sait qui est qui, et les milices sont partout », raconte-t-il. Il remonte jusqu’à Tunis, passant par Kairouan, où le rejoint son ami Jean-François Duchosal, ancien pèlerin de Jérusalem et fidèle disciple de l’Abbé Pierre qui a marché depuis Genève (en prenant le bateau à Naples).
De l’Algérie à l’Espagne, via le Maroc
Mais seul Matthieu obtient son visa pour entrer en Algérie. Le parcours dans ce pays,où vient d’être assassiné Hervé Gourdel, est chargé d’émotions : Annaba (la ville d’Augustin), Sétif, le col du massif de Djurdjura (en Kabylie) où Hervé Gourdel fut capturé, Tibhirine où Matthieu trouve hébergement. Ce passage en Algérie lui vaut une pleine page dans le journal algérien El Watan.
Passant ensuite au Maroc, accueilli par son ami André Weill – vice-président de l’association Compostelle Cordoue et pèlerin de Jérusalem (depuis Drancy en passant par Auschwitz) –, il revient à un cheminement plus tranquille et à son couchage sous tente, « impossible en Algérie où il faut se rappeler que ce sont 250 000 personnes qui ont été tuées en dix ans de guerre civile, entre 1983 et 1993 ». La remontée par l’Espagne le conduit à Cordoue en avril 2014 et à Compostelle le 25 juillet.
Il remonte alors le chemin de Saint-Jacques jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle, ce chemin que la Suissesse Gabrielle Nanchen, cofondatrice de Compostelle Cordoue, a vécu comme possibilité de réconciliation. « J’ai découvert durant mes pérégrinations, écrit-elle, que saint Jacques l’apôtre a été appelé pendant la Reconquête de la Péninsule ibérique le Matamore, le tueur de Musulmans… L’Europe a mille ans de relations conflictuelles avec l’Islam. Si nous perpétuons ce conflit, notre monde n’en aura plus pour longtemps ».
Des récits médiatiques au réel
Dans cette traversée, Matthieu de Lamarzelle a mesuré l’écart entre les récits médiatiques et le réel. « J’ai été frappé par la manipulation des médias, la falsification des informations. « Un jour, les chaînes comme France 24 ou Al Jazeera évoquaient le bombardement de Qaryatayn, un village syrien proche du monastère de Mar Moussa où je demeurais. Nous avons téléphoné à des habitants du village que nous connaissions. Et on nous a dit que tout était calme ! Sous prétexte d’enjeu démocratique, on casse les infrastructures de ces pays pour avoir la mainmise sur leurs ressources » estime-t-il. « Je suis parti pour essayer de comprendre ces pays, leurs habitants, saisir leurs réalités. On ne doit pas laisser les pays en souffrance de côté. »
Ce pèlerinage pour la paix fait signe : ont été traversés dix pays musulmans, dix pays chrétiens et bien sûr, Israël. En puisant, comme toujours, son énergie dans le rythme, la concentration et l’ouverture à l’inconnu, Matthieu de Lamarzelle est arrivé le samedi 11 octobre à Paris, accueilli au Dojo du 175 rue de Tolbiac dans le 14e arrondissement, accompagné de ses amis et proches. Il a dédié une partie de son périple à l’association L’enfant@l’hôpital et, plus particulièrement, aux élèves de 6e du collège Oscar Roméro de Garges-lès Gonesse.
Interview de Matthieu sur 2012etaprès ? TV ici
Texte de Dorothée Browaeys, mis en page par André Weill
Association Compostelle Cordoue
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