ENTRETIEN – C’est la dernière rentrée scolaire de son mandat qui aura été la plus mouvementée. Paul Bron, adjoint au Maire de Grenoble à l’éducation et aux universités, revient dans cet entretien sur l’application de la réforme du rythme scolaire, pierre angulaire de la « refondation de l’école » annoncée par le gouvernement. Il relève également les « manquements » de la municipalité sortante et présente le positionnement du parti GO Citoyenneté, dont il est membre, pour les municipales de 2014.
Issu d’une famille dauphinoise depuis le 18ème siècle, Paul Bron a été « marqué par une éducation très progressiste ». Enseignant à la Villeneuve, il réalise dans sa jeunesse un tour du monde pendant un an, avant de s’engager dans l’éducation populaire, le fil d’Ariane de son parcours professionnel. Dirigeant d’une association œuvrant à la défense des droits des immigrés, il est approché en 2006 par le mouvement GO Citoyenneté. Dans les négociations de l’entre deux tours des municipales avec le Parti socialiste, le poste d’adjoint à l’éducation lui est proposé « avec surprise ». Il l’accepte, « puisque cela était en cohérence avec (son) parcours professionnel ».
Quel est le premier bilan que vous dressez de cette rentrée singulière marquée par la réforme du rythme scolaire ?
Premièrement, je suis un farouche partisan de la refondation de l’école. C’était une urgence pour la France. Le modèle scolaire produisait, jusqu’à aujourd’hui, des inégalités inacceptables en fonction du niveau social des parents. L’arrivée de la gauche a permis d’enrayer ce phénomène. Nous avons souhaité mettre en place cette réforme des rythmes scolaires à Grenoble dès la rentrée 2013, puisque nous étions engagés depuis 2009 dans la refonte du projet éducatif grenoblois. Six mois ont été consacrés à la discussion avec les familles, les associations périscolaires et les enseignants pour dégager une proposition d’organisation horaire. Ensuite, nous avons eu une saison estivale studieuse pour proposer rapidement à la rentrée les activités périscolaires qui relèvent des municipalités. C’est un effort considérable pour les municipalités qui savaient faire de la garderie mais doivent désormais mettre en place de véritables contenus d’éducation.
Pour quelle raison les activités périscolaires débuteront-elles seulement en octobre ?
Il convient de faire la distinction entre les différents modules que nous avons mis en place. Deux offres gratuites sont fonctionnelles depuis la rentrée : l’accompagnement scolaire – qui existait déjà mais auquel seulement 35 % des élèves participaient – et la récré-active. Enfin, les ateliers éducatifs correspondent à ce qui était mené par les associations socioculturelles, des activités déjà payantes mais réservées à un nombre trop limité d’enfants. Nous avons le projet de multiplier cette fréquentation par dix. Cela nécessitait le recrutement de près de 700 animateurs, or il n’y en avait pas suffisamment de formés et de disponibles à ces horaires sur le marché du travail. Nous avons conclu un partenariat avec l’université pour inclure, dans le cursus universitaire de leurs étudiants, un stage ou une activité professionnelle rémunérés dans le périscolaire. Par ailleurs, nous avons organisé des sessions de recrutement avec un jury d’animateurs en début de semaine. Nous avons embauché 167 personnes. Nous aurons l’effectif nécessaire pour démarrer ces modules en octobre, quand les familles auront fait leur choix.
Le dispositif mis en place à Grenoble permettra aux parents de récupérer leurs enfants dès 16 heures, avant le temps périscolaire. Cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’objectif du ministère de l’Education de « développer la curiosité intellectuelle des enfants et de renforcer leur plaisir d’être à l’école » ?
Le premier objectif de cette réforme est de mieux répartir les heures de classe sur la semaine et de programmer les enseignements à des moments où la faculté de concentration des élèves est la plus grande. Je n’estime pas nécessaire de forcer les enfants à participer au périscolaire parce que cela rajoute du collectif au collectif. Par ailleurs, les enfants quittant l’école à 16 heures peuvent être inscrits par leurs parents au conservatoire de musique ou dans des clubs de sports. C’est aux parents de s’organiser et de choisir ce qui est le mieux pour leur enfant, en dehors du temps scolaire obligatoire de l’école républicaine.
La tarification d’une partie des activités périscolaires ne va-t-elle pas maintenir « les inégalités en fonction du niveau social des parents », que vous évoquez ?
Les inégalités sont dans le temps scolaire. C’est l’école qui doit changer. Le périscolaire est un temps éducatif complémentaire. La gratuité n’induit pas forcément l’égalité. En revanche, nous devons raisonner en fonction de l’effort financier des familles. Nous avons mis en place un barème en fonction du quotient familial. Une famille à faible revenu payera six euros par semestre et une famille avec un haut niveau de revenu participera à hauteur de 70 euros. Cela me semble équitable. Par ailleurs, l’expérience que nous avons menée à la Villeneuve démontre que la tarification des activités n’est pas un frein pour les familles modestes, contrairement au manque d’information.
Estimez-vous que cette réforme modifie le rôle de l’école ?
Ce ne sont pour l’instant que des balbutiements, mais la « révolution douce » est en marche. Mettre un coup d’arrêt à la diminution des effectifs dans l’éducation était un prérequis ; rajouter un maître de plus par école change la façon d’enseigner ; scolariser les enfants de milieux défavorisés dès l’âge de deux ans permet d’effacer certaines inégalités… Démarrer par les rythmes scolaires et développer le périscolaire était par contre peut-être une erreur de stratégie. Cela a, enne effet, suscité beaucoup de résistances qui ont dissimulé les autres changements, alors que nous devons avoir une perception globale de cette refondation de l’école qui était urgente.
Que reste-t-il à faire dans le domaine scolaire pour améliorer la situation ?
Le parcours scolaire collectif a permis la massification de l’éducation, mais nous devons désormais tendre vers un enseignement individualisé en fonction de chaque élève. Fournir le même enseignement à chaque élève n’implique pas que chacun va en faire le même usage. Nous devons tenir compte des différences de niveau et d’environnement familial de chaque enfant. C’est désormais le rôle de l’école d’accompagner les élèves les plus en difficultés et d’éviter ainsi l’échec scolaire. Alors que nous avions la meilleure école du monde il y a 30 ans, nous sommes désormais classé 22ème. Il faut mettre un coup d’arrêt à cette décadence.
Désormais, l’école doit parfois instruire et éduquer. N’est-ce pas trop lui demander ?
Certaines familles se défaussent trop de leur rôle d’éducation sur l’école alors qu’elle ne représente que 10 % par an du temps de l’enfant. C’est le rôle de cette réforme de différencier le temps de classe, consacré à l’instruction, de celui du périscolaire consacré à l’éducation. Pour la première fois, un ministre dit que l’école ne peut pas réussir seule. L’instituteur devra désormais collaborer avec des partenaires éducatifs et avec la famille.
L’autre grand chantier du rythme scolaire est la diminution des vacances scolaires. Pensez-vous que cette réforme est possible ?
Si le gouvernement y parvient, je lui tire mon chapeau. Une telle réforme va susciter de très vives réactions. Non seulement du corps enseignant, mais aussi et surtout du monde économique et touristique. C’est la volonté de Vincent Peillon et elle correspond effectivement au rythme des enfants. Il ne faut pas de trop grosses coupures, ni dans la semaine, ni dans l’année. Les chrono-biologistes défendent un système de sept semaines de classe et de deux semaines de congés. Le temps scolaire et périscolaire doit être lissé sur l’ensemble de l’année.
En tenant compte des derniers ajustements, quel est le coût de cette réforme et comment se répartit son financement ?
La réforme scolaire coûte aujourd’hui 240 euros par enfant et par an – soit un coût global d’environ 3 millions d’euros – contre 150 euros lors de notre première estimation. Nous avons embauché, entre temps, un agent territorial spécialisé des écoles maternelle (ATSEM) par classe – c’était une revendication de longue date des équipes éducatives – et un animateur référent par école. La caisse d’allocations familiales s’est engagée à financer le périscolaire à hauteur de 53 euros par enfant. Et le fond d’amorçage, mis en place par l’Etat pour lancer cette réforme, finance 50 euros par enfant. Deux millions d’euros restent donc à la charge de la ville de Grenoble.
Comment la ville financera-t-elle ce reste à charge de deux millions d’euros ?
Il n’est pas question de toucher aux impôts locaux. Nous assumerons les trois mois restant de l’année en cours. Il y aura des arbitrages dans le budget 2014 pour absorber ce financement.
Craignez-vous que d’autres dépenses de la branche éducation soient rognées dans ces arbitrages ?
Il n’est pas question de toucher à la branche éducation. Nous ne pouvons investir deux millions d’euros dans des postes et des frais de fonctionnement d’un côté et économiser cette somme de l’autre côté. Par ailleurs, nous devons pousser plus loin encore l’investissement dans les écoles où des aménagements sont encore nécessaires.
Les écoles du secteur 1 sont saturées et l’école Jean Macé fait sa rentrée dans des préfabriqués. Estimez-vous que ce sont des conditions d’apprentissage correctes ?
Nous avons une évolution des effectifs à Grenoble depuis 2002, alors qu’avant cette date les effectifs diminuaient et certaines écoles fermaient. Il convient d’abord de chercher les places disponibles et de réaliser des aménagements pour optimiser les effectifs avant d’engager le financement – d’environ 10 millions d’euros – d’une nouvelle école, sachant que la situation peut évoluer dans les années à venir. Nous nous sommes ainsi engagés à construire une école sur la Presqu’île.
Pour les préfabriqués de l’école Jean Macé, il ne faut pas dénigrer ces installations qui sont confortables pour enseigner et ne réduisent pas l’espace collectif, puisqu’il y avait auparavant un mur qui a été abattu pour gagner de l’espace.
L’évolution de la population du secteur 1 ne correspond pas à une évolution naturelle mais à la création de nouvelles zones d’habitations.
Il ne faut pas disproportionner les choses ! Le secteur 1 a une augmentation d’effectif de 3 % alors que le reste de la ville a une augmentation naturelle de 2 %. C’était un secteur déjà contraint auquel viennent s’ajouter de nouveaux enfants à cause des projets d’urbanisme. Mais c’est aussi parce que Grenoble est une ville jeune et dynamique qui attire de plus en plus de jeunes parents. C’est un phénomène général que l’on constate sur toute la ville. Les aménagements que nous avons réalisés et les constructions que j’ai évoqués devraient améliorer la situation.
Grenoble figure cette année en tête des villes où il fait bon étudier en France, selon le classement du magazine l’Etudiant publié cette semaine. Est-ce une surprise pour vous ?
Ce n’est ni une surprise, ni une victoire car Grenoble était déjà bien classée les années précédentes. Si la ville est attractive pour les 20 – 30 ans, j’espère qu’elle l’est également pour les autres générations. L’enjeu est de savoir comment faire profiter l’ensemble des Grenoblois du dynamisme universitaire et technologique de la ville. Celle-ci est contrastée, avec un niveau de vie moyen élevé, mais avec 22 % de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté. C’est un enjeu politique très intéressant.
Justement, pour l’échéance électorale des municipales de 2014, comment se positionne votre groupe GO Citoyenneté ?
Nous montons actuellement une liste que je représenterai pour entamer des négociations. Jean-Philippe Motte et Florence Hanff sont arrivés au terme des trois mandats successifs qu’autorise notre mouvement. Nous vivons nos propres convictions pour ne pas nous installer dans une profession politique. Nous souhaitons être une force de proposition pour une majorité de gauche. La première étape est de marquer notre identité par plusieurs propositions. Nous discuterons ensuite avec les différents partenaires de la gauche pour étudier les alliances possible à la mi-octobre.
Quels sont vos critères de négociation ?
Ce sont ceux des idées avant ceux du nombre d’élus. Nos propositions vont se baser sur un certain nombre de manquements de cette municipalité. Notamment en terme de démocratie locale. Cette municipalité a été davantage dans l’information et la consultation plutôt que dans la concertation. Cela passe par davantage de consultations des Grenoblois – des référendums, des panels citoyens, des tirages au sort indemnisés – pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient consultés. Dans quels domaines estimez-vous qu’il n’y a pas eu suffisamment de démocratie participative ? Dans l’urbanisme, c’est très clair ! C’est d’ailleurs là-dessus que se concentrent essentiellement les réactions des Grenoblois. La construction de la ville est l’affaire de tous. Le décideur politique pense parfois qu’il a la légitimité de toutes les décisions puisqu’il a été élu, mais ce n’est pas vrai. Les projets évoluent, les programmes changent et il faut revenir au suffrage universel des Grenoblois pour retrouver cette légitimité. Quels sont les autres « manquements » de cette municipalité ? L’urbanisme toujours ! La question qui se pose à Grenoble est celle de la densité. Nous ne sommes pas pour l’étalement urbain mais il faut une densité urbaine équilibrée. Sur une même surface, nous pouvons construire différemment. Plus haut en laissant des espaces verts ou plus bas sur une plus grande surface. Mais ça ne doit pas être qu’une affaire d’experts, comme ça l’est devenu. Par ailleurs, nous sommes très soucieux de la vie associative. Alors que les subventions diminuent, il faut parvenir à des formes d’organisations solidaires. Je pense, par exemple, à des coopératives associatives pour mutualiser certains emplois et créer du lien entre les structures. Il y a également la question du sport. C’est important d’avoir des élites pour la visibilité de la ville, mais encore faut-il qu’elles permettent au sport de masse d’évoluer. Enfin, il y a la question intercommunale. Nous devons continuer de mutualiser les moyens, d’éviter les doubles et de réaliser ainsi des économies d’échelle qui permettront d’investir ailleurs. Tout cela reste à faire. Mais cette municipalité a aussi un bilan positif dans trois domaines essentiels : le logement, l’action sociale et l’éducation. Êtes-vous prêts à vous écarter de la majorité socialiste pour négocier avec d’autres composantes politiques ? Nous avons des échanges avec Europe Ecologie les Verts (EELV) et nous rencontrerons d’autres forces politiques, c’est indispensable. Ce que nous souhaitons, c’est faire passer des idées et être des acteurs politiques. Nous avons beaucoup collaboré avec les socialistes. Nous en assumons le bilan mitigé mais intéressant. D’autres choix sont possibles. Ce sont les militants de GO Citoyenneté qui auront le dernier mot en octobre, une fois que nous aurons fait ces arbitrages. N’est-ce pas une forme d’opportunisme que d’attendre de voir quelle est la composante la mieux placée avant de vous positionner ? Nous n’attendons pas les mieux placés mais ceux qui nous donneront le plus de garanties. Que l’on soit majoritaire ou minoritaire, nous devrons travailler ensemble dans une municipalité de gauche. Il y a la période des élections et la période du construire ensemble. Propos recueillis par Victor Guilbert Photos par Nils Louna L’entretien a été réalisé le jeudi 12 septembre dans le bureau de Paul Bron à l’Hotel de Ville de Grenoble. Il n’a pas été soumis à relecture. Une précision a été ajoutée concernant la date à laquelle Paul Bron a été approché par le mouvement GO Citoyenneté.- Consultez ici les autres entretiens politiques du Dimanche de Place Gre’net.Extrait d’ouvrage choisi par Paul Bron
« Le Prophète » de Khalil Gibran chez Casterman :
« Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même, Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, Car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. » La conviction qu’il en tire Je partage la conception de l’auteur définissant les enfants comme des êtres propres et singuliers. Ils ne sont pas le prolongement de leurs parents. Le système éducatif doit leur permettre de s’épanouir dans leur propre identité.